Billy Elliott, comédie musicale

La comédie musicale « Billy Elliott » vient de dépasser à Londres les trois millions de spectateurs. Elle se donne aussi à Broadway et à Toronto. C’est un magnifique spectacle.

 « Billy Elliott » a d’abord été un film. Il raconte l’histoire d’un jeune fils de mineur qui, dans le contexte de la grève de 1984 – 1985 contre les fermetures de puits décidés par le gouvernement Thatcher, se découvre une passion pour la danse. Son père et son frère, marqués par le machisme d’un milieu qui exalte la virilité, sont d’autant moins portés à soutenir Billy que la grève devient de jour en jour plus violente et désespérée. Danser, tenter une audition au Royal Ballet, c’est trahir une communauté qui se bat pour sa survie.

 C’est une belle histoire, qui suscite le rire, les larmes, l’émotion artistique. On rit de bon cœur du contraste des caractères et des manières de parler. On est ému par le mur d’incompréhension qui oppose Billy à son père, comme les mineurs aux forces de répression ; par la relation par-delà la tombe entre Billy et sa mère disparue, dont une lettre l’encourage à toujours aller au bout de lui-même ; par la double victoire de Billy, sur son milieu d’origine et sur le monde maniéré du Royal Ballet ; par le Lac des Cygnes dansé en duo par Billy et le danseur étoile qu’il rêve de devenir un jour. On est touché par la beauté de l’art du ballet, alors que le tout jeune Billy découvre la grâce d’un mouvement parfait, elle-même expression de la rage qui l’habite.

 La transposition du film dans l’espace clos d’une scène est parfaitement réussie. Cela est du en partie à une ingénieuse machinerie, mais surtout à une scénographie sans temps mort qui exploite les jeux de lumière et d’ombre et s’appuie sur une musique splendide composée par Elton John.

 Une vingtaine de comédies musicales sont à l’affiche à Londres. Nous avons vu Billy Elliott trois fois, et sommes loin de la lassitude.

 Illustration : affiche de Billy Elliott.

Potiche

« Potiche », la dernière comédie de François Ozon, qui sort cette semaine sur les écrans londoniens, offre un réjouissant moment de cinéma.

 En 1977, la fabrique de parapluies de Sainte Gudule (pas Cherbourg !) est en émoi : les ouvriers se mettent en grève face à l’intransigeance de leur patron Robert Pujol (Fabrice Lucchini) que les syndicalistes et le député maire communiste Maurice Babin (Gérard Depardieu) plongent dans un tel état de paranoïa que l’inévitable se produit : une crise cardiaque.

 Il revient à sa femme Suzanne (Catherine Deneuve) de prendre les rennes de l’entreprise, qu’elle avait héritée de son père, un patron paternaliste aussi aimé des ouvriers que Robert est haï. Robert a toujours considéré sa femme comme une potiche, bonne à être trompée mais pas à prendre la moindre décision : « ce que je te demande, c’est de partager les miennes ». En l’espace de quelques mois, Suzanne résout par la négociation le conflit social et change totalement l’état d’esprit de l’entreprise, qui se tourne vers le design et l’innovation.

 De retour de convalescence, Robert se sent à son tour marginalisé et transformé en potiche. Par une manœuvre machiavélique, il réussit toutefois à reprendre le contrôle de l’entreprise. Mais Suzanne rebondit : elle lui annonce qu’elle a eu autrefois des amants, dont Maurice – le démon communiste ! – et que son fils n’est pas de lui. Et surtout, elle se présente à l’élection législative et est élue. Le soir de sa victoire, elle reprend avec ses fidèles la chanson de Jean Ferrat « que c’est beau la vie ! » et se présente en « maman » de ses électeurs.

 On retrouve dans le film de François Ozon le charme de « huit femmes ». Les rôles sont théâtralisés au maximum. Le patron est un dictateur agité et névrosé ; sa femme est une poétesse dont l’idéalisme balaie difficultés et doutes ; le fils (Jérémie Renier), horrifié à l’idée de reprendre un jour l’entreprise familiale, se voit comme un artiste et a le look de Claude François ; la fille (Judith Godrèche) reproduit bêtement le schéma d’asservissement au mari qu’elle reproche à sa mère. Tous disent leurs répliques comme des acteurs sur la scène, jusqu’au moment où la tendresse reprend le dessus : celle de Maurice et Suzanne, se rappelant dans une boite de nuit leur ancien amour, ou celle de Robert, alors que la procédure de divorce est en cours, venu mendier un moment d’intimité dans le lit de Suzanne.

 L’écriture cinématographique de « Potiche » est fortement originale. On passe du rire à l’émotion dans ce film situé à l’époque de l’éclosion du féminisme mais ne se laisse jamais emprisonner dans la défense d’une cause.

 Photo du film « Potiche » : Catherine Deneuve et Fabrice Lucchini.

Strictly Gershwin

Le Royal Albert Hall de Londres présente jusqu’au 19 juin une superproduction intitulée « strictly Gershwin ».

 Le spectacle surfe sur la mode de la danse de salon, amplifiée en Grande Bretagne par « Strictly Come Dancing », un concours télévisé qui oppose des personnalités du spectacle ou de la mode qui suivent un entrainement poussé et dont le partenaire est un danseur professionnel. Il joue aussi sur la nostalgie du Hollywood des années trente, le souvenir de Fred Astaire et Ginger Rogers, le charme de l’opérette où dans le bal, les gentils gendarmes côtoient des bonnes sœurs en collerette.

 Il est à l’unisson des images et des sons fondateurs de son public et aurait pu verser dans la facilité. Mais il y a l’extraordinaire musique de George Gershwin (An American in Paris, Rhapsody in Blue, Summertime, Shall we dance…) et le talent des danseurs de l’English National Ballet. Tout est parfaitement orchestré, léger, gai. On passe une excellente soirée.

 Photo : « Strictly Gershwin ».

HHhH

HHhH, roman de Laurent Binet (Grasset 2009) raconte l’attentat contre Reynard Heydrich à Prague le 27 mai 1942.

Himmlers Hirn heißt Heydrich, le cerveau d’Hitler s’appelle Heydrich, HHhH, tel était l’un des surnoms d’Heydrich, organisateur du service de renseignement de la SS, metteur en scène de la « solution finale » et, en 1942, « Protecteur » de la Bohême Moravie. Stéphane Binet ne cache pas sa fascination pour le personnage, un homme intelligent, travailleur, coureur de jupons, mélomane comme son père, habile à manier la carotte et le bâton, courageux au point de participer aux combats aériens sur le front russe et de circuler dans Prague sans escorte dans une voiture découverte, et surtout totalement dénué de sens moral. Profitant de la « nuit des longs couteaux », il fait emprisonner et abattre un ennemi personnel et ordonne qu’on laisse « ce cochon se vider de son sang » jusqu’à ce que mort s’en suive.

 L’autre objet de fascination pour l’auteur est Prague, ville où il a vécu et où il a aimé. Il s’assimile tant aux héros de l’attentat de Prague, Gabčík, Kubiš et Valčík que le roman quitte parfois le terrain du récit historique pour s’approcher d’une autobiographie imaginaire.

 L’attentat contre Heydrich, dans un virage de la route montant au château tourne au fiasco : la mitraillette de Gabčík s’enraille, la grenade de Kubiš explose derrière la voiture et ne fait que blesser le Protecteur.  L’arrivée de tramways complique encore la situation, mais permet aux trois auteurs de l’attentat de s’enfuir. L’opération d’Heydrich pour des blessures dans le dos est un succès, mais du crin de cheval utilisé pour le rembourrage des sièges de la voiture a été projeté dans la plaie et il meurt quelques jours plus tard de septicémie.

 Les auteurs de l’attentat se réfugient avec d’autres parachutistes dans la crypte d’une église. Ils apprennent le succès de leur mission, la mort de leur cible, mais aussi la férocité de la répression que les Nazis, furieux de voir mise en question leur invulnérabilité et de ne pas mettre la main sur les coupables, ont déclenchée : en une nuit, le village de Lidice, suspecté à tort d’être celui d’un des « terroristes » est rayé de la carte et ses habitants, femmes et enfants compris, sont assassinés ou déportés. Pendant des heures, une poignée de parachutistes tiennent tête à huit cents soldats avant de mourir sous les balles ou de se donner la mort.

 HHhH est un roman palpitant qui ne laisse pas au lecteur le temps de respirer. C’est aussi un coup au ventre : il nous rappelle la réalité de l’inimaginable violence nazie, que l’on connaît intellectuellement mais qui, par la littérature, prend aux tripes. Binet raconte le massacre des Juifs à Babi Yar, dans la périphérie de Kiev, en septembre 1941. « Dans un souci d’efficacité très allemand, les SS, avant de les abattre, faisaient d’abord descendre leurs victimes au fond de la fosse, où les attendait un « entasseur ». Le travail de l’entasseur ressemblait presque en tout point à celui des hôtesses qui vous placent au théâtre. Il menait chaque Juif sur un tas de corps, et lorsqu’il lui avait trouvé une place, le faisait étendre sur le ventre, vivant nu allongé sur des cadavres nus. Puis un tireur, marchant sur les morts, abattait les vivants d’une balle dans la nuque. Remarquable taylorisation de la mort de masse. Le 2 octobre 1941, l’Enisatzgruppe en charge de Babi Yar pouvait consigner dans son rapport : « Le Sonderkommando 4a, avec la collaboration de l’état-major du groupe et de deux commandos du régiment Sud de police, a exécuté 33.771 Juifs à Kiev, les 29 et 30 septembre 1941 ». »

 Le roman nous parle de personnages héroïques, prêts a sacrifier leur vie et leur jeunesse pour une cause qui les dépasse, et d’effroyables lâches, Chamberlain et Daladier trahissant leur allié tchécoslovaque à Munich pour une paix illusoire, Karel Čurda trahissant à Prague ses compagnons parachutistes pour quelques millions de marks.

 Notre démocratie est imparfaite, sans cesse menacée d’être rognée par le populisme et la politique spectacle. Mais c’est un bien précieux, chèrement acquis.

 Photo « transhumances » : le château de Prague vu du Pont Charles.