Io sono l’amore

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Le dernier film de Luca Guadagnino. « io son l’amore », « je suis l’amour », « I am love », nous plonge dans une famille d’industriels milanais à l’heure d’un changement de génération.

La famille Recchi a fondé sa richesse sur l’industrie du textile. Elle célèbre le quatre-vingt dixième anniversaire du fondateur de l’entreprise, qui choisit cette occasion pour annoncer qu’il se laisse les rênes à son fils Tancredi et à l’un de ses petits fils. La réception est organisée avec soin par Emma, la femme de Trancredi, une belle femme du monde, fine, intelligente, attentionnée.

En quelques mois, la belle mécanique du succès s’enraye. Edoardo, le fils cadet d’Emma et Trancredi, se prend d’amitié pour Antonio, un cuisinier, et préfère poursuivre avec lui le projet d’ouvrir un restaurant à gérer l’affaire familiale. Betta, la fille, s’engage dans une relation homosexuelle. Tancredi choisit de vendre l’affaire familiale à un groupe Indien.

Emma s’éprend passionnément d’Antonio. Elle lui révèle peu à peu son origine russe, sa passion pour la gastronomie. Il lui fait découvrir son domaine, un coin de paradis au dessus de San Remo où il cultive les plantes qu’il se plait à cuisiner.

La passion de sa mère pour son ami est insupportable pour Edoardo. Après sa mort, Trancredi essaie de ramener Emma, effondrée, à sa vie de femme du monde. Mais celle-ci s’enfuit. « Tu n’existes plus », lui dit Tancredi.

L’histoire d’Emma est semblable à celle de l’héroïne du film « Partir » de Catherine Corsini. Une femme (Kristin Scott Thomas) quitte son mari médecin pour un maçon (Sergi Lopez). L’adultère est d’autant plus insupportable au médecin (Yvan Attal) qu’il se double d’une trahison de classe. Mais le film français donne dans un style résolument intimiste, alors que celui de Guadagnino souligne le drame social, à grand renfort d’une musique parfois un peu intrusive.

Nous avons aimé ce film, tourné dans des lieux familiers pour nous, principalement Milan et Londres. Le jeu d’actrice de Tilda Swinton dans le rôle d’Emma est d’une qualité exceptionnelle.

Photo : Io sono l’amore, Tilda Swinton et Mattia Zaccaro.

Le Concert

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Le film Le Concert de Radu Mihaileanu (2009) raconte une belle et invraisemblable histoire. Il trouve un ton juste entre la sensibilité bouleversante de la musique de Tchaïkovski et le ton de la farce.

Andrei Filipov (Alexeï Guskov) travaille au Bolchoï, comme homme d’entretien. Trente ans auparavant, sous Brejnev, le concert de Tchaïkovski qu’il dirigeait comme chef d’orchestre avait été interrompu par la police parce qu’il avait refusé de licencier ses musiciens juifs. Il intercepte un fax invitant le Bolchoï à donner un concert au Théâtre du Châtelet à Paris. Pourquoi ne pas reconstituer l’orchestre de l’époque, se faire passer pour le Bolchoï et saisir sa chance ?

Andrei exige que la soliste soit une jeune française, Anne-Marie Jacquet (Mélanie Laurent). Ce choix n’a rien d’innocent : Anne-Marie est la fille de la soliste du concert interrompu, morte quelques années plus tard dans l’Archipel du Goulag. Pour Andrei, le concert de Paris est l’occasion de reprendre le fil rompu à Moscou et d’atteindre « l’ultime harmonie ». Anne-Marie aura la révélation de sa filiation.

Le film balance entre l’émotion sublimée par la musique de Tchaïkovski et le choc comique de deux cultures, celle de la Rive Gauche envahie par une bande de barbares buveurs, indisciplinés, arnaqueurs mais aussi saouls de musique et d’envie de vivre.

« L’ultime harmonie, dit Radu Mihaileanu, c’est le rêve que veulent atteindre mes personnages russes qui ont été mis au ban de la société. On a tous été, à un moment donné, ravagés par la vie et « envoyés au tapis » comme on dit en boxe. C’est très difficile de se relever et c’est précisément ce que mes personnages tentent de faire ; ils essaient d’abord de retrouver l’estime d’eux-mêmes, puis de se remettre debout et de redevenir des êtres humains dignes. Pour retrouver l’ultime harmonie, ne serait-ce qu’une seconde – le temps d’un concert – et pour prouver à eux-mêmes qu’ils ont encore la force de rêver et d’être debout. C’est une petite victoire sur la mort qui nous guette en coulisse  (…) L’humour que je préfère est celui qui est une réponse à la souffrance et à la difficulté. Pour moi, l’humour est une arme joyeuse, ludique et intelligente – une gymnastique de l’esprit – contre la barbarie et la mort, une fracture de la tragédie qui en est sa sœur jumelle. »

Et Alexeï Guskov ; « on peut partir d’une simple histoire d’un homme ordinaire et la généraliser, dans la tradition chaplinesque, à la dimension épique. »

Photo : Mélanie Laurent et Alexeï Guskov.

Lourdes par Jessica Hausner

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Lourdes, film tourné dans la cité mariale par la metteuse en scène autrichienne Jessica Hausner, vient de sortir sur les écrans à Londres, avant Paris. Primé au Festival de Venise, il a été particulièrement remarqué par la critique.

Dans une immense salle de cafétéria glauque et sonore bien que vide, le personnel achève de mettre le couvert, lentement. Les pensionnaires s’attablent, certains malades, sur leurs pieds ou en fauteuil roulants, d’autres accompagnants, vêtus de l’uniforme de l’Ordre de Malte qui semble, en ce qui concerne les hommes, venir tout droit de Mussolini. La responsable du groupe explique d’une voix douce ou doucereuse le programme du pèlerinage, la grotte, la piscine, la basilique.

Le ton est donné. D’un côté tout est centré sur les malades, sur leur bien-être physique, sur la guérison de leur âme et, si Dieu veut, de leur corps. De l’autre, les pèlerins évoluent dans un univers dépersonnalisé, rigoureusement encadré, glacial, où le vouvoiement est de rigueur et aucune fantaisie n’est tolérée. Dans ce groupe, Christine, une jeune femme d’une trentaine d’années (Sylvie Testud), paralysée jusqu’au cou par une sclérose en plaques, avoue qu’elle est venue là car peu d’infrastructures permettent aux handicapés de voyager et qu’elle aurait préféré un voyage culturel. Mais peu importe, elle est là, jamais avare de son sourire, s’efforçant de ne pas perdre une miette de la distraction de sa solitude que le pèlerinage lui offre.

L’ambiance est lourde de l’attente de la guérison. Le miracle interviendra pour Christine. Pourquoi elle, et pas cette jeune fille paraplégique que sa maman accompagne chaque année à Lourdes ? Et s’agit-il d’une guérison ou d’une simple mais étonnante rémission ? Embarrassée de sa soudaine notoriété comme miraculée, consciente de l’anomalie que représente le fait que le miracle la concerne elle, une mal croyante, elle se comporte comme lorsqu’elle était en fauteuil : elle profite totalement de chaque instant, veut marcher, veut embrasser, veut danser. Et tant pis si ce moment ne devait être qu’éphémère.

Les personnages qui entourent Christine sont décrits eux aussi avec une grande profondeur psychologique. La responsable du groupe, Cécile, ne s’accorde à elle-même, aux accompagnants et aux malades, aucun moment de faiblesse : nous ne sommes pas là pour nous amuser. En réalité, elle est au bout de son énergie et de sa vie. Elle s’effondrera, perdant dans sa chute la perruque masquant son crâne rendu chauve par une chimiothérapie. La jeune accompagnante de Christine, en grand uniforme, perd peu à peu son intérêt pour son rôle et préfère les apartés avec les collègues du sexe opposé. La compagne de chambre de Christine, une femme âgée et silencieuse, se substitue peu à peu à l’accompagnante. Elle sera témoin de ses premiers pas et de ses premiers gestes la nuit de sa guérison – se repeigner, mettre les boucles d’oreilles. Elle lui offrira une promenade clandestine, la nuit, de la procession aux flambeaux aux boutiques d’articles de piété illuminées au néon.

Jessica Hausner a longuement travaillé avec son compatriote Michael Haneke, le réalisateur du Ruban Blanc. Pour ce film cependant elle dit s’être inspirée de Jacques Tati,  « à la fois visuellement, pour ses longues prises de vue, et par son ton, son humour. C’est ce qui m’a aidée à être capable de parler de thèmes sombres comme la décrépitude et la mort. L’humour est un moyen d’approcher l’insupportable. » Le film est de fait pénétré d’humour, mais un humour noir, subtil et dérangeant.

Photo : Sylvie Testud dans « Lourdes » de Jessica Hausner

Le père de mes enfants

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 Le film de la jeune réalisatrice Mia Hansen-Love, « le père de mes enfants », nous parle de résilience. Une famille peut-elle surmonter le drame du suicide d’un père adoré et vénéré ?

Grégoire (Jean-Do de Lencquesaing) est un homme passionné par son métier, producteur de films d’art et d’essai. C’est aussi un père de famille comblé, entre une belle femme d’origine italienne, Silvia (Chiara Casselli), et trois filles vives et jolies, dont une adolescente, Clémence. On le voit s’intéresser à un jeune cinéaste rencontré dans l’autobus, défendre bec et ongle le tournage en Suède d’un film dont le budget dérape, résoudre au téléphone mille et un problèmes. On le voit raconter à ses filles l’histoire des Templiers dans une chapelle en ruine près de leur maison de week-end au bord de la Loire et décrypter pour elles la signification d’une mosaïque de Ravenne.

Pourtant, Grégoire est au bout de sa route. Un contrôle de vitesse par la Gendarmerie lui fait perdre son permis de conduire. C’est un signal. Dans sa vie, il va trop vite. Les dettes se sont accumulées, la banque et ses fournisseurs sont à bout de patience. L’écran de son ordinateur reflète un homme défait. Il se suicide.

Pour Silvia et ses filles, comme pour le personnel de la petite société de production, le choc est terrible. Clémence, en particulier, se sent abandonnée et trahie.  La vie pourtant reprend peu à peu le dessus. A la tête de la société de production, Silvia tente de sauver l’œuvre de Grégoire, en particulier son catalogue de films. Sa tentative ne sera pas couronnée de succès : les dettes sont si lourdes que la liquidation est inévitable. Mais du moins la dynamique de la vie de Grégoire ne s’est pas arrêtée avec sa mort. Clémence s’éprend du jeune cinéaste que son père avait promis d’aider. Elle découvre pour le cinéma la même passion qui animait celui-ci. 

Le suicide avait coupé le temps entre un avant et un après. Peu à peu, une continuité s’établit de nouveau. Les moments lumineux et les passions d’avant nourrissent la vie ici et maintenant.