Le mensonge

Jérôme Cahuzac dans son rôle de Ministre du Budget

 Un aspect intéressant de l’affaire Jérôme Cahuzac est la réflexion qu’elle a suscitée en France sur le mensonge.

 Jérôme Cahuzac, ancien Ministre du Budget, a donc avoué avoir menti, lorsqu’il niait « en bloc et en détail », « les yeux dans les yeux », être titulaire d’un compte à l’étranger.

 Sur France Inter le 4 avril, le philosophe Raphaël Einthoven affirmait qu’on avait tort de placer cette affaire sur le registre de la morale et même de la religion en parlant de « faute » et de « pardon ». Il appelait à réduire cette histoire au respect du doit fiscal. Mais peu après, un micro-trottoir dans la cour d’une école primaire dégonflait la baudruche du philosophe. Les enfants s’exprimaient sur le mensonge. A-t-on le droit de mentir ? Qu’est-ce qu’un petit ou un gros mensonge ? Qu’est-ce qu’on ressent quand on a menti ? La voix des enfants ramenait l’affaire sur le terrain de la confiance trahie et du code éthique qui cimente la société.

 Pourquoi Cahuzac a-t-il menti ? Lorsqu’il doit s’expliquer sur un message téléphonique malencontreusement arrivé par erreur sur la boîte vocale d’un rival politique, dans lequel il évoque son compte en Suisse, il dit : « cela ne peut être moi ». Il ne dit pas : « ce n’est pas moi », mais « cela ne peut être moi ». Tout se passe comme si deux personnes s’avançaient en parallèle, celle du militant socialiste rocardien, pugnace et intègre ; et celle du chirurgien esthétique affairiste et fraudeur. Le premier ne peut accepter que le second coexiste en lui : « cela ne peut être moi ».

 Pourquoi Cahuzac a-t-il persisté dans le mensonge, alors qu’un aveu précoce accompagné du rapatriement des fonds aurait minimisé l’affaire ? L’un de ses amis, un député socialiste, expliquait aussi au micro de France Inter, que l’ancien ministre du budget « ne pliait pas ». Au contraire du roseau de Pascal, il rompt.

 Jérôme Cahuzac, avec ses contradictions et son mensonge, est un véritable personnage de roman. Son histoire individuelle est intéressante. Le défi qu’elle représente pour la démocratie est fascinant et inquiétant.

Tristesse française

 

Edith Piaf, archétype de la tristesse française, selon The Observer

Dans The Observer du 24 mars, Jamie Doward évoque le paradoxe français : malgré un haut niveau de vie et un Etat-Providence incomparable, les Français sont « gloomy », sombres et tristes. Une étude a démontré que c’est un fait culturel : on enseigne aux Français la tristesse.

 L’article se réfère à une étude de Claudia Senik, professeure à la Paris School of Economics. Elle explique que sur une échelle de bonheur graduée de 1 à 10, les Français se placent à 7,2 ; avec un indice de développement humain comparable à celui de la France, les Belges se situent à 7,7 et les Danois à 8,3. L’usage de psychotropes et le taux de suicide des jeunes se situent à des niveaux record en Europe.

 Quelque chose se joue dans la « mentalité » française qui fait qu’à niveau de vie comparable, un Français a 20% moins de chance de se sentir heureux qu’un citoyen d’un autre pays européen. Claudia Senik ne donne pas d’explication, mais elle vérifie statistiquement  qu’un Français expatrié dans un autre pays se sentira moins heureux qu’un natif de ce pays, et qu’inversement un émigré récemment arrivé en France se sentira en moyenne plus heureux qu’un Français né en France et passé par le moule culturel français.

 Puisqu’il faut tenter une explication, il me semble que l’éducation est la clé de la tristesse française. En France, l’école est massivement orientée à fabriquer des élites. On réprimande plus volontiers ceux qui ne réussissent pas qu’on ne cherche à encourager le plus grand nombre. Les jeunes Français sont incités à se comparer en permanence à ceux qui réussissent. Il en résulte une frustration de ne pas être « au top », un ressentiment à l’égard des « riches » (tous ceux qui possèdent plus que soi-même), une difficulté à se contenter de ce que l’on a. Ils rêvent d’une société égalitaire, ou du moins d’une société qui leur donnerait autant qu’à chacun des autres. A l’heure où « l’ascenseur social » est en panne, la manie de se comparer se transforme en souffrance sociale durable et profonde.

 The Observer illustre l’article de Jamie Doward par une photo d’Edith Piaf, avec cette légende : « la figure hantée de la chanteuse Edith Piaf représente un archétype de la tristesse gauloise ». L’illustration est sans doute mal choisie : Edith Piaf était possédée d’une rage de vivre qui versait parfois dans la mélancolie, mais souvent aussi dans la délectation de l’instant de bonheur. Rage de vivre, joie de vivre.

Agnosticisme

 

Reconstitution de la Passion du Christ à Chimayo, Nouveau Mexique. Photo « The Guardian »

Dans The Guardian du 29 mars, jour de la célébration par les Chrétiens du Vendredi Saint, l’écrivaine britannique Roz Kaveney expliquait sa position d’agnostique.

 « Comme beaucoup de non-croyants, je me rappelle la foi, et pas seulement le Vendredi Saint. Je me souviens de l’agréable marmonnement de la liturgie, l’odeur de talc ou la transpiration alcoolisée de la personne agenouillée à côté de moi, le poids que l’absolution retirait et le goût crayeux de rédemption sur ma langue. Je me rappelle du délice hébété des méditations sur l’éternité – jusqu’à ce qu’un jour il devint plus simple et plus clair de ne pas croire en des choses parce qu’elles étaient impossibles, mais d’accepter simplement qu’elles étaient de l’embrouille intellectuelle. Ce n’étaient pas seulement mes propres luttes avec la sexualité et mon identité de femme – c’était la souffrance que je voyais les dogmes religieux infliger partout. La foi était en train de briser mon cœur, mais la foi se brisa d’abord. »

 Les contradictions entre les convictions éthiques des croyants et leurs comportements ne suffisent pas à disqualifier la foi, pas plus que les horreurs perpétrées par le fanatisme religieux. Pour Roz Kaveney, la difficulté réside dans le concept même de texte révélé. Qu’un texte écrit à un moment historique et dans un contexte social déterminés, dans un langage souvent poétique avec une claire intention poétique, puisse être la déclaration infaillible de l’esprit d’un dieu éternel représente un saut de foi trop grand pour beaucoup de gens.

 L’auteur appelle à une position modeste. Il faut accepter l’incertitude : nous ne disposons pas, et ne disposerons jamais, d’un langage adéquat pour parler de la transcendance. Il nous faut vivre généreusement avec les autres et créer du beau comme si des choses meilleures étaient vraies. C’est ce qu’on appelle agnosticisme.

La pauvreté recule dans le monde

Alors que le pessimisme prévaut en Europe, un rapport de l’Université d’Oxford montre que l’extrême pauvreté est en régression rapide dans le monde.

 Un rapport des Nations Unies publié la semaine dernière affirmait que la dynamique de réduction de la pauvreté dans les pays en développement dépasse toutes les attentes : « le monde assiste à un rééquilibrage global historique avec une croissance plus forte dans au moins 40 pays pauvres, ce qui favorise la sortie de centaines de millions de personnes de la pauvreté et leur accès à une nouvelle classe moyenne. Jamais dans l’histoire les conditions de vie et les perspectives de tant de gens ont changé si fortement et si vite ».

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