Prague et l’Euro

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La République Tchèque a choisi pour le moment de ne pas entrer dans la zone Euro. Mais ce choix, ou non choix, n’est guère confortable.

Beaucoup de facteurs poussent la République Tchèque à renoncer à sa monnaie, la Couronne, au profit de l’Euro : la proximité du puissant voisin allemand, son premier partenaire commercial, la vitalité de l’industrie touristique et par-dessus tout la décision du pays frère et rival, la Slovaquie, d’adopter la devise européenne. On pourrait aussi dire que, d’une certaine manière, les Pragois se sont déjà mis à l’Euro : beaucoup de prix sont d’ores et déjà affiché à la fois dans la devise nationale et la devise européenne.

Un fantasme est à la mode sur les rives de la Vltava : l’émergence d’une vraie monnaie internationale construite sur la base des droits de tirage spéciaux du FMI. Elle s’imposerait a toutes les nations et dispenserait la Tchéquie d’un choix cornélien : y aller ou non ?

Le débat est devenu plus aigu ces dernières semaines avec la crise grecque. D’une part, la cure d’austérité inouïe imposée au peuple grec fait office de repoussoir dans l’opinion publique. Mais d’un autre côté, les Tchèques se demandent si leur coquetterie ne leur a pas fait perdre une occasion historique. Les Slovaques sont entrés dans l’Euro dans une période de bienveillance. Les nouveaux venus devront montrer patte blanche, prouver que leur comptabilité nationale n’est pas truquée et qu’ils respectent scrupuleusement les critères de Maastricht que de grands pays comme la France ont allègrement jeté par-dessus bord.

Photo « transhumances »

Magie d’un monde souterrain

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Ce texte a été écrit en 2002 à Madrid. Il a inspiré ma première encontre avec Corinne Dauger, dont « transhumances » a rendu compte de la récente exposition à Paris, « Oscillations ».

La correspondance entre les lignes 4 et 5 du métro de Madrid à la Station Diego de León a triste réputation. On emprunte un escalier à angle droit, on parcourt un interminable couloir lugubre. On tente ensuite de descendre sur le quai, lorsqu’on n’en est pas empêché par le flot contraire des voyageurs qu’une rame vient soudain de libérer.

La correspondance de Diego de León est blanche de céramique, sent le désinfectant, dilate  le temps, éprouve les nerfs. Elle se présente ainsi du moins pour qui ne sait la regarder, prendre son pouls, se mouvoir à son rythme.

Car ce monde souterrain est plein de couleurs. Hommes et femmes, blancs, indiens et noirs, s’y croisent vêtus de costumes de ville, de bermudas, de minijupes et de jeans. Une jeune beauté en pantalon moulant laisse admirer son ventre bronzé et se protège de l’improbable soleil par des lunettes de star. Une autre élégante en sari noir et blanc couvre ses cheveux d’un discret fichu. Des affiches polychromes annoncent la sortie d’un film et vantent des articles de mode.

Ce monde bruit des claquements aléatoires de pas sur le sol, de chuchotements échangés et d’éclats de rire partagés. Guitaristes, accordéonistes, flûtistes se disputent cet auditorium improvisé, et leur absence donne au silence une dimension irréelle.

Ce monde est en mouvement. En de rares et éternels moments, des passantes magnifiques habitent l’espace comme la passerelle d’un défilé de mode. Elles avancent d’un pas ondoyant et sûr, conscientes de leur séduction et insouciantes du regard d’autrui.

A la correspondance de Diego de León, le plomb se change en or, le silence en mélodie et le déplacement de masse s’ouvre sur un instant de grâce.

Illustration : Corinne Dauger, « Let them go », www.corinnedauger.com

Prague, capitale baroque

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Prague est restée profondément marquée par la contre-réforme catholique consécutive au Concile de Trente. Elle est l’une des capitales européennes de l’art baroque.

On respire à Prague une ambiance italienne. Cela ne nous étonne pas. Pendant notre séjour de quatre ans à Milan, nous avons souvent eu le sentiment de vivre dans une cité d’Europe orientale. Que le contraire se vérifie dans la capitale tchèque n’est qu’un juste retour des choses.

Certaines églises ont la façade bombée, comme à Raguse ou Noto, sans toutefois atteindre le degré de raffinement du baroque sicilien. Bien que l’église de Saint Marie des Neiges soit placée sous la responsabilité des Franciscains, l’exubérance des ses statues de saints extatiques ou douloureux, ses dorures et ses colonnades torsadées ne dépareraient pas à Palerme ou à Naples.

Dans le Palais Schwartzenberg, tout près du Palais Royal, un musée d’art baroque présente, au rez de chaussée, des statues contemporaines de celles du Pont Charles. Elles expriment avec force une religion sensuelle faite de mouvement, de douleur et d’exaltation.

Trois cents ans plus tard, Alfons Mucha, figure marquante de l’Art Nouveau, développa un style fleuri, épique et généreux fortement inspiré par le baroque. Un musée lui est consacré. Il présente notamment les affiches réalisées pour annoncer des pièces jouées par Sarah Bernhardt.

Photo « transhumances », le Pont Charles.

Week-end à Prague

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Une réunion professionnelle à Prague nous a donné l’occasion de découvrir cette ville remplie d’histoire. « Transhumances » y consacrera plusieurs articles.

Nous étions le week-end dernier à Berlin. Prague nous plonge dans une tout autre ambiance. La capitale allemande nous est apparue austère, horizontale, quadrillée par de grandes avenues monotones. Le site de Prague, dans un coude de la rivière Vltava, a comme un petit air d’opérette avec son château au faîte de la colline, le Pont Charles et ses statues baroques, ses musiciens et ses caricaturistes, et les dômes des églises de la vieille ville.

La vieille ville a conservé sa configuration médiévale, avec des rues étroites et tortueuses interdites aux automobiles. On ne sait d’ailleurs comment les voitures se fraieraient un passage dans le flot compact des touristes accourus en masse ce week-end de Pentecôte. Il y a toutefois une exception : des guimbardes d’avant guerre, retapées de couleurs pimpantes, proposent un circuit pour 1.200 couronnes, environ 40 euros. Sur la rivière, des dizaines de bateaux offrent une promenade sous le pont Charles, parfois au son d’un orchestre de jazz.

La grand-place, surmontée par la statue de Jean Hus et l’horloge astronomique, est transformée ce soir en espace de concert. Une foule en liesse toute grimée de bleu, blanc et rouge célèbre la victoire de l’équipe nationale de hockey sur glace.

Il y a des centaines de boutiques de souvenirs, dont les spécialités sont le cristal de Bohême et la marionnette. L’offre de restaurants est pléthorique, et les restaurants tchèques peinent à soutenir la concurrence des italiens. J’ai particulièrement apprécié un ragoût de porc servi avec de la choucroute et de la purée de pommes de terre, et arrosé d’une délicieuse bière brune. Une autre attraction touristique est le concert de musique baroque. Plusieurs églises ou palais en proposent chaque soir.

Les artères de la ville moderne, bien ombragés, sont parcourues par des tramways que l’on croirait sortis d’un musée des chemins de fer urbains. Des attelages de deux voitures brinquebalantes des années cinquante croisent des rames ultramodernes, profilées et silencieuses.

Photo « transhumances »