Le Continent Féminin

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Bernard Giraudeau, qui vient de mourir à un âge peu différent du mien, a laissé une trace dans ma vie.

« J’ai eu envie de goûter à tout, de voyager, et le plus beau des voyages c’est le continent féminin ». Dans Sud-Ouest (18 juillet), Régine Magné cite cette phrase de Bernard Giraudeau. C’est une belle phrase, qui caractérise bien le personnage qui vient de disparaître : vorace de la vie, aventurier, séducteur.

Bernard Giraudeau faisait partie de ma vie. Je l’ai applaudi au théâtre, j’ai admiré son jeu d’acteur dans plusieurs films. J’avais particulièrement aimé « Les Caprices d’un Fleuve », le film qu’il avait réalisé en 1996. Un nobliau est envoyé en 1787 en garnison à Saint Louis du Sénégal, puni pour un duel. Commandant une escadre sur le fleuve, il est fasciné par le Continent Africain, sa lumière, sa mesure différente du temps qui passe. Il adopte une jeune esclave peule et tombe amoureux d’une métisse. Ses prejugés raciaux s’effritent peu à peu. La musique du film, due à René Marc Bini, est magnifique.

Illustration : les Caprices d’un Fleuve.

Des mots d’amour

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France 2 a diffusé le 11 juillet, à une heure tardive et en concurrence avec la finale de la Coupe du Monde de football, un joli premier téléfilm de Thomas Bourguignon : « Des mots d’amour ».

Eric (Michel Vuillermoz), employé dans une compagnie d’assurance, reçoit de son médecin la confirmation de ce qu’il est atteint précocement de la maladie d’Alzheimer. Il en connaît les ravages : son père est mort de cette maladie, et sa mère indirectement aussi, écrasée par l’épreuve d’accompagner un homme devenu étranger à lui-même et paranoïaque.

Mais voilà. Il tombe amoureux d’Alice (Clotilde Courau), une délicieuse jeune femme qui travaille depuis quelques mois au service des ressources humaines de la même compagnie. Alice en retour aime cet homme doux et distrait. Pour que cet amour dure le plus possible, Eric lui cache, à elle et à ses collègues de travail, sa maladie. Il s’organise pour combler les trous de sa mémoire défaillante, à coups de carnets et de dizaines de post-it. Il se filme en vidéo pour imprimer au plus profond de sa mémoire son identité. Mais la maladie progresse. Bon pianiste, Eric trébuche de plus en plus sur sa partition. Lorsque le masque tombe, Alice se sent trahie. Mais par amour, elle décide d’accompagner son homme jusqu’à la frontière de la dissolution de son moi.

« Des mots d’amour » est un beau film, dans la ligne de « Se souvenir des belles choses » de Zabou Breitman avec Isabelle Carré et Bernard Campan. On peut regretter que, malgré la sensibilité des acteurs, certaines séquences sonnent un peu faux. Mais l’écriture cinématographique est intéressante : par un jeu de flash back et de fondus enchaînés, le réalisateur parvient à créer chez le téléspectateur un sentiment de trouble, une intuition de « quelque chose qui cloche ». En d’autres termes, il parvient à communiquer un peu de l’intolérable malaise des victimes de l’Alzheimer.

Photo : Clotilde Courau et Michel Vuillermoz dans « Des mots d’amour ».

La tête en friche

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« La tête en friche » de Jean Becker n’est pas ce qu’on appelle un « grand film ». Mais on se laisse volontiers entraîner par son optimisme et par le talent des acteurs, en particulier Gérard Depardieu et Gisèle Casasus.

Germain (Gérard Depardieu) est un « looser ». Il vit dans une petite ville de petits boulots, est un pilier du bistrot « chez Francine », habite dans une caravane dans le jardin de sa mère, qu’il n’a jamais quittée bien qu’elle l’ait toujours traité par le mépris. Il a la tête en friche. Elevé sans père, tête de turc de son instituteur, considéré par sa mère comme un gêneur et un minable, c’est un pauvre gars sans repère. Ou du moins, c’est ainsi qu’il parait. Car dans son potager, Germain est un prince qui sait dénommer plus de variétés de tomates qu’il n’y en a dans le Petit Robert. Et dans sa caravane, ses nuits ont un trésor : Annette (Sophie Guillemin), une jolie femme d’une trentaine d’années, des yeux bleus à faire chavirer, l’aime de pur amour. 

La rencontre dans un jardin public avec Margueritte, quatre vingt quinze ans passés, va permettre a Germain d’ordonner son jardin mental. Elle lui lit Albert Camus et Romain Gary, et c’est pour lui une révélation. Sa richesse intérieure était scellée sous un manteau d’apparente inculture, de la même manière que l’amour que sa mère lui portait était cachée sous une apparence d’inextinguible hostilité. Avec Annette et Margueritte, Germain est prêt à fonder une famille.

« La tête en friche » chasse dans les territoires de Harold et Maud (un adolescent suicidaire sauvé par une vieille dame débordante de joie de vivre) et du Liseur (une ancienne gardienne de camp de concentration nazi hantée par son analphabétisme). Le film est loin d’atteindre leur profondeur, mais il raconte une bien belle histoire.

Photo du film « la tête en friche », Gérard Depardieu et Gisèle Casasus.

White Material

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Le dernier film de Claire Denis, « White Material », nous emmène dans l’Afrique des machettes et des enfants soldats. Il est dérangeant, et inoubliable.

Maria Vial (Isabelle Huppert) gère une plantation de café dans une région troublée d’Afrique. Du domaine vivent aussi son ex-mari, André (Christophe Lambert), leur fils Manuel, le père d’André qui est propriétaire du domaine, ainsi que l’épouse africaine d’André et le fils qu’ils ont eu ensemble.

La région est agitée par une impitoyable guerre civile. Des bandes armées incluant de jeunes enfants sèment la terreur. Un hélicoptère de l’armée invite Maria à fuir, mais celle-ci s’entête. La récolte doit se faire dans les quinze jours ou sera perdue. Et où irait-elle en France ? Ici, elle est la reine. Face à l’adversité, les ouvriers qui quittent le domaine par peur de la catastrophe qui menace, l’essence qui se fait rare, le barrage routier qui la rançonne, elle se raidit et ne cède pas un centimètre de terrain. La violence n’est pas une chose nouvelle dans le pays, et puis elle est blanche, étrangère aux conflits ethniques locaux.

Mais précisément, la race devient un problème à mesure que les haines s’exaspèrent. La radio incite les auditeurs à s’en prendre au « matériel blanc », les possessions des blancs et leurs personnes elles-mêmes. Inflexible, Maria jette toute son énergie dans la survie de la plantation et ne se rend pas compte du danger qui plane. André et son père capitulent, vendent le domaine et préparent la fuite à leur insu. Prostré par l’angoisse, Manuel sombre dans la folie, s’arme de la carabine de son père, se joint à une bande armée puis met le feu au domaine et meurt dans l’incendie. Maria n’exerce le pouvoir que sur la plantation, et celle-ci est en train de sombrer. Elle est incapable d’influencer ses proches et ne peut empêcher leur désertion.

Le spectateur passe un mauvais moment avec ce film. L’anxiété monte peu à peu, à mesure que l’absurdité de la guerre se révèle. Les derniers amis de Maria, les pharmaciens, sont assassinés malgré leur garde armée ; leurs assassins avalent des poignées de gélules comme s’il s’agissait de bonbons. On sent venir le cataclysme comme une fatalité. Mais on est captivé par la capacité de Claire Denis à raconter le versant tragique de l’Afrique par un puissant langage cinématographique. Isabelle Huppert est magnifique, félin d’Afrique à la rousse crinière dans la savane rousse.

Photo du film « White Material »