Plebsgate

Andrew Mitchell. Photo The Guardian;

La désinence du mot Watergate a servi depuis des dizaines d’années à nommer une grande variété de scandales : le dernier en date, le « Plebsgate », a conduit à la démission du « Chief Whip » britannique, Andrew Mitchell, à la suite d’une altercation avec des policiers assurant la sécurité de Downing Street.

 Le Chief Whip est l’équivalent du président du groupe parlementaire de la majorité en France, mais à la différence du système français il fait aussi partie du gouvernement. Son rôle consiste à s’assurer que les députés de base (backbenchers) suivent les consignes de vote du gouvernement. Le mot « whip » signifie fouet, ce qui indique la nature pas totalement paisible de la fonction.

 Andrew Mitchell a probablement été choisi pour ce rôle en raison de son tempérament combatif. Toujours est-il que, confronté à des policiers qui refusaient de le laisser passer à bicyclette par la grande porte qui barre Downing Street et prétendaient l’obliger à emprunter la sortie de service, il s’échauffa et insulta copieusement les fonctionnaires de police. Mitchell s’est excusé pour son comportement déplacé. En revanche, il ne reconnait pas avoir prononcé deux mots que les policiers lui attribuent : « morons » (attardés mentaux) et « plebs » (prolos). A vrai dire, ce n’est que le second qui fait problème. L’opinion britannique y a vu une illustration du mépris de l’élite Tory, formée à Eton, Oxford et Cambridge, pour les couches populaires.

 Le problème pour Mitchell est que ce fut sa parole contre celle des policiers. A ce jeu, il ne pouvait avoir le dessus : prétendre que les policiers mentaient ne pouvait que confirmer le sentiment qu’il les méprisait. Nourri de ce cercle vicieux, le « plebsgate » s’enfla de semaine en semaine. L’acharnement de David Cameron à défendre son Chief Whip s’est révélé une coûteuse erreur politique.

Confession d’un Cardinal

Le livre « Confession d’un Cardinal » d’Olivier Le Gendre (JC Lattès 2007) est présenté par l’éditeur comme celui dont toute l’Eglise parle.

 Peu après le Conclave qui élit Ratzinger comme pape sous le nom de Benoît XVI, un Cardinal demande à l’écrivain catholique Olivier Le Gendre de l’aider à écrire ses mémoires. Octogénaire, il sait son temps de vie limité ; retraité de la Curie, il s’inquiète et se désole du réflexe de peur qui a conduit à la récente élection et entend proposer une perspective positive à l’Eglise Catholique.

 Le livre est construit autour de trois lieux. Au Vatican et dans le quartier du Trastevere, le Cardinal évoque le récent Conclave et explique comment les Cardinaux, pris de vertige par la disparition d’un pape de l’envergure de Jean-Paul II , se sont ralliés à celui qui avait été son plus proche collaborateur. Il regrette qu’ait été élu un théologien plutôt qu’un homme de terrain, un européen plutôt qu’un évêque du monde émergent, un homme âgé plutôt que dans la force de l’âge.

 L’horreur du génocide rwandais

 La seconde série d’entretiens se déroule dans la maison de famille de Le Gendre près d’Avignon. La Cité des Papes se prête bien à l’exercice auquel se livre le Cardinal : une analyse sans complaisance de l’histoire de l’Eglise. Le jugement se fait de plus en plus critique à mesure que l’on se rapproche du temps présent. Le Cardinal s’afflige du divorce croissant entre l’Eglise et ce qu’il nomme le monde, et encore plus d’une tendance dans l’Eglise à considérer que dans cette séparation, les torts sont du côté du monde, sujet «à la dictature du relativisme ». S’il évoque, naturellement, le scandale des prêtres pédophiles, les plus belles et plus terribles pages de son réquisitoire sont consacrées au Rwanda. Ce pays « constituait, pensions-nous, un exemple de la réussite de l’évangélisation en Afrique. Des fidèles actifs, des religieuses du pays en grand nombre, un clergé local formé, de nombreuses institutions charitables, des écoles… Un modèle de greffe réussie de la foi chrétienne dans un pays récemment évangélisé. Survint le génocide. » « Six millions de juifs sont morts durant la période noire de la seconde guerre mondiale, en l’espace de plusieurs années, donc, avec des moyens techniques très élaborés. Un million de Rwandais ont été massacrés en moins de cent jours, ce qui suppose, quand vous prenez conscience de ce qui se cache derrière les chiffres, une action collective de tout un peuple contre une ethnie voisine. Cent jours où, tous les matins, des hommes des campagnes et des villes se levaient pour aller chasser leurs anciens voisins tutsis comme ils se levaient quelques jours encore auparavant pour aller cultiver leur terre. Cent jours pour massacrer dans des conditions atroces un million de personnes, entre voisins. Il n’y a pas d’autres événements comparables dans l’Histoire de l’humanité, parce que justement il n’y avait plus d’humanité dans les collines durant ces cent jours ».La sœur du Cardinal était religieuse au Rwanda pendant les massacres. Les témoignages recueillis sont bouleversants. Ils semblent sanctionner l’incapacité du Christianisme à générer, là où il exerce une réelle influence, une société fraternelle fondée sur les principes évangéliques.

 Humaniser la mondialisation marchande

 La troisième scène du livre est un pays du sud-est asiatique dans lequel l’influence de l’Eglise Catholique est négligeable. Elle gère toutefois des institutions qui accueillent des victimes des changements brutaux qui traversent la société : enfants prostitués, sidéens, handicapés, tous rejetés par leurs familles. C’est là que le Cardinal a choisi de vivre le reste de sa vie. Il plaide pour une foi qui se révèle dans la brise légère de la compassion plus que dans les proclamations tonitruantes. Ici aussi, le livre nous offre des témoignages de première main, beaux dans leur simplicité. Le Cardinal élabore à partir d’eux une proposition pour l’Eglise. Elle doit témoigner de la tendresse de Dieu dans un monde bouleversé par un phénomène irréversible, la mondialisation, qui crée de la richesse, multiplie les opportunités, suscite la rencontre des peuples et des cultures ; mais phénomène aussi qui relègue un nombre croissant de personnes sur les marges et broie les plus faibles. « Notre Eglise est la seule puissance spirituelle centralisée mondiale. Plutôt que de se tourner vers la restauration de son passé soi-disant glorieux, elle est appelée à jouer un rôle prépondérant pour tenter de proposer avec d’autres une alternative à la mondialisation marchande. Cette alternative consiste à humaniser une mondialisation qui déshumanise à tour de bras. »

 La Confession d’un Cardinal stimule la réflexion mais génère aussi des frustrations. La plus apparente se résume en une question : pourquoi le Cardinal avance-t-il masqué ? Il y a dans le livre des faits et des dates qui semblent écarter l’idée que le livre de Le Gendre soit une pure fiction, mais un doute subsiste. Et si le Cardinal existe, si sa Confession est authentique, si c’est un prélat reconnu par ses pairs, pourquoi ne se nomme-t-il pas ?

 Une seconde frustration dérive de la première. Hormis une longue histoire partagée, celle de dizaine d’années à la Curie et celle de siècles de papauté, le Cardinal a-t-il encore les mêmes valeurs que les Cardinaux qui, à la suite de Pie IX, Pie XII et Jean-Paul II se battent pied à pied contre le monde moderne et pour sauvegarder ce qui peut l’être de la chrétienté ?

 Plus profondément, c’est le noyau de la foi chrétienne qui est en cause. Il est incontestable que l’image d’un Dieu silencieusement présent aux côtés de l’humanité souffrante fait partie du patrimoine spirituel chrétien. Mais le noyau dur du christianisme est l’incarnation de Dieu, une fois pour toutes, dans un homme déterminé à un moment précis de l’histoire. Comment le Cardinal rend-il compte de cela ? S’agit-il d’un récit de nature épique ou poétique, ou bien d’une Vérité révélée ? Dans le deuxième cas, comment éviter que l’Eglise s’arroge la position de supériorité de celui qui dispose de la totalité des moyens du salut ? Peut-elle se placer humblement au même rang que d’autres dans l’immense tâche d’humanisation de la mondialisation marchande ?

 Olivier Le Gendre a publié un second livre : « l’Espérance du Cardinal ». Peut-être propose-t-il une réponse à ces interrogations ?

Hans Küng

Hans Küng, photo The Guardain

Le compositeur britannique britannique Jonathan Harvey vient de donner au Royal Festival Hall la première de sa symphonie « Weltethos », inspirée de l’œuvre du théologien Hans Küng.

 Hans Küng, 84 ans, est une figure marquante du Christianisme. Il y a une trentaine d’années, j’avais été passionné par sa christologie, imprégnée par la pensée de Hegel (Incarnation de Dieu, 1970, traduction française DDB 1973). Sa fondation Siftung Weltehos (fondation pour une éthique globale) milite en faveur d’un dialogue approfondi entre les religions, les religions monothéistes mais aussi le Confucianisme, le Bouddhisme et l’Hindouisme.

 Dans une interview donnée à Kate Connolly, du Guardian, il indique que la seule voie de réforme de l’Eglise Catholique est à partir de la base. Il appelle les chrétiens, y compris les prêtres, à se soulever et à cesser d’être serviles.

 Sa relation avec l’actuel pape, Ratzinger, est compliquée. Ils étaient ensemble étudiants à Tübingen. L’austère Ratzinger roulait à bicyclette, le flamboyant Küng en Alfa Romeo Giulietta. Après le soulèvement de 1968, l’un évolua vers des positions de plus en plus conservatrices. L’autre devint le porte-parole d’un prophétisme chrétien dont on peut craindre qu’il devienne de plus en plus inaudible… sauf s’il se vêt des atours d’une symphonie !

Bristol Pound

 

L'affiche du lancement de la livre de Bristol

 

La ville de Bristol vient de lancer sa monnaie locale : la livre de Bristol, Bristol pound.

 La livre de Bristol est émise par une « credit union », l’équivalent d’une caisse de crédit mutuel. Les usagers peuvent y ouvrir un compte sur la base de la parité : 1 livre sterling est convertie en 1 livre de Bristol. Ils peuvent payer en Bristol pound des biens et des services proposés par des commerçants qui l’acceptent, plus d’une centaine actuellement. Elle prend la forme de coupures de £1, £5, £10 et £20, mais elle peut aussi être utilisée électroniquement pour payer des factures, par ordinateur ou depuis un téléphone portable. Puisque la Bristol Credit Union est homologuée par le régulateur bancaire, la FSA, les déposants jouissent d’une garantie de leurs avoirs jusqu’à 85.000 livres par personne.

 L’objectif de cette monnaie est de retenir dans l’économie locale une part plus grande des revenus qu’elle génère. Les commerçants espèrent que les acheteurs se tourneront vers eux pour écouler leur monnaie locale. Les consommateurs agissent par patriotisme régional : ils entendent participer à une initiative qui stimule l’économie de leur ville. Autre argument ; s’ils utilisent un compte électronique libellé en Bristol pound, ils reçoivent une prime de 5 livres pour 100 livres déposées.

 D’autres villes britanniques ont mis au point un système semblable : Totnes, dans le Devon, se lança en  2006. Bristol a plusieurs atouts : sa taille, le soutien d’une « credit union » et celui de la municipalité, ainsi que la coexistence d’une forme papier et d’une forme scripturale.

 « Transhumances » a rendu compte en novembre 2009 de l’expérience de la Banque Palmas qui gère une monnaie locale dans le périmètre d’une favela, le Conjunto Palmeiras. L’objectif était de créer de la richesse en partant du principe que le produit brut d’un territoire est le produit de la masse monétaire par sa vitesse de circulation. En faisant circuler très vite une monnaie dans un espace restreint, on accroit le revenu de ses producteurs et de ses consommateurs. Les initiateurs de la Bristol pound évoquent l’effet multiplicateur de la circulation de la monnaie locale. Les objectifs sont toutefois modestes : 125.000 Bristol pounds en circulation aujourd’hui, et un objectif de 500.000 dans un an qui ne représente qu’une fraction infime de la monnaie en circulation dans la région. Mais l’effet symbolique est considérable : Bristol rejoint d’autres grandes métropoles, comme Hambourg ou Toronto, dans le club des villes avides d’innovation sociale et décidées à la faire advenir.

Coupures de Bristol pound