Une Grande-Bretagne oubliée

 

Un sans abri dans une ville anglaise. Photo The Guardian.

Dans The Guardian du 10 mai, Stephen Bubb, le patron de « The Association of Chief Executives of Voluntary Organisations » (association des patrons des associations de volontaires) tire la sonnette d’alarme : “au milieu de la grande richesse, nous sommes en train de créer une Grande Bretagne oubliée ».

 Stephen Bubb s’inquiète des conséquences des coupes budgétaires sur les populations les plus fragiles : les sans-abris, les victimes de violence domestique, ceux qui ont des problèmes de santé mentale, les gens âgés et seuls, les enfants dans des familles cassées. Il y a l’impact des réductions de dépenses sociales elles-mêmes, pour ceux dont la vie en dépend. Il y a le déficit démocratique dans un contexte où l’Etat central transfère des responsabilités sur des pouvoirs locaux qui sont faibles et ne rendent guère de comptes. Il y a enfin l’évolution des mentalités, avec des nantis (« haves ») qui vivent des vies de plus en plus parallèles à celles des démunis (« have-nots ») au point de ne plus même voir leur existence.

 Dans la même édition du quotidien, le journaliste Randeep Ramesh amplifie la tribune libre de Stephen Bubb. Il cite une étude du Centre National pour la Recherche Sociale sur les attitudes sociales des Britanniques. Plus d’un quart des personnes interrogées pensent que la pauvreté est le résultat de la « paresse » ou d’un « manque de volonté ». Ce chiffre n’était que de 15% au milieu des années quatre-vingt dix.

 Il existe en effet un risque que les « have-nots » soient oubliés. Et, plus radicalement, que nul ne les voie plus, bien qu’ils soient tous les jours sous nos regards.

Un dangereux aveuglement

 

 

Rupert et James Murdoch devant la Commission Leveson en 2011

 

Dans The Guardian du 2 mai, Margaret Heffernan revient sur l’audition de Rupert Murdoch par la Commission Leveson.

 La journaliste s’interroge sur l’aveuglement volontaire que la Commission Leveson reproche à Murdoch. « Les gens en position de grand pouvoir, dit-elle, vivent dans une bulle. Ceci peut revêtir une réalité physique : Murdoch n’emprunte pas les vols réguliers et ne fréquente pas des espaces publics – et, si l’on en juge par ses prestations devant les parlementaires et Leveson, il est clair qu’il n’est pas habitué à faire face à des questions impromptues et des questionnements inattendus.

 Dans ce cocon il se développe un sens de sécurité à la fois physique et intellectuelle qui est immensément dangereux. Ces gens sont entourés par d’autres qui souhaitent leur plaire et qui espèrent acquérir du pouvoir en agissant ainsi (…)

 Mais Murdoch a-t-il choisi d’être aveugle ? Il a choisi de s’entourer de loyalistes, pas de critiques – avec des cadres supérieurs qui étaient politiquement et financièrement dépendants – tout en perdant les fidèles les plus robustes qui pouvaient lui résister. Murdoch a organisé sa gouvernance d’entreprise de manière à rendre quelque forme de questionnement que ce soit difficile et inefficace – tandis que les actionnaires choisissaient de s’aveugler eux-mêmes par de hauts dividendes. »

 Heffernan cite d’autres exemples d’aveuglement : les patrons des banques Lehman Brothers et Bear Stearns face aux risques potentiels de leurs activités, ainsi que l’Eglise Catholique au début du scandale des prêtres pédophiles.

 Voisi sa conclusion : « C’est la responsabilité des puissants de s’assurer qu’ils s’entourent eux-mêmes de penseurs indépendants et d’alliés critiques qui ont la liberté et le courage de leur dire la vérité. Quand les leaders choisissent de ne pas suivre cette voie, ils embrassent l’aveuglement et l’obscurité morale qui va avec elle. »

Le Royal College of Surgeons

 

Armoiries du Royal College of Surgeons, 1822

Le Collège Royal des Chirurgiens (Royal College of Surgeons) joue un rôle important dans la formation initiale et permanente des chirurgiens en Angleterre.

 La visite est organisée pour les membres de la section britannique de l’Ordre National du Mérite à l’invitation d’Adrian Marton, ancien vice président du College. Adrian nous parle de son histoire. Pendant longtemps, barbiers et chirurgiens, deux métiers autorisés à faire couler le sang, ont fait cause commune : c’est une compagnie des barbiers – chirurgiens que le roi Henri VIII reconnait en 1540. Les chirurgiens ne se séparent des barbiers qu’en 1745. Ils sont alors installés dans la City près de la Cour de Justice et sont autorisés à autopsier les corps des condamnés pendus haut et court.

 Les chirurgiens s’installent à la fin du dix-huitième siècle à leur adresse actuelle, en bordure du square de Lincolns Inn Fields, près d’Holborn. Leur bâtiment abrite l’immense collection anatomique amassée par le chirurgien John Hunter (1728 – 1793). Une partie de cette collection a été détruite par un bombardement en 1941, qui a nécessité la reconstruction d’une grande partie du bâtiment. Ce qui en reste a été conservé dans un musée, le Hunterian Museum, qui a été réaménagé dans le College selon les canons de la muséologie moderne il y a quelques années. La visite du musée est recommandée aux étudiants en médecine. Mais de la visite de la salle des bocaux, où sont exposés sous formol des centaines d’échantillons d’organes humains et animaux,  se déprend une insolite beauté. J’ai repensé à une récente émission de France Inter pendant laquelle une fille de Theodorakis, artiste peintre, racontait que Louise Bourgeois lui avait demandé de s’inspirer des collections du musée d’histoire naturelle et de lui rapporter ses trouvailles.

 Le clou de la visite est la rencontre avec la responsable du centre de formation, Trisha Brown. Elle nous parle d’une manière passionnée des programmes organisés par le College et nous fait pénétrer dans le « théâtre d’opération », une salle simulant un bloc opératoire avec tous ses équipements. Deux côtés de la salle sont vitrés : dans une salle annexe, un formateur simule des événements cliniques sur un mannequin allongé sur la table d’opération : brutale perte de tension, hémorragie, etc. Dans l’autre peuvent prendre place des observateurs. Le théâtre d’opération est utilisé pour former des équipes de chirurgiens et d’infirmières pour des interventions d’urgence. Il est souvent utilisé par des équipes médicales de l’armée britannique en Afghanistan.

 La bibliothèque du College est organisée par organes, de la tête aux pieds. Nous sommes dans le monde de l’anatomie classique. Lorsque je demande à Trisha si le College s’occupe de nano technologies, elle me répond que ce n’est pas dans le domaine d’intervention du College. Pas encore.

Rapport mondial sur le Bonheur

A la recherche du bonheur, photo "The Guardian"

« Transhumances » s’est plusieurs fois fait l’écho de recherches visant à créer, à côté de la mesure du produit national brut, un indicateur mesurant le bonheur des citoyens. L’ONU vient de publier son premier rapport mondial sur le bonheur (World Happiness Report).

 L’introduction du rapport par Jeffrey Sachs est remarquable. « Nous vivons dans une époque d’âpres contradictions. Le monde jouit de technologies d’une incroyable sophistication. L’économie mondiale est propulsée vers des sommets de productivité par le progrès continu de la technologie et des organisations ; cependant, dans ce processus elle s’acharne à détruire son environnement naturel.

 Les pays obtiennent un grand progrès dans leur développement tel qu’il est conventionnellement mesuré ; et pourtant, sur la route ils succombent à de nouvelles crises : l’obésité, le tabagisme, les diabètes, la dépression et d’autres maux de la vie moderne.

 Ces contradictions ne choqueraient pas les grands sages de l’humanité, y compris Aristote et Bouddha. Les sages ont enseigné à l’humanité, à temps et à contretemps, que le gain matériel à lui seul ne satisfait pas nos besoins les plus profonds. Il faut exploiter la vie matérielle pour satisfaire les besoins humains, et d’abord pour promouvoir la fin de la souffrance, la justice sociale et l’atteinte du bonheur. Le défi est réel pour toutes les parties du monde.

 Un exemple clé est la superpuissance économique, les Etats-Unis. Ils ont obtenu des progrès économiques et technologiques frappants au cours du dernier demi-siècle, sans que progresse le niveau de bonheur que déclarent les citoyens eux-mêmes. Au lieu de cela, les incertitudes et les angoisses se situent à un haut niveau, les inégalités sociales et économiques se sont considérablement élargies, la confiance sociale est en déclin et la confiance dans le gouvernement est historiquement à l’étiage. Peut-être pour cette raison la satisfaction de la vie est restée pratiquement constante pendant des décennies de croissance du produit national brut (PNB) par tête.

 Les réalités de la pauvreté, de l’angoisse, de la dégradation de l’environnement et de l’absence de bonheur au milieu de la grande abondance ne peuvent être regardées comme de simples curiosités. Elles exigent notre attention urgente, tout particulièrement à cette période charnière de l’histoire. Car nous sommes entrés dans une nouvelle phase du monde, appelée Anthropocène par les savants du système mondial de la terre. Antrhopocène est un terme récemment inventé qui combine deux racines grecques : « Antrhopo » pour humain et « Cène » pour nouveau, comme s’il s’agissait d’une époque géologique. L’Anthropocène est la nouvelle époque dans laquelle l’humanité, à travers ses prouesses technologiques et sa population de sept milliards d’habitants, est devenue le principal moteur des changements des systèmes physiques de la terre, en incluant le climat, le cycle du carbone, le cycle de l’azote et la biodiversité.

 L’Antrhopocène va nécessairement changer la forme de nos sociétés (…) On peut dire que la recherche du bonheur est intimement liée à la recherche du développement durable. »

 L’étude de l’ONU est fondée sur des interviews individuelles dans une multitude de pays. On pose aux interviewés deux séries de question, l’une sur le niveau de bonheur qu’ils ont ressenti le jour précédent (bonheur affectif), l’autre sur le niveau de bonheur qu’ils estiment avoir atteint dans leur vie (bonheur évaluatif).

 De manière prévisible, le niveau de revenu explique une grande partie des différences entre pays. Pour quelqu’un qui vit sous le niveau de pauvreté, quelques dollars de plus peuvent faire la différence en offrant l’accès à un meilleur logement, aux soins, à l’eau courante, à l’éducation.

 Mais dès que les besoins primaires sont satisfaits, il faut un très substantiel accroissement de revenu pour faire une différence. Ce sont alors la confiance dans une communauté, la santé mentale et physique, la qualité de la gouvernance et le respect de la loi qui font vraiment la différence entre le malheur et le bonheur.

 Cinq pays du Nord remportent la palme du bonheur, Danemark, Finlande, Norvège, Pays-Bas et Canada. Les Etats-Unis occupent la onzième place, le Royaume-Uni la dix-huitième, la France la vingt troisième. Curieusement, notre pays est distancé par une grande variété de pays tels que le Costa Rica, l’Islande, le Venezuela et l’Espagne.