Commissaire Européen

Le Commissaire Européen Michel Barnier a récemment rencontré des dirigeants de compagnies d’assurance britanniques.

  La rencontre ne s’annonçait pas facile : la Commission européenne travaille au renforcement des obligations des compagnies d’assurance en termes de fonds propres (projet « Solvency II »), mais celles-ci considèrent que le projet va trop loin.

 Le Commissaire Barnier délivre en bon anglais la partie protocolaire de son message, mais passe au français lorsqu’on entre dans une discussion technique dont chaque terme doit être mesuré au millimètre près. Il parle d’une voix chaude et un peu chuintante. Curieusement, chaque phrase est ponctuée d’un « hein », dont il est difficile de savoir s’il s’apparente au « han » du bûcheron ou du joueur de tennis après un coup de hache ou de raquette ou au « n’est-ce pas ? » de celui qui cherche l’approbation.

 Michel Barnier revendique hautement sa qualité d’homme politique. Il ne se positionne pas comme le chef d’une administration, mais comme le responsable d’un projet qui consiste à rendre le système financier européen plus sûr tout en respectant sa diversité.

 Les mesures de sécurité qui accompagnent son déplacement, la stricte contrainte de temps de la rencontre, le fait qu’il s’exprime dans une langue étrangère, l’abondant usage de la première personne (« je veux que… »), tout cela érige une barrière entre le Commissaire Barnier et l’assistance. Pourtant, le fait qu’il parle de manière compétente des sujets quotidiens de son auditoire et son insistante disposition au dialogue en font un acteur du marché londonien de l’assurance.

 Photo de Michel Barnier, Commission Européenne

Lignes de faille

Dans « Fault lines, how hidden fractures still threaten the world economy » (lignes de faille, comment des fractures cachées menacent encore l’économie mondiale, Princeton University Press, 2010), l’économiste Raghuram G. Rajan fournit une analyse stimulante de la crise financière de 2008 et préconise des solutions pour éviter sa répétition.

 Ancien économiste en chef du FMI lorsque Rodrigo Rato en était le directeur général, Raghuram Rajan aime l’ancienne désignation des sciences économiques comme « économie politique ». Il identifie trois failles qui, comme dans la tectonique des plaques, sont le point d’application de puissantes forces antagonistes susceptibles de causer dans le monde financier des tremblements de terre de forte intensité. Toutes sont liées à l’organisation sociale dans les pays industriels et dans les pays en développement.

 Trois lignes de faille

 La première faille se situe aux Etats-Unis. La hantise des Pouvoirs Publics est la propriété par chacun de son logement : donner aux pauvres accès au crédit immobilier est vu come un remède à la stagnation des revenus dans un contexte d’inégalité croissante. Stimuler la construction limite l’extension du chômage, alors que le filet de sécurité sur lequel peuvent compter les gens sans emploi est très mince. Pour cela, la Fed maintient artificiellement des taux d’intérêt bas et le gouvernement donne au secteur bancaire une garantie implicite qu’il viendra à la rescousse en cas de problème majeur. Il en résulte une distorsion de l’appréciation de l’appréciation des risques par les banques qui souscrivent avec enthousiasme la queue de la courbe de Gausse du risque, celle qui est constituée par des catastrophes majeures à très faible probabilité d’occurrence.

 La seconde faille est constituée par les déséquilibres commerciaux. De nombreux pays émergents, au premier rang desquels la Chine, imitent le chemin de croissance du Japon et de la Corée, fondé sur les exportations. Instruits par la crise monétaire de 1987, ils construisent des excédents de change colossaux. Ce sont eux qui, en dernier ressort, financent l’économie américaine, alimentent les bulles spéculatives et permettent aux consommateurs américains de vivre au-dessus de leurs moyens.

 La troisième faille se situe au point de rencontre entre les systèmes financiers « à distance » (at arm’s length) des pays industriels et ceux des pays en développement. Dans les premiers, le système financier est fondé sur la disponibilité de l’information sur les acteurs économiques et sur la stabilité du cadre juridique qui permet aux contrats de s’exécuter sans surprise. Dans les pays en développement, en revanche, la connaissance personnelle des débiteurs est le critère essentiel. Lorsque des banques des pays industriels prennent des risques dans les pays en développement en appliquant leurs propres critères, cela conduit souvent au désastre.

 Le recentrage de l’Etat

Raghuram Rajan propose que l’Etat cesse de s’immiscer dans le soutien à court terme de l’activité économique : les taux d’intérêt bas et les dépenses publiques non gagées sur des recettes correspondantes nourrissent les déficits et les bulles spéculatives, créent finalement peu d’emplois et agissent comme une drogue toxique. L’Etat devrait aussi faire savoir qu’il n’interviendra pas en cas de faillite des banques : son abstention rendra possible la détermination par le marché du juste prix du risque et évitera qu’au final le contribuable paie les pots cassés. En revanche, l’Etat devrait intervenir beaucoup plus activement dans la construction d’une protection sociale qui limiterait l’angoisse des travailleurs de perdre, en même temps que leur emploi, leur couverture maladie. Son action rendrait à nouveau crédible le récit américain sur l’ascension sociale de tous ceux qui ont la volonté et le talent.

 Il y a nombre d’idées intéressantes dans le livre de Rajan, telle cette recommandation au FMI : il est vain d’attendre que les Etats abandonnent leurs prérogatives et confient au FMI un rôle d’arbitre semblable à celui de l’Organisation Mondiale du Commerce (encore que la crise grecque semble démontrer que la désunion des Etats peut hisser la FMI au rôle de gendarme financier). Il préconise que le FMI joue le rôle d’un lobbyiste mondial, prêchant la bonne parole de la rigueur financière auprès des cercles influant la définition des politiques.

 Une curiosité linguistique est l’usage systématique du genre féminin au sens du neutre. Par exemple : « the broker who sells bonds issued by an electric power project rarely sees the electricity that is produced (…) She is merely a cog in a gigantic machine” (le courtier qui vend des obligations émises par un projet de centrale électrique voit rarement le courant qui est produit (…) Elle n’est qu’un rouage dans une machine gigantesque.)

Anthropologie de la City

Dans The Guardian du 15 septembre, Joris Luyendijk annonce le lancement d’une recherche anthropologique sur les banquiers de la City de Londres. L’étude, interactive, est appuyée sur le blog http://guardian.co.uk/bankingblog.

 Le domaine des banques est nouveau pour Luyendijk, qui a principalement travaillé au Moyen Orient, dans les bidonvilles du Caire puis en Palestine entre les leaders du Hamas et les colons juifs. Il se propose de découvrir leurs sous-cultures, leurs codes vestimentaires, leurs manières de parler, leurs stéréotypes, leurs conventions et naturellement leurs plaisanteries : « tous les économistes savent qu’il y a trois sortes d’économistes : ceux qui savent compter et ceux qui ne savent pas. »

 « Le sous-titre du blog, dit Luyendijk, est « devenir un indigène dans le monde de la banque ». C’est un clin d’œil au risque de s’identifier de trop près avec les gens que l’on étudie. C’est ainsi qu’après un bout de temps en Papouasie Nouvelle Guinée, les sacrifices humains finissent par sembler assez raisonnables. »

 Luyendijk parle du code vestimentaire. « Un avocat d’affaires et moi étions assis dans un restaurant nommé l’Anima, un endroit sobrement décoré d’Exchange Square, l’un des plus grands quartiers de bureaux de la City. Il scruta les tables autour de lui et dit : « il y a principalement des avocats ici. Pas d’épouses ou de petites amies spectaculaires, pas de femmes habillées de manière extravagante. Je vois des hommes qui gardent leur veste – ce que nous avons tendance à faire en tant qu’avocats. Beaucoup d’avocats ne voudraient pas être le premier à tomber la veste, et la plupart des avocats que je connais la conservent quoi qu’il en soit. Garder l’uniforme vous fait sentir solide (…). Etre ennuyeux est une bonne chose pour un avocat. Nous vendons de la fiabilité, de la solidité et de la prudence. Nous voulons que notre manière de nous présenter reflète cela. Et nous facturons souvent des honoraires substantiels, alors nous de faisons pas étalage de notre richesse parce que les clients vont se demander : bon, est-ce que je ne suis pas en train de payer trop cher ? »

 « Il se mit alors à comparer son habillement à celui d’un banquier spécialiste en fusions et acquisitions. Les banquiers peuvent s’habiller dans un style très voyant et conduire des voitures très couteuses. La raison en est qu’ils vendent des entreprises à leurs clients, et qu’ils font de leurs clients des gens très riches. Si je suis un banquier spécialiste en fusions et acquisitions et que j’irradie la richesse et le succès, des nouveaux clients potentiels ne vont pas penser : est-ce que je suis en train de payer trop cher ? Les clients potentiels vont penser : ce gars a rendu d’autres gens riches, il doit être très bon, je vais m’attacher ses services de manière a devenir riche moi aussi ». »

 Photo « the Guardian »

2033 Atlas des Futurs du Monde

« 2033, Atlas des Futurs du Monde », par Virginie Raisson (Robert Laffont, 2010), est un livre exceptionnel. Cet atlas ne représente pas le monde tel qu’il est, mais tel qu’il pourrait être dans 20 à 40 ans.

Dans l’éditorial du blog www.lesfutursdumonde.com, Virginie Raisson définit ainsi son programme. « Le futur n’est pas écrit et rien ne permet de le « prédire ». Cependant, des forces sont en jeu qui, dès aujourd’hui, engagent les lendemains de la planète et nous invitent à réagir » Elle nous invite à « explorer le présent pour repérer les futurs en gestation, partager l’information et l’analyse prospectives, décaler le regard pour donner de la vision, faire les liens pour éclairer la réflexion, lancer le débat pour rendre à chacun ses responsabilités. »

L’Atlas s’intéresse aux tendances lourdes qui définissent dès aujourd’hui ce que sera notre planète demain : l’alimentation, l’eau, la démographie (une planète trop peuplée ?), les énergies et les matières premières et naturellement le climat. La cartographie est innovante, colorée et soignée, à la manière du « dessous des cartes », l’émission d’Arte, et on a l’impression de feuilleter de la belle ouvrage.

Il fait le point des connaissances scientifiques actuelles, et en ce sens semble parfois déprimant, tant elles laissent augurer des catastrophes inévitables. Mais il ouvre aussi des pistes de réflexion, des alternatives, des plans d’action. Il ne dédaigne pas la fiction, décrivant comme des reportages écrits au présent des réunions de chefs d’état et des conférences internationales en 2033.

J’ai lu ce livre avec passion. Parmi les nombreuses choses qu’il m’a apprises, le fait que la principale alternative au pétrole d’ici 2050 devrait être… le charbon ! L’épuisement prévu des gisements de diamant en 2017, d’or en 2030 et de fer en 2047. Et les nouvelles perspectives que le réchauffement climatique offre au nord du Groenland et au nord du Canada, avec la perspective que s’ouvrent de nouvelles routes maritimes qui concurrenceront durement des canaux de Suez et de Panama.