Le scandale du LIBOR

 

Bob Diamond, patron démissionnaire de Barclays. Photo The Guardian

Le scandale du LIBOR vient d’entraîner la démission du tout puissant patron de la Banque Barclays, Bob Diamond.

 La Banque Barclays vient d’être condamnée à un total de 290 millions de sterlings d’amendes par l’autorité de régulation bancaire britannique FSA, le ministère américain de la Justice et la commission des marchés dérivés de marchandise. Il lui est reproché d’avoir systématiquement truqué le LIBOR (London Interbank Offered Rate) pendant les années 2005 à 2008. Son patron, l’Américain Bob Diamond, a été contraint à la démission.

L’enjeu est énorme : ce sont quelque 350 mille milliards de dollars de transactions financières qui sont indexées sur le LIBOR. Une déviation de quelques « points de base » (centièmes de pour cent) peut faire perdre des sommes énormes à un trader et les faire gagner à un autre. De 2005 à 2007, Barclays a cherché à ce que le LIBOR soit côté plus haut qu’il n’était constaté en réalité sur le marché de l’argent interbancaire, car cela permettait à la banque de vendre ses produits dérivés plus chers que leur valeur réelle. Des milliers de clients, en particuliers des petites entreprises, ont été victimes de l’arnaque. A partir de la faillite de Northern Rock en 2007, Barclays a voulu prouver que sa situation financière était solide : elle a tiré le LIBOR vers le bas en prétendant qu’elle empruntait à des taux inférieurs à ceux qu’elle rencontrait effectivement sur le marché.

 Comment cela est-il possible ? Le LIBOR est un indicateur construit par l’association britannique des banques (BBA) dans les années quatre-vingt. Il s’agit d’indiquer le plus fidèlement possible à quel taux les banques se prêtent entre elles de l’argent. Il y a un LIBOR pour chacune des dix devises prises en compte ; il y a quinze « maturités » (durée, de la journée à plusieurs années) pour chaque devise. Pour chaque sorte de LIBOR est constitué un panel de banques qui soumettent, chaque jour peu après 11 heures du matin, le taux auquel elles peuvent emprunter à des consœurs. Reuters, opérant pour le compte de BBA, écarte les 25% de cotations plus basses et plus élevées et calcule une moyenne pondérée des autres cotations. Les panélistes sont supposés soumettre les taux qu’ils observent sur le marché. Barclays a systématiquement soumis des taux qui avantageaient ses traders pendant les années fastes ou occultaient sa fragile situation de trésorerie pendant la crise.

 Le scandale du LIBOR a déclenché une tempête médiatique et politique en Grande Bretagne. Le Parti Travailliste réclame une commission d’enquête semblable à celle qui fait un remarquable travail sur les médias à la suite du scandale des écoutes par News of the World. Le Parti Conservateur, d’abord arc-bouté dans une position de refus, serait prêt à l’envisager si elle se concentrait sur la doctrine du contrôle « light touch » prônée et mise en œuvre par Tony Blair et Gordon Brown.

 La crise déclenchée par l’avidité et l’immoralité des banques dans les années quatre-vingt dix et deux mille n’en finit pas de provoquer des dégâts en termes de déficits publics et d’emplois détruits. L’opinion publique britannique est en train de divorcer de ses banques. Elle a exulté au « Diamond Jubilee » de sa souveraine ; elle voue aux gémonies Bob Diamond, l’archétype d’une arrogance financière qu’elle supporte de plus en plus difficilement.

Hymne à la pluie

Jubilée sous la pluie. Photo The Guardian

Bien que commencé sous les auspices d’une alerte sècheresse, le printemps 2012 a été particulièrement humide en Grande Bretagne. La parade sur la Tamise à l’occasion du Jubilée de la Reine Elizabeth II sous des trombes d’eau a conforté l’image d’un pays vivant une relation passionnelle avec la pluie. C’est ce que Stuart Jeffries décrit sur le mode humoristique dans un article du Guardian intitulé « voici la pluie : pourquoi secrètement nous aimons quand le temps est humide. » L’article continue : « une autre année, un autre été pourri. Nous n’aimons rien tant que nous lamenter sur le temps horrible. Et pourtant, si nous apprenions à aimer simplement nos jours pluvieux ? »

 « De tous les symboles du déclin de la civilisation britannique, dit Stuart Jeffries, aucun n’est plus poignant que la construction d’un toit rétractable au dessus du court central de Wimbledon en 2009. L’idée était d’écarter la pluie et de conserver le tennis. Quelle erreur ! Le tennis ? Personne ne va à Wimbledon pour regarder le tennis. On y va pour sentir la pluie dégouliner le long de son dos, pour voir diluer son Pimms (l’équivalent britannique de la sangria), tremper ses sandwiches et interrompre le cafardeux spectacle du tennis.

 « C’est la pluie que nous aimons vraiment. C’est seulement que nous n’osons pas l’admettre. Nous nous plaignons de ce qu’elle gâche notre été parce que nous sublimons notre passion. Nous sommes épris, trempés à l’intérieur de nous-mêmes, d’un amour qui n’ose pas dire son nom. Pensez-y. Nous nous acharnons à imaginer des situations pour rencontrer la pluie, pour en parler, pour nous immerger en elle, pour affecter du dédain à son égard.

 (…) Quand il a plu sur la Parade de la Reine sur la Tamise, le monde a vu la Grande Bretagne comme une nation qui avance sans se préoccuper du temps, avec l’esprit indomptable que l’on nous attribue, à nous les gars trempés par la pluie, sexuellement réprimés et gris dans l’âme. (Pourtant), aucun des spectateurs mouillés auraient pu être plus heureux d’être là. »

A bord du Britannia

 

A bord du Britannia. Photo "transhumances"

L’ancien yacht royal Britannia est aujourd’hui une attraction que l’on peut visiter à Leith, une banlieue d’Edimbourg. Par hasard, nous avons découvert le Britannia le jour de la parade sur la Tamise en l’honneur du jubilée de la Reine Elizabeth II

Le yacht royal avait parcouru plus de 2 millions de kilomètres entre son lancement en 1953 et son désarmement en 1997. C’est aujourd’hui une attraction touristique dont l’entrée se fait par un centre commercial ultramoderne construit à l’emplacement d’anciens docks.

 Le yacht était initialement un instrument de travail pour la Reine, sa famille et ses collaborateurs. En 1953 – 1954, le tour du Commonwealth dura 6 mois. Le navire était à la fois un palais flottant et un lieu de réception pour les personnalités des pays visités. Sa dernière visite officielle fut lors de la restitution de Hong Kong à la Chine. Sur la fin de sa carrière, le Britannia servait essentiellement pour le loisir la famille royale, principalement lors de la traditionnelle croisière d’août le long des îles occidentales de l’Ecosse.

 On est frappé par le souci de perfection dans les détails qui imprégnait tous les moments de la vie du Britannia. Le personnel pouvait changer d’uniforme jusqu’à six fois par jour. Dans la salle à manger, l’emplacement des couverts était calculé au centimètre. Les machines étaient nettoyées en permanence et devaient apparaître rutilantes.

 On est aussi frappé par la brutale division sociale. Les marins, stewards, cuisiniers, personnels d’entretien vivaient dans des cabines confinées, dormaient sur des couchettes superposées et ne disposaient que d’un minuscule coffre pour leurs effets personnels. Aux officiers étaient allouée une petite cabine individuelle. La famille royale disposait de chambres spacieuses, de salons privés et de ponts sur lesquelles elle pouvait profiter du soleil. Un système de téléphone intérieur lui permettait d’appeler du personnel de service à toute heure du jour et de la nuit. Le circuit de visite donne au touriste une idée de l’ambiance royale à bord. Dans l’un des salons, une jeune musicienne joue du piano. L’ambiance est sereine, feutrée, propre aux conversations et à la lecture.  

Salon royal à bord du Britannia. Photo "transhumances"
Téléphone royal à bord du Britannia. Photo "transhumances"

Français et Britanniques en affaires

Préparatif pour le Jubilée dans un pub de Watford. Photo "transhumances"

La chambre de Commerce Française en Grande Bretagne a organisé le 12 juin à la Résidence de l’Ambassadeur de France en Grande Bretagne un débat consacré aux différences culturelles dans les relations d’affaires franco-britanniques.

 Un premier débat de ce type avait été organisé il y a deux ans. « Transhumances » en avait rendu compte le 25 septembre 2010 sous le titre « Britanniques et Français en affaires ». La structure du débat était la même : deux personnalités répondent aux questions de Peter Alfandary, vice-président de la Chambre et animateur de son forum interculturel, puis réagissent aux questions et contributions de l’assistance. Les deux invités, Sylvia Jay et Vincent de Rivaz, ont plusieurs points communs : ils sont tous deux détenteurs des plus grandes distinctions de la République et du Royaume, la légion d’honneur et «Commanders of the British Empire » (CBE) ; l’un et l’un et l’autre exercent des responsabilités dans deux entreprises françaises au Royaume Uni, L’Oréal et EDF ; ils ont l’un et l’autre vécu des deux côtés de la Manche. Elle est Anglaise, il est Français.

 Peter Alfandary alerte contre le piège de la ressemblance. Beaucoup de choses rapprochent les Britanniques et les Français, particulièrement à l’heure de la mondialisation. Il ne faudrait toutefois pas minimiser les différences culturelles. Un  britannique cadre supérieur d’une banque française raconte la mésaventure qui lui est arrivée lors d’une de ses premières réunions au siège de la banque à Paris. Il avait doucement répliqué à un collègue français : « je ne suis pas sûr d’être d’accord avec vous ! » A Londres, cela signifie « je suis radicalement hostile à votre proposition ». A Paris, on comprit qu’il l’approuvait tout à fait.

 Les Français prennent parfois « l’understatement », la minimisation de ce que l’on formule, pour de l’hypocrisie. Il suffit pourtant de savoir décoder. Dire que l’on a un léger problème quand on est au bord de la catastrophe, que l’on trouve un plat intéressant lorsqu’il est exécrable ou qu’une décision est brave lorsqu’elle est inepte, n’est-ce pas plus élégant et moins offensant que d’appeler vulgairement un chat un chat ? Il est vrai que décoder n’est pas toujours évident. Vivre à l’étranger requiert de l’humilité : il ne faut pas hésiter à faire répéter ou à reformuler lorsqu’on a le sentiment de ne pas comprendre. La capacité des Anglais à demander et à offrir spontanément de l’aide est probablement une qualité les distingue des Français.

 Lorsqu’un Anglais arrive en retard à une réunion, il cherche une place le plus discrètement possible ; un Français va faire le tour de la table pour saluer les participants. L’un et l’autre se veulent polis. Pour le premier, la politesse consiste à ne pas déranger ; pour le second, à ne pas omettre les salutations.

 Certains comportements managériaux s’enracinent fortement dans l’éducation. Le système éducatif français sélectionne et promeut une élite et décourage impitoyablement les médiocres ; le système britannique  cherche la réussite du plus grand nombre. Beaucoup d’entreprises françaises fonctionnent encore sur la culture du blâme et de la peur ; au contraire, c’est une culture d’encouragement qui prévaut au Royaume-Uni.

 Y a-t-il plus d’égalitarisme dans la culture managériale au Royaume-Uni qu’en France ? On peut citer les considérables efforts consentis pour promouvoir la différence et éviter la discrimination par sexe, race ou âge. A Londres, nul ne se sent jugé de haut parce qu’il parle avec l’accent de Newcastle ou de Cardiff, voire de New Delhi. A Paris en revanche, on traitera avec condescendance quelqu’un qui s’exprime avec l’accent chti, marseillais ou antillais. Sans doute faudrait-il approfondir ce débat sur l’égalité. De nombreux sociologues notent que les différences culturelles de classes sont bien plus sensibles, dès la petite enfance, en Grande Bretagne qu’en France, pays où l’aristocratie se gagne au mérite, au sortir de l’adolescence, dans les grandes écoles.

 On ne peut surestimer l’importance du verre de bière après 16h le vendredi. A la City, il ne s’agit pas seulement du vendredi d’ailleurs, mais de tous les jours à partir de 5 heures de l’après-midi, avec des dizaines de personnes massées sur les trottoirs de dizaines de pubs quel que soit le temps. On y trouve des assureurs, des banquiers, des brokers, des concurrents. On y parle de tout, de la famille, du sport et du business. Il s’y forme un véritable mercato, comme entre les clubs de football, où l’on identifie et débauche les talents. Le marché financier de Londres tire sa vitalité de cette promiscuité dans la bière et le vin blanc. C’est peut-être cela qui fait de la Grande-Bretagne une « trading nation », une nation commerçante. La culture du pub est bien différente de celle du repas d’affaires français. Le pub est ouvert et multidirectionnel. Le repas d’affaires est ciblé et instrumental. Le repas d’affaires est une affaire de raison ordonnée à un but. Le pub est un espace émotif ouvert. Il y a peut-être là une vraie différence culturelle dans le milieu des affaires entre la France et la Grande Bretagne.