Une vision claire pour l’euro ?

Dans une tribune publiée par Le Monde le 16 juillet, quatre personnalités européennes de premier plan réclament « une vision claire pour l’euro afin qu’il sorte renforcé de cette crise ».

 Jacques Delors, Felipe Gonzalez, Romano Prodi, Etienne Davignon et Antonio Vitorino en appellent à une vision claire des enjeux de la crise de l’euro portée par des hommes politiques engageant leur crédit pour permettre de dépasser les difficultés immédiates.

 Ils énoncent les composantes de cette « vision claire ».

 Les dépôts des particuliers doivent être garantis mais, au contraire de ce qui s’est fait en Irlande, il faut que les actionnaires et porteurs d’obligations des banques «portent leur part du fardeau ». Les signataires ajoutent toutefois qu’il ne faut pas menacer la stabilité du système, ce qui n’est pas sans troubler la clarté de la vision.

 Les signataires prônent une régulation européenne, et plus seulement nationale, des banques et des marchés européens. On sait que des progrès ont été réalisés, mais aussi qu’il faut composer avec deux réalités, la zone euro dont la banque est à Francfort et la capitale mondiale de la finance, Londres.

 Les signataires affirment que la réduction des déficits doit avoir lieu. « Mais elle doit être maîtrisée, avec un horizon de temps réaliste, des étapes clairement marquées, et ne pas se donner des objectifs intenables qui détruiraient sa crédibilité, parce qu’ils ne pourraient durablement avoir le soutien des populations et de leurs représentants élus ». Ici, la vision est indiscutablement claire, mais le diable est dans les détails de sa réalisation, pays par pays, sous le regard des agences de notation.

« Vision claire : tout ce qui peut être fait pour éviter un défaut de la dette grecque doit l’être ». C’est ici que la vision claire s’enfonce dans le plus épais brouillard. Les signataires annoncent en effet des pertes comptables pour les banques qui ont investi dans la dette grecque et recommandent le rachat et l’annulation par des fonds communautaires ou internationaux d’une partie de cette dette. Si l’annulation d’une partie de la dette d’un Etat ne s’appelle pas « défaut », comment faut-il la désigner ? Et comment contraindre les investisseurs à constater une perte comptable, sinon en déclarant qu’on est incapable de les payer, ce qui est précisément la définition du défaut de paiement ?

 Il ne s’agit pas seulement de jeux autour du mot « défaut ». Il n’est pas possible d’exposer une vision claire sans citer des chiffres. Combien cela coûterait-il aux citoyens contribuables des pays de l’Union Européenne (ou seulement de la zone euro ?) ? Il faut certes du souffle et de l’enthousiasme européens, qui manquent cruellement aux Chefs d’Etat actuellement en charge. Mais la vision ne sera claire que si elle indique aussi les étapes et les coûts du règlement de la crise de l’euro pour les années à venir.

 Les signataires indiquent que « des premiers pas ont été accomplis tout au long de la gestion de la crise : dans la douleur, certes, mais chaque obstacle a été franchi, et à chaque fois le projet commun des Européens a survécu, et des solutions ont été  trouvées avec des innovations majeures ». En un sens, l’Europe a toujours progressé de compromis sordides en cotes mal taillées sous la pression des événements et des horloges arrêtées.

 Delors, Gonzalez, Prodi, Davignon et Vitorino en appellent à une vision claire, mais leur tribune s’apparente davantage à une incantation. Elle ne constitue hélas pas une feuille de route. La crise continuera à être gérée de manière chaotique. Une vision claire de l’Europe de demain est nécessaire, mais il est peut-être trop tôt pour l’énoncer. Il faudra d’autres conflits, d’autres déchirements, d’autres concessions arrachées sous la pression de la peur, pour qu’apparaissent nettement les contours de l’Europe de demain.

 Illustration  « The Guardian »

Test de lecture en Grande Bretagne

Le projet du ministère britannique de l’enseignement d’imposer un test de lecture à l’âge de six ans se heurte à une forte opposition.

 Dans The Guardian du 5 juillet, Warwick Mansell enquête sur le test de lecture phonétique que le ministère de l’enseignement britannique entend imposer pour dépister les enfants de six ans en difficulté.

 Ce test s’appuierait à la fois sur des mots connus et simples, comme « cow » ou « blow » et sur des mots qui n’existent pas mais dont la prononciation dérive d’une règle simple, comme « mip » ou « glimp ».

 Les opposants au test invoquent plusieurs raisons : certains sont contraires à la méthode analytique qui sous-tend le test (« cat » résulte de l’analyse des lettres c-a-t). D’autres soulignent que les enseignants savent parfaitement définir, bien avant l’âge des six ans, ceux de leurs élèves qui sont à la peine.

 Une autre raison tient à la difficulté d’orthographier correctement la langue anglaise. C’est ainsi que Mansell écrit : « dans un article du Journal of Education Review, Henrietta Dombey, anciennement présidente de la United Kingdom Reading Association, souligne que, à l’inverse de langues comme l’italien, le finnois ou l’espagnol, les enfants apprenant à lire en anglais doivent aller beaucoup plus loin que d’être simplement capables de prononcer les mots phonétiquement. Par exemple, en anglais, des lettres comme « a » peuvent correspondre à cinq sons ou même plus – comme dans « matt », « mall », « make », « mast » et « many » – alors qu’un son particulier peut s’épeler de nombreuses façons. La lecture phonétique donne aux enfants quelques uns des outils dont ils ont besoin pour bien lire, mais ils ont besoin d’un autre savoir pour être capables de lire tous les mots.

 Photo « The Guardian »

Le Petit Jésus de Prague

Le « Petit Jésus de Prague », une statue de cire de 47cm de hauteur conservée dans une chasse de marbre et de verre dans l’église Notre Dame de la Victoire à Prague, suscite une dévotion qui dépasse largement les limites de la Bohême.

 Le nom de l’église de Notre Dame de la Victoire évoque la miraculeuse intervention de la Vierge aux côtés des armées catholiques à la bataille de La Montagne Blanche (8 novembre 1620), qui conclut les hostilités ouvertes par la défénestration d’envoyés catholiques auprès de La Cour protestante au château de Prague le 23 mai 1618. L’église avait initialement était construite comme temple luthérien. Elle fut restructurée et dotée d’une façade baroque par un architecte italien et confiée en 1624 à l’ordre des Carmes, fondé un siècle plus tôt en Espagne par Thérèse d’Avila et Jean de la Croix.

 C’est de la filière espagnole que vient la statue de l’Enfant Jésus. Elle fut donnée en cadeau par Isabela Manique de Lara y Mendoza à sa fille Maria lorsqu’elle épousa en 1555 le prince Tchèque Vratislav de Pernštejn. Le roi Rodolphe II de Bohême avait épousé la sœur de Philippe II d’Espagne sept ans auparavant. Il y avait un clan espagnol à Prague, consolidé par des alliances matrimoniales. C’est cela qui explique l’extraordinaire floraison baroque à Prague.

 Le Petit Jésus de Prague dispose d’une soixantaine de parures, dont la plus ancienne remonte à 1700. D’innombrables répliques ornent des églises dans le monde et font l’objet de vénération.

 Photo « transhumances ».

Bagarre de Chats

« Riña de gatos », roman d’Eduardo Mendoza (Editorial Planeta, 2010), nous rend témoins de la situation chaotique qui régnait à Madrid au printemps1936, à la veille de la sédition du Général Franco.

 Expert de la peinture espagnole, en particulier de Velázquez, Anthony Whiteland voyage de Londres à Madrid pour expertiser la collection de tableaux du Duc de la Igualada. Le prétexte est de pouvoir monnayer à l’étranger un patrimoine artistique qui permettrait à sa famille d’échapper à l’imminente révolution bolchevique et de vivre confortablement en exil. La réalité est qu’il s’agit de financer les achats d’armes de la Phalange. Si la collection dans son ensemble n’a pas grande valeur, un tableau retient l’attention de Whiteland : il est convaincu qu’il s’agit d’un Velázquez non répertorié qui, outre son intérêt pictural, révélerait des faits jusque là inconnus de la vie privée de l’artiste. Pour le jeune expert, porter ce tableau à la connaissance du monde et convaincre de son authenticité représenterait un triomphe personnel.

  Le Chef National de la phalange, José Antonio Primo de Rivera, est fiancé à la fille ainée du Duc, mais celle-ci supporte mal sa permanente rivale, la politique. Elle se jette dans les bras de l’Anglais, sur les traces duquel se précipitent aussi les services de sécurité de la République espagnole et les services secrets britanniques.

 L’intrigue est peu crédible et le style du livre souvent poussif. L’histoire n’est pas écrite du point de vue du personnage principal, mais d’un observateur extérieur doté d’un improbable don d’ubiquité. Il reste que ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de sortir dîner dans un bon restaurant de Madrid avec Primo de Rivera et ses principaux lieutenants et que c’est là qu’opère la magie de la littérature !

 Les parties les plus intéressantes du livre sont celles où Mendoza analyse l’équilibre des forces en présence en ces heures critiques où la République va sombrer. Sous le vernis du roman se cache un essai historique convainquant, en particulier son analyse de la phalange. Comment se fait-il que celle-ci a échoué à prendre le pouvoir là où, une dizaine d’années auparavant, le fascisme italien avait triomphé ? L’un et l’autre mouvements avaient pourtant en commun un nationalisme exacerbé, la prétention de dépasser la lutte des classes, le mépris pour la démocratie bourgeoise. Mais la Phalange souffrait de deux handicaps : une hostilité réciproque avec l’armée, datant du temps ou le père d’Antonio Primo de Rivera avait exercé la dictature, et l’incapacité à se présenter comme une force électorale.