Docteur Cac

Chaque jour vers 20h20, France 5 présente une émission économique réjouissante et instructive : « Docteur Cac ».

 Je suis loin d’être un esclave du petit écran. Je préfère généralement un bon livre, une soirée au théâtre ou un dîner entre amis à une émission de télévision. Je ne zappe pas. Je ne regarde pas de feuilleton. Ma liberté souffre toutefois une exception : « Docteur Cac », l’émission diffusée vers 20h20 par France 5. Circonstance atténuante, mon addiction est limitée à 5 minutes par jour.

 Le Docteur Cac se présente comme professeur d’économie. CAC en trois lettres comme « c’est assez clair » (ou comme CAC 40 !), et grâce à lui l’économie va le devenir, assez claire ! Il traite de sujets d’actualité : pourquoi les Chinois financent-ils la dette européenne ? Pourquoi le chômage aime les jeunes ? Faut-il acheter français ? Qu’est-ce que le FMI ? Etc. Il illustre son propos par des extraits de films. Et c’est là que la série devient irrésistiblement drôle : les films sont des navets américains, de préférence des années cinquante, doublés en français avec une tonalité à la fois nasillarde et emphatique qui n’existe pas dans la vraie vie.

 Acteurs et actrices, dont gomina et robes à floques révèlent immanquablement le type culturel américain, minaudent, se menacent, s’emportent, se giflent, s’esclaffent… mais l’objet du drame qu’ils jouent est la crise de l’Euro, le PMU ou le déficit des finances françaises en 2013 ! Le spectateur nage dans l’absurde avec délectation. Le plaisir ouvre la voie à l’apprentissage. Docteur Cac est une émission instructive. On apprend plus sur l’économie dans ces épisodes de cinq minutes que dans beaucoup d’émissions savantes.

La balade de Lucie

Sandrine Bonnaire dans « la balade de Lucie »

France 2 vient de diffuser « la balade de Lucie », un téléfilm réalisé par Sandrine Ray avec Sandrine Bonnaire dans le rôle principal.

 Dans son blog du Parisien, Jim Pariser note que le titre du film est inspiré de la chanson de Marianne Faithfull, the ballad of Lucy Jordan. Elle évoque une femme de trente sept ans qui vit dans une chambre blanche dans une banlieue blanche. Lucy Jordan rêve à des milliers d’amants mais se rend compte qu’elle ne traversera jamais Paris dans une voiture de sport, un vent tiède lui soufflant dans les cheveux Ses maris et ses enfants la retiennent à la maison.

 Comme la Lucy de Faithfull, Lucie Dupré (Sandrine Bonnaire) vit dans un cocon avec son mari qui la couve et la couvre de cadeaux et deux garçons. Lorsque son mari est arrêté et emprisonné pour abus de confiance, lorsque l’huissier vient saisir les meubles, le monde de Lucie s’effondre. Elle part pour Lyon où l’attend sa mère (Mylène Demongeot) et une autre prison dorée, une grande maison bourgeoise servie par une domestique. Lucie s’évade et s’enfuit vers le point d’ancrage de sa vie : la plage d’Aquitaine où, enfant, elle jouait avec sa grand-mère adorée. Une course de vitesse s’engage : à leur tour, ses garçons se sont lancés sur ses traces ; un avis de recherche est lancé. Il lui faut trouver d’urgence du travail et un logement. Elle doit en quelques semaines réinventer sa vie.

 Le personnage de Lucie est complexe : elle est meurtrie, hostile à l’égard de sa mère, affectueuse envers ses enfants et même de son mari, cynique à l’endroit des hommes qu’elle rencontre, y compris ceux qui lui tendent la main. C’est l’interprétation de Sandrine Bonnaire qui donne au film une certaine profondeur. L’immense plage sableuse de l’Atlantique est le point d’ancrage de Lucie, mais aussi la colonne vertébrale du film.

 « La balade de Lucie » est loin d’être un grand film. L’histoire est peu crédible et les personnages, hormis ceux de Lucie et de ses garçons, stéréotypés. Mais le portrait d’une femme cherchant à prendre son destin en mains a été opportunément diffusé deux jours avant la journée de la femme. Et le choix du Pyla comme lieu de vie rêvé ne peut qu’enchanter l’Aquitain d’adoption que je suis devenu.

Vincere

La chaîne de télévision Arte a diffusé le 24 mars le film de Marco Bellochio « Vincere » (2009). Par l’histoire tragique de la femme et du fils cachés de Mussolini, c’est la mécanique de l’instauration du fascisme qui est mise au jour.

 En 1914, Ida Dalser (Giovanna Mezzogiorno), 34 ans, rencontre les pas de Mussolini (Filippo Timi). Cet homme assoiffé de pouvoir la fascine. Elle tombe éperdument amoureuse de lui. Pour lui permettre de créer son journal, le « Popolo d’Italia », elle vend tout ce qu’elle possède. Elle lui donne un fils, Benito Albino. Elle prétend qu’ils se sont mariés religieusement et que le père a reconnu son fils.

 Mais Mussolini entretient une relation avec une autre femme, Rachele Guidi. C’est elle qu’il épousera officiellement, c’est d’elle qu’il aura des enfants légitimes. Ida et le jeune Benito deviennent encombrants, d’autant plus qu’Ida ne baisse pas le ton. Elle clame à cors et à cris sa vérité. On l’enferme à l’asile psychiatrique. On la sépare de son fils, placé dans une pension glaciale, seul à l’écart de ses camarades. On ne trouve pas trace d’un acte de mariage avec le futur Duce et d’un acte de reconnaissance de paternité. La vérité d’Ida ne tient pas ; seule existe la vérité du nouveau régime. Ida et Benito mourront tous deux en détention psychiatrique, respectivement en 1937 et 1942.

 Dans la première partie du film, Marco Bellochio nous transporte dans l’excitation de la conquête du pouvoir, avec une énorme charge érotique. Dans la seconde partie, tout devient solitude, souffrance, lenteur. Il y a des scènes magnifiques, comme celle dans laquelle Ida se hisse en haut d’une énorme grille et confie au vent les messages de désespoir qu’elle destine à d’hypothétiques sauveurs, le Roi ou le Pape. Vers la fin du film, Bellochio utilise un reportage d’actualité montrant Mussolini vociférant un discours guerrier dans des postures ridicules, menton levé, bouche tordue, regard fuyant. Sollicité par des condisciples, son fils Benito Albino rejoue la scène et accentue l’absurdité du dictateur ; on le sent aveuglé de haine pour ce père qui l’a laissé tomber et ne le désigne que comme Benito Dalser.

 « Vincere » met l’art du cinéma au service d’un réquisitoire implacable contre le fascisme et la destruction qu’il opère de l’amour et de la beauté.

Hors la loi

France 2 a commencé le 12 février la diffusion d’une série de trois remarquables documentaires de François Cholowicz sur le système judiciaire et l’emprisonnement.

 La réalisation de ces documentaires a nécessité la collaboration active des policiers, procureurs, magistrats, avocats, responsables de l’administration pénitentiaire, travailleurs sociaux impliqués dans l’arrestation, la garde à vue, le mandat de dépôt, la détention et le jugement de six justiciables impliqués dans différents délits (cambriolage, vol à la roulotte, agression sexuelle…). Un millier d’interviews ont été effectuées. Le projet s’est étagé sur 4 ans, à la fois en raison de l’étendue du matériel accumulé et pour pouvoir suivre le parcours des justiciables.

 Le réalisateur suit à la trace six hommes qui ont maille à partir avec la justice. Ils sont de profils différents, du SDF à l’éducateur sportif, et de l’immigré en situation irrégulière parlant à peine le français à un multirécidiviste beau parleur. Certains admettent les faits qui leur sont reprochés. D’autres les nient farouchement. Policiers et magistrats sont parfois en proie au doute et tentent de se forger une opinion ; parfois, ils sont convaincus de la culpabilité des personnes arrêtées mais peinent à la prouver.

 François Cholowicz ne prend pas parti. Il suit les policiers dans leurs interventions de nuit. Lorsqu’un suspect est appréhendé, c’est lui que la caméra suit à chaque moment de son parcours judiciaire et jusque dans la prison. C’est du point de vue du justiciable que nous nous trouvons. Nous avons en face de nous le policier qui nous interroge pendant les interminables heures de notre garde à vue, la juge d’instruction qui décide de nous envoyer en  détention provisoire, le gardien de prison qui effectue pour nous les formalités d’écrou, le directeur qui nous reçoit dans le cadre de la procédure d’accueil dans le quartier des arrivants de la maison d’arrêt.

 C’est la répétition du même scénario dans les mêmes lieux, commissariat central, palais de justice et maison d’arrêt de Toulouse, mais impliquant des justiciables de profils très différents, qui révèle peu à peu comment fonctionnent les rouages de la justice. Le film montre les hommes et des femmes qui font fonctionner cette machine. On est frappé par le professionnalisme des policiers, des agents de l’administration pénitentiaire, des juges et des avocats, des travailleurs sociaux, et aussi par leur profonde humanité. « Mais Monsieur, qu’est-ce qu’on va faire de vous ? » demande une juge, dénotant par cette question une réelle anxiété.

 Les locaux où a été tourné le documentaire sont modernes et fonctionnels ; on sait que ce n’est pas le cas de la plupart des prisons et de nombreux lieux de police et de justice. Il est probable que les personnels filmés ont donné, devant la caméra, le meilleur d’eux-mêmes. Il reste que le film est instructif et captivant.

 Le premier épisode, « entrer en prison », peut être visionné sur http://www.france2.fr/emissions/infrarouge/diffusions/12-02-2013_29023.  Les autres épisodes auront pour titre « rester en prison » et « revenir en prison ».