Dans Hope Springs, film de David Frankel (2012), Meryl Streep et Tommy Lee Jones jouent un couple que les années et les habitudes ont vidé de désir.
Le film sortira en France sous le titre « tous les espoirs sont permis ». Ce titre nous fait perdre le jeu de mots en anglais : Hope Springs est la villégiature du Maine où officie le Docteur Bernard Feld, un thérapeute familial ; Hope Springs se traduit aussi par « sources d’espoir ». Dans le couple formé par Kay (Meryl Streep) et Arnold (Tommy Lee Jones), l’espoir est porté par Kay. Elle ne se résout pas à ce que, les enfants partis et le temps de la retraite approchant, son mariage avec Arnold soit devenu une coquille vide. La nuit, ils font chambre à part. Au petit matin, elle lui prépare son petit déjeuner qu’il consomme en lisant le journal, sans un mot ni un regard. Cette routine glaciale est devenue insupportable à Kay. Elle prend les moyens d’en sortir. Kay prend une inscription à une semaine intensive de thérapie de couple.
Sa résolution est si forte que malgré son aversion pour ce qui pourrait le sortir de sa petite vie de comptable, Arnold finit par céder. Les voici tous deux, faisant face au Docteur Bernard Feld (Steve Carell). Le thérapeute les incite à se raconter, les oblige à se dévoiler, à achever les phrases interrompues, à mettre des mots sur leur relation intime, sur leurs corps, sur leurs sexes. Il leur donne des exercices à pratiquer le soir pour dépasser leurs inhibitions et se redécouvrir l’un l’autre charnellement. Dans la tempête, Arnold se cabre, se plie, tourne comme une toupie. Kay elle-même est déstabilisée. La thérapie va-t-elle déboucher sur l’implosion des protagonistes et la destruction de leur mariage ?
Le film parvient à tempérer un huis-clos parfois oppressant par une bonne dose d’humour. Le trio d’acteurs est exceptionnel. Arnold et Kay sont inexorablement pris au piège du jeu dont Feld fixe les règles ; Feld est clairement le manipulateur qui crée les situations dont ses patients sont l’objet, mais on le sent conscient de jouer à la limite du supportable, avec le risque de tout perdre.
« Les Neiges du Kilimandjaro », film de Robert Guédiguian (2011), est inspiré du poème « les pauvres gens » de Victor Hugo.
Dans ce poème, qui fait partie de la Légende des siècles, Jeannie craint, cette nuit comme toutes les nuits, pour la vie de son mari parti sur la barque pour pêcher. « Lui, songe à sa Jeannie au sein des mers glacées. / Et Jeannie en pleurant l’appelle ; et leurs pensées / Se croisent dans la nuit, divins oiseaux du cœur. » Au petit matin, Jeannie va sur la grève tenter d’apercevoir l’embarcation. Sur le chemin du retour, elle se rend compte que sa voisine, veuve, vient de mourir en laissant deux tout-petits abandonnés. Elle les prend chez elle. Elle craint la réaction de son mari : n’ont-ils pas déjà cinq enfants à nourrir ? « Déjà dans la saison mauvaise, on se passait de souper quelquefois. » La nuit était mauvaise, le pêcheur n’a rien pris. Il urge pourtant Jeannie d’aller chercher les enfants. « Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà. »
Comme Jeannie et son mari, Marie-Claire (Ariane Ascaride) et Michel (Jean-Pierre Darroussin) s’aiment depuis trente ans d’un profond amour. Ce sont des purs. Michel est militant à la CGT. Dans la première scène du film, on le voit présider un tirage au sort qui va déterminer les victimes d’un licenciement économique. Il s’inclut dans le lot. Le voici préretraité, sans vraiment de projet sinon celui d’être plus présent auprès de ses petits enfants et de monter une pergola dans le jardin de son fils. Famille et amis organisent une fête dans la cour des locaux de la CGT pour fêter les trente ans de mariage de Marie-Claire et Michel. Tous reprennent en cœur la chanson « les neiges du Kilimandjaro » de Pascal Danel. C’est que le cadeau est un voyage en Tanzanie sur les pentes du volcan. C’est le bonheur. Ce sont les mères adorant l’enfance épanouie, les baisers de la chair dont l’âme est éblouie, les chansons, le sourire, l’amour frais et beau qu’évoque Hugo dans son poème.
Et puis, un soir de jeu de cartes entre Marie-Claire, sa sœur Denise, son beau-frère Raoul et Michel, tout s’effondre. Des truands font irruption sous la menace de leur arme, les ligotent, leur extorquent l’argent du voyage au Kilimandjaro et leurs codes de carte bancaire. Michel ne tarde pas à se rendre compte que l’un d’entre eux, Christophe, est un ouvrier licencié en même temps que lui. Il le dénonce, le fait arrêter.
Christophe a organisé le vol à main armée pour payer ses dettes et faire vivre ses deux jeunes frères. Il n’y a pas de père ; la mère entend vivre sa vie de femme sans contraintes. Christophe emprisonné, les gosses sont à l’abandon. Un sentiment de culpabilité pèse sur les épaules de Marie-Claire et Michel. Comme le pêcheur et sa Jeannie dans les Pauvres Gens avaient accueilli Guillaume et Madeleine, Marie-Claire et Michel arrivent ensemble à la conclusion qu’évidemment ils accueilleront Jules et Martin, les frères de Christophe. Dans le pardon, dans le pur altruisme, ils retrouvent leurs racines et peuvent aller de l’avant.
A ce point, l’histoire pourrait être celle de héros anonymes, ceux qui ont l’avenir dans leurs mains jointes. Mais leur héroïsme a-t-il un avenir ? Christophe, le père de famille par défaut devenu truand faute de mieux n’a que mépris pour Michel, ce syndicaliste minable qui n’a été capable d’imaginer qu’un tirage au sort pour gérer la mise au chômage de ses camarades, cet ouvrier exemplaire qui a pu s’acheter sa maison et va toucher le chômage et des indemnités de licenciement, se convertissant ainsi en petit bourgeois. Pire encore, Flo et Gilles, les enfants de Marie-Claire et Michel, sont révoltés par leur attitude : alors que la vie est déjà si dure et si étroite, pourquoi leur imposer de partager le peu qu’il y a ? Et pourquoi avoir renoncé au Kilimandjaro, alors que la collecte de fonds pour le voyage avait représenté un effort pour la famille et les amis ? Dans Télérama, Louis Guichard exprime ce jugement cruel : « la dernière génération de personnages (de Guédiguian), toute à sa survie, n’a plus les moyens d’être altruiste. A peine ceux d’être honnête. ».
La chanson de Pascal Danel parle d’un homme qui va mourir enseveli sous les neiges du Kilimandjaro. Le poème de Victor Hugo contemple, lui aussi, la mort. « Hélas ! Aimez, vivez, cueillez les primevères, / Dansez, riez, brûlez vos cœurs, videz vos verres, / Comme au sombre océan arrive tout ruisseau, / Le sort donne pour but au festin, au berceau, / Aux mères adorant l’enfance épanouie, / Aux baisers de la chair dont l’’âme est éblouie, / Aux chansons, au sourire, à l’amour frais et beau / Le refroidissement lugubre du tombeau ! »
La force du film de Robert Guédiguian, c’est qu’il ne choisit pas son camp. Par solidarité générationnelle, il s’identifie évidemment avec ses héros Astaride / Darroussin. Mais il n’exclut pas, comme Christophe, Flo et Gilles, que ceux-ci soient en train, eux-mêmes et leurs idéaux, de glisser vers leur tombe.
Pio Marmaï et Kristin Scott Thomas dans Contre Toi
Le film de Lola Doillon, Contre Toi (2010) passe actuellement sur les écrans londoniens.
Le titre anglais, « in your hands » rend mal compte de l’ambigüité du film : contre toi comme ennemi, mais aussi tout-contre-toi, pour paraphraser le fameux « je suis contre les femmes, tout contre » de Sacha Guitry.
Rentrant tard du travail le soir à la veille de partir en vacances, la gynécologue Anna Cooper (Kristin Scott Thomas) est brutalement enlevée, jetée dans un coffre de voitures et séquestrée dans la cave d’un pavillon de banlieue sordide. Elle croit à une erreur sur la personne : son entourage ne peut payer une rançon. Son ravisseur (Pio Mammaï) la détrompe. Elle a brisé sa vie deux ans auparavant, il le lui fera payer.
Peu à peu Anna se remémore la femme morte d’une infection à la suite d’une césarienne. Un dégât collatéral dans la normale des statistiques. Le doute s’installe chez cette femme superbe, superbe dans tous les sens du mot. Elle prend conscience de ce que, en face de son point de vue de professionnelle, un drame humain s’est joué. Elle finit par demander pardon. En face, la brute qui l’a enlevée et séquestrée se fissure, lui aussi. Son projet était de tuer Anna après l’avoir avilie et de se suicider ensuite. Yann se révèle comme un homme fragile, incapable d’assassiner, prisonnier d’un projet fou qui ne peut que mal se terminer.
Anna trouve un jour la porte de sa cellule ouverte et s’enfuit, hagarde. Aucun de ses amis n’est disponible pour la soutenir lorsqu’elle arrive chez elle. Elle va pour porter plainte à la police, mais se ravise dans le bureau du commissaire. Elle est obsédée par le désir de retrouver Yann, de le posséder et d’en être possédée. On dira qu’elle est en proie au syndrome de Stockholm, qui asservit la victime psychologiquement à son bourreau. C’est plus compliqué que cela. Yann et elle sont arrivés au fond du désespoir. Il faut fermer cette page, et ce ne peut être que par un sexe désespéré. Anna finira par livrer son bourreau – amant à la police. L’un et l’autre pourront refermer la page du drame.
J’ai été captivé par ce huis-clos terrifiant mais où les acteurs jouent magnifiquement, chacun dans on rôle, le glissement de la certitude – celle de la juste vengeance et celle de l’éthique médicale – à la reconnaissance d’une faiblesse qui unit, et sépare sans retour possible, Anna et Yann.
Woody Allen a démontré avec Vicky Cristina Barcelona (2007) et Midnight in Paris (2011) son talent pour exprimer au cinéma le génie d’une ville.
C’est à Rome que nous transporte son dernier film, « To Rome with love ». Tous les clichés de la vie romaine s’y trouvent : le chanteur d’opéra, les paparazzi, la prostituée, les hommes d’affaires. On y retrouve aussi avec plaisir Woody Allen comme acteur, dans un rôle où il est naturellement marié à une psychanalyste.
L’amour dont il est question dans le film, c’est celui d’un jeune couple qui décide de monter de sa province de Pordenone à la capitale pour connaître enfin la grande vie. C’est aussi celui que le cinéaste éprouve visiblement pour Rome et ses habitants.
Le film juxtapose plusieurs sketches, dans la grande tradition du cinéma italien. Jerry (Woody Allen lui-même), ancien metteur en scène d’opéras, identifie en Gian Carlo, le père de son futur gendre, un ténor génial. Le problème de Gian Carlo, c’est qu’il ne sait chanter que dans sa douche. Qu’à cela ne tienne : John imagine une douche mobile décorée à l’antique, dans laquelle le personnage principal interprète sur scène son rôle en virtuose, sans cesser de se laver. C’est tellement énorme que l’effet comique est immédiat : le génie de Fellini rôde ! Et aussi celui de Woody Allen lui-même. Comme Gian Carlo est entrepreneur de pompes funèbres, l’épouse de Jerry, en bonne psychanalyste, ne lui ménage aucun décodage : si tu crois bon de mettre en scène un croque-mort, c’est que tu ne parviens pas à faire le deuil de ta carrière professionnelle et à accepter sereinement la retraite !
Roberto Benigni est dans le rôle d’un homme absolument quelconque propulsé dans la célébrité par la télévision poubelle. Le moindre détail de sa vie quotidienne, comme la manière dont il beurre ses toasts au petit déjeuner, devient l’objet de commentaires sans fin. Il sera rejeté dans l’anonymat aussi vite qu’il s’était trouvé sous les projecteurs.
Penélope Cruz joue une prostituée en pleine possession de son art qui se retrouve pour un jour mêlée à la vie sociale et intime d’un jeune homme timide et de bonne famille.
Dans l’un des sketchs, un architecte célèbre rencontre un débutant qui vit dans l’appartement même du Trastevere dans lequel il avait vécu lorsqu’il était étudiant. Comme un ange gardien il le met en garde contre le danger que la sulfureuse Monica fait courir au couple harmonieux qu’il forme avec Sally. En vain, bien sûr !
« To Rome with love » n’est pas le meilleur film de Woody Allen. Mais on rit de bon cœur et on se laisse charmer par la poésie colorée d’humour qui se déprend de la ville de Rome.