Último Elvis

Último Elvis, premier film du jeune réalisateur argentin Armando Bo, nous met dans les pas d’un ouvrier qui s’est si totalement identifié avec son idole que sa propre personnalité finit par se dissoudre.

 A l’usine, tout le monde appelle Carlos Gutiérrez « Elvis ». Carlos ne ressemble guère à Elvis Presley, si ce n’est peut-être à l’Elvis des dernières années gagné par l’obésité. Mais le soir, recruté par une agence de sosies, il prête sa voix à son idole et finit par s’identifier totalement avec lui.

 Carlos/Elvis vit sur une autre planète que ses proches, séparé de sa femme Alejandra qu’il appelle Priscilla et étranger à sa petite fille qu’il a naturellement dénommée Lisa Marie. Un accident de voiture d’Alejandra et Lisa Marie va l’obliger à s’occuper de la fillette et à devenir, un peu, le père qu’Elvis ne s’est jamais autorisé à devenir. Ceci va-t-il le détourner de son projet, celui de fêter ses 42 ans à Memphis, Memphis où Elvis est mort à l’âge de 42 ans ?

 Armando Bo a choisi pour le rôle d’Elvis le chanteur qu’il avait initialement retenu pour être le coach de l’acteur principal : John MacInemy débute donc au cinéma avec ce film. Il y apporte une émotion à fleur de peau, en particulier dans l’interprétation des chansons. Les deux personnages féminins sont bien servis par Griselda Siciliani dans le rôle d’Alejandra et la jeune Margarita López dans celui de Lisa Marie.

 Último Elvis est un beau film, tout en sensibilité, basé sur un scénario solide et original. Il semble que ce soit la première fiction jamais réalisée sur le mythe d’Elvis Presley. Il constitue un bel hommage au travail musical du chanteur.

John MacInemy dans le rôle de Carlos/Elvis

The Master

 

Joaquin Phoenix et Philip Seymour Hoffman dans « The Master »

 

The Master, film de Thomas Anderson, met en scène la relation complexe qui s’établit entre un ancien combattant de la guerre du Pacifique et le gourou d’une secte ressemblant à s’y méprendre à la Scientologie.

 Freddie Quell (Joaquin Phoenix) est sorti meurtri et traumatisé de la guerre du Pacifique. Rendu à la vie civile en 1945, c’est un alcoolique instable et parfois violent qui passe d’un petit boulot à l’autre. Une nuit d’ivresse à San Francisco, il tombe littéralement dans la vie de Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman), plus précisément dans le yacht où celui-ci célèbre le mariage de sa fille.

 Dodd est le gourou d’une secte nommée La Cause, qui affirme que le corps n’est que l’enveloppe provisoire de l’esprit, que l’esprit passe dans le temps d’un corps à l’autre et que par des exercices psychiques violents il est possible de rendre présents les traumatismes des vies passées et de les guérir. Déboussolé, meurtri, tordu jusque dans son corps par des souffrances tues, Quell est un cobaye idéal.

 Quell passe donc sous la domination de Dodd. Mais d’une certaine manière, Dodd en devient aussi dépendant : son patient est aussi celui qui illustre ses pratiques thérapeutiques, celui lui fournit un alcool introuvable, celui qui intimide ses ennemis. Leur relation va passer par des moments d’extrême tension. Dans une des scènes majeures du film, les deux hommes sont enfermés dans un commissariat de police dans deux cages grillagées contigües. Quell entre dans une crise de folie dévastatrice, détruit à coups de pied la cuvette des toilettes, abreuve Dodd d’insultes. Celui-ci se retourne pour uriner dans la cuvette, restée intacte, de sa cellule – une manière de pisser son mépris sur l’homme devenu son esclave.

 La mise en scène du film est soignée, les acteurs sont bons, la situation est intéressante, et pourtant je n’ai pas aimé le film. Je pense que c’est dû au fait qu’il n’y a pas de « transhumance » d’un état psychologique à l’autre. Freddie Quell reste d’un bout à l’autre du film l’homme blessé et l’inadapté social qu’il était au sortir de la guerre. Peut-être ne pouvait-il pas en être autrement ? Les traitements infligés par « La Cause » reposent sur des idées philosophiques fumeuses et n’ont pas de base scientifique. Le patient tourne en rond tout comme la secte elle-même, absorbée par le culte du gourou et par son succès financier, indifférente à ce qui se passe dans le monde réel.

Il y a longtemps que je t’aime

La chaine de télévision Arte a diffusé le 23 janvier le film de Philippe Claudel « il y a longtemps que je t’aime » (2008).

 Lorsque Léa (Elsa Zylberstein), sa sœur cadette, lui offre l’hospitalité, Juliette (Kristin Scott Thomas) est une femme absente, à fleur de peau, empoisonnée par la cigarette qu’elle ne cesse de fumer comme par un passé qu’on devine insupportable. Juliette a passé 15 ans derrière les barreaux après avoir été condamnée pour avoir donné la mort à son petit garçon.

 Léa elle-même étouffe sous la culpabilité. Enfant, elle était inséparable de sa grande sœur. Après le procès, Juliette fut rayée de la carte par ses parents et Elsa s’est conformée à ce diktat : pas une fois elle n’est venue la rencontrer en détention. Les deux sœurs vont devoir se redécouvrir, dire l’indicible, se pardonner.

 Juliette va peu à peu s’absenter de son absence jusqu’à pouvoir dire, dans le dernier plan du film : « je suis là ». Les médiateurs de sa renaissance vont être les deux adorables petites vietnamiennes adoptées par Elsa et son mari Luc ; le policier chargé de la probation de Juliette qui est lui-même accablé de solitude ;  Michel, un collègue de Léa qui a enseigné en prison ; et, à son corps défendant, l’horrible assistante sociale qui lui trouve un emploi de secrétaire.

 Juliette et Léa se retrouvent souvent à la piscine. L’image est judicieuse. L’une et l’autre se sont noyées dans le chagrin et la culpabilité. Elles doivent réapprendre à respirer librement, confiantes dans le fait que malgré les apparences l’amour a été et reste le plus fort.

Elsa Zylberstein et Kristin Scott Thomas dans « il y a longtemps que je t’aime »

Louise Wimmer

“Louise Wimmer”, film de Cyril Mennegun, présente l’image d’une femme brutalement rejetée à la marge de la société mais luttant pour préserver sa dignité.

 La première séquence nous montre Louise (Corinne Masiero) au volant de son break Volvo. Il est devenu sa maison. Depuis que Louise a rompu avec son mari, elle est sans domicile fixe. Depuis sept mois, elle attend un logement HLM, mais l’assistante sociale la juge « arrogante », lui reproche de « ne pas jouer le jeu ». Mais ce n’est pas un jeu ! hurle Louise.

 Louise approche de la cinquantaine. Le break, et quelques bijoux qu’elle vend au crédit municipal contre un peu de cash, sont ce qui lui reste de sa vie d’avant, dans le confort d’une existence petite bourgeoise. Le matin, elle nettoie les chambres d’un hôtel, l’après-midi elle fait des ménages, certaines nuits elle retrouve son amant avec qui elle fait l’amour passionnément mais refuse de parler de sa vie.

 Louise ne vit même pas à la petite semaine. C’est à chaque instant qu’il faut trouver le moyen de faire démarrer la voiture, un lieu pour se laver et se maquiller, une combine pour manger un repas chaud, de l’essence à siphonner pour le réservoir de la gourmande Volvo. Le monde est devenu hostile ou, pire, indifférent. Lorsqu’elle met le contact de sa voiture, elle n’écoute qu’une chanson : « sinner man » de Nina Simone. « Oh sinner man, where you gonna run to? » O pêcheur où vas-tu t’enfuir ? Mais le rocher refuse de la cacher, la rivière saigne et la mer est bouillante… Dans une scène magnifique, Louise est près de sa voiture sur une colline en aplomb de la ville. Elle a mis la musique à fond et danse seule jusqu’à entrer en transes.

 Bien que déchue de son statut social, Louise ne lâche pas prise. Elle dépend de la buraliste qui lui remet son courrier, d’un ami qui trouve un copain pour réparer sa voiture, de la nouvelle assistante sociale. Tous à leur manière vont contribuer à la sauver. Mais c’est elle-même, par sa volonté farouche de ne jamais déchoir de sa dignité, qui trouvera le salut.

 « Louise Wimmer » est un film magnifique, qui parle de la précarité comme elle est, froidement, sans s’apitoyer. Le jeu d’actrice de Corinne Maserio est splendide. Son personnage est une femme vieillissante, pas spécialement belle, marquée par le chagrin. Elle arrive pourtant à nous le rendre admirable, et par là même formidablement attachant.

Corinne Maserio dans « Louise Wimmer »