Danyel Waro en concert

Danyel Waro, musicien et poète qui a popularisé à La Réunion la musique des esclaves, le maloya, a donné un remarquable concert le 8 décembre au Théâtre de Plein Air de Saint Gilles.

 Accompagné de cinq musiciens, Waro tint  la scène pendant pas moins de quatre heures, alternant des morceaux rythmiques au bord de la transe et des mélodies douces et mélancoliques. Un moment particulièrement émouvant fut sont interprétation en créole, s’accompagnant au tambour, de « nuit et brouillard » de Jean Ferrat. La voix du chanteur est parfois à la limite de la déchirure, et un frisson traverse le public comme portée par une onde. Dans une interview avec Le Quotidien de la Réunion, il décrivait ainsi le projet de cette soirée dans un auditorium de mille places sous les étoiles : « mi sa rakont sak i toush a mwin, sak i anrag a mwin, sak y rampli a mwin lénergi. Mi plèr, mi ri. Mwin la u la shans rancontr lamour. Mi rakont la limièr lé an mwin » (je raconte ce qui me touche, ce qui me fait enrager, ce qui me remplit d’énergie. Je pleure, je ris. J’ai eu la chance de rencontrer l’amour. Je raconte la lumière qui est en moi).

Danyel Waro accorde une grande importance aux textes de ces chansons, à leur force poétique. En cela, et aussi pour l’aspect physique, il fait penser à Léo Ferré ou Julos Beaucarne. Il est aussi si attentif à la qualité du son qu’il tient à fabriquer lui-même ses instruments. Le site botanique.be mentionne le kayanm, instrument plat construit à partir de tiges de fleurs de canne et rempli de fraines de safran sauvage ; le bobou calebasse avec une corde tendue sur un arc ; le roulèr, gros tambour à partir d’une barrique de rhum sur laquelle on tend une peau de bœuf. A un moment du concert, le chanteur s’accompagne seulement du roulement de grains de riz au fond d’un van.

Botanique.be demande à  Danyel Waro ce qui caractérise son art : « Pour moi, le maloya, c’est d’abord le mot. Je cherche la cadence, l’image, le rythme dans le mot. Grâce au maloya, j’ai pris du recul par rapport à la philosophie cartésienne et aux jugements trop personnels. Le maloya m’a remis en accord avec la Réunion, les gens, notre langue.« 

Né en 1955 d’un père agriculteur dans les hauts du Tampon, sur les flancs du Piton de la Fournaise, Danyel Waro vit une enfance austère, dans une case sans eau ni électricité. Il se passionne pour la musique en écoutant Georges Brassens sur un poste à transistors. Emprisonné en France pendant deux ans pour avoir refusé de faire son service militaire, il adhère à son retour au Parti Communiste Réunionnais, et c’est par l’engagement politique qu’il découvre le maloya, la musique des esclaves interdite d’antenne par l’administration française, et devenue symbole de révolte et d’émancipation. Aujourd’hui, il n’est plus affilié au parti, et s’exprime sur les questions politiques de manière indépendante. Peut-être est-ce de l’embourgeoisement, peut-être de la sagesse, observe-t-il.

 Il a reçu en 2010 le Womex Award, prestigieuse récompense décernée par les professionnels des musiques du monde. Le concert de Saint Gilles a confirmé les qualités exceptionnelles de cet homme, professionnel de la musique rigoureux et poète inspiré.

Au Musée de Villèle de Saint Gilles les Hauts, une exposition est consacrée au maloya, avec en particulier la présentation d’œuvres de Nelson Boyer, sculpteur né en 1973.

Sculpture de Nelson Boyer présentée au Musée de Villèle. Photo « transhumances »

Nowhere Boy

 

Anne Marid Duff et Aaron Johnson dans Nowhere Boy

« Nowhere  Boy », film de Sam Taylor Wood (2010) raconte l’adolescence de John Lennon de la mort de son père adoptif en 1955 au départ de Liverpool pour Hambourg cinq ans plus tard.

 « Tu n’iras nulle part », prophétise au jeune John (Aaron Johnson), plus intéressé par les revues pornographiques et le dessin que par les matières scolaires, le directeur de son collège. Le film nous montre que John, de son côté, a parfois l’impression de venir de nulle part. Il est balloté entre Julia (Anne Marie Duff), sa mère, une femme exubérante et dépressive, allumeuse invétérée, passionnée de musique et la sœur de Julia, Mimi (Kristin Scott Thomas), qui prétend inculquer à son neveu des valeurs solides. Julia a abandonné John lorsqu’il avait cinq ans, mais maintenant qu’il est adolescent, elle l’aime d’un amour frisant l’inceste. Dans un flash back, nous voyons le petit John sommé par ses parents de choisir entre papa et maman, choisissant d’abord papa pour ensuite s’accrocher à maman et être ensuite recueilli, ou « volé », par sa tante. Mimi ne supporte pas ce reproche d’avoir « volé » le petit garçon qu’elle a considéré comme son propre fils. Il se passe entre Mimi, John et Julia une scène terrible, chorégraphiée entre quatre murs, où Mimi raconte les circonstances de l’abandon. « N’hésite surtout pas à participer à la conversation » lance-t-elle, perverse, à Julia foudroyée par la honte.

 Le génie de John nait du tiraillement entre deux femmes qui inspireront pour l’une sa créativité, pour l’autre son goût pour le travail musical bien fait jusque dans les détails. Julia abandonnera une seconde fois John en mourant dans un accident de voiture.

 John rencontre Paul McCartney (Thomas Brodie Sangster), de deux ans son cadet. Paul a lui aussi perdu sa mère, mais d’un cancer ; elle est « sort of dead » (morte en quelque sorte), dit-il curieusement à John. La communauté de deuil et la communauté musicale les transforment presque instantanément en partenaires et en amis. Paul présente à John George Harrison dans un autobus. L’aventure des Beatles peut commencer.

 

Thriller Live

Thriller Live. Photo The Guardian

Le Lyric Theatre de West End à Londres donne une comédie musicale, « Thriller Live », en hommage à Michael Jackson.

 Comment rendre hommage à un artiste exceptionnel en utilisant de bons acteurs, chanteurs et danseurs, sans que la différence de qualité saute aux yeux ?

 Thriller Live n’échappe pas à ce risque. Le début de la comédie musicale met en scène un adolescent censé figurer Michael lorsqu’il faisait ses débuts avec les Jackson 5. Mais la médiocrité du gamin saute aux yeux : il chante juste et danse correctement, mais on ne peut croire un seul instant qu’il sera plus tard le roi de la pop music. Les interventions pesantes d’un récitant insistant sur les dizaines de millions d’albums vendus accentuent un sentiment de malaise.

 La seconde partie du spectacle fait oublier l’impression de gâchis que donnent les premières scènes. C’est à un concert de Michael Jackson que l’on assiste qui, peu à peu, nous entraîne dans son rythme endiablé. La comédie musicale suit un fil chronologique, et les dernières chansons et chorégraphies révèlent Jackson au sommet de son art. Les acteurs sont des hommes et des femmes qui, par la multiplicité de leurs talents, parviennent à produire le kaléidoscope des facettes du génie de l’artiste.

 La mise en scène, les costumes, les lumières, sont fortement sexualisés. C’est au fond assez étrange pour rendre hommage à un personnage dont le positionnement était l’ambiguïté, androgyne, ni noir ni blanc, lunaire.

Cloclo

Cloclo, le film biographique de Claude François par Florent-Emilio Siri, donne une image contrasté d’un artiste qui a marqué mes années d’adolescence et de jeunesse.

 Claude François (1939 – 1978), magistralement interprété par  Jérémie Rénier, a toujours eu des comptes à régler : avec son père, Aimé François (Marc Barbé), cadre supérieur de la Compagnie du Canal de Suez, homme autoritaire décidé à obliger Claude à renoncer à la vie de saltimbanque, puis homme humilié et brisé par l’exil à Monaco après la nationalisation du Canal par Nasser ; avec sa mère Chouffa (Monica Scattini), flambeuse accroc au tapis vert et au poker. Devenu riche, Claude deviendra comme son père le rêvait un homme d’affaires au style dictatorial, patron de presse et propriétaire d’une agence de mannequins ; comme sa mère, il dépensera sans compter jusqu’au bord de la faillite. Il mènera sa vie à cent à l’heure, hanté par ces personnages formidables, attentif au moindre détail jusqu’à l’obsession comme pour se rassurer dans la perfection, et parfois pris de crises d’angoisse. Florent-Emilio Siri nous dépeint un homme grisé par le succès et capable d’en jouir, mais aussi incapable de vraiment aimer, constamment jaloux de ses partenaires, incapable d’aimer vraiment une femme.

 Il y a de belles scènes dans ce film. Claude rompt avec France Gall, coupable pour lui d’avoir remporté le grand prix de l’Eurovision et de lui faire de l’ombre. France tambourine à sa porte, mais en vain. Au petit matin, il la découvre endormie, couchée à sa porte. Il la porte dans ses bras jusque dans la chambre.

 Alors que Claude est dans une frénésie de concerts, Paul Lederman (Benoît Magimel), son imprésario, lui conseille de se réinventer pour éviter le risque de devenir démodé. Claude va avec France Gall à New York, et en ramène l’idée des Claudettes : pour la première fois, la télévision française montrera une danseuse noire.

 Claude est au bord de la piscine de son moulin avec son équipe. Sous le choc de sa séparation d’avec France et à partir de quelques notes enregistrées, contemplant les nuages, il compose « Comme d’habitude ».

 Claude est au milieu des invités lors d’une réception au moulin. Il aperçoit à une fenêtre Marc, son second petit garçon, celui qu’il a voulu cacher pour le protéger des ravages de la notoriété. Il fend la foule des invités pour le rejoindre et passer un moment d’intimité avec lui.

 Cloclo n’est pas un grand film. Mais il fait écho à des émotions communes à toute ma génération et il présente un homme hors du commun dans toute sa complexité.

 Photo du film Cloclo.