Nous, Peuple d’Islande

Les électeurs islandais se sont prononcés le 20 octobre par référendum en faveur du projet constitutionnel élaboré par 25 citoyens ordinaires de la société civile.

 Six questions étaient soumises à référendum, toutes relatives à la nouvelle Constitution. Il s’agissait de décider si le travail du comité constitutionnel servirait de base au nouveau texte fondamental et quelle position prendre sur des sujets controversés, comme la propriété sociale des ressources naturelles qui ne seraient pas déjà privées, le référendum d’initiative populaire ou la mention dans le texte de l’institution d’une église nationale.

 Les deux tiers des votants ont approuvé le projet de texte constitutionnel. La participation a été faible : seulement 49% des 233.000 électeurs. L’enjeu parait ridiculement petit en comparaison de l’élection américaine de novembre. Il est toutefois significatif en raison de l’exemplarité que revêt la démocratie islandaise pour les mouvements de contestation, des indignés espagnols aux occupants de Wall Street. Les sanctions pénales infligées aux banquiers coupables de la faillite nationale de 2008, le refus des électeurs l’an dernier de sanctionner par référendum un accord de remboursement de la dette de 3,1 milliards de livres à la Grande Bretagne et le processus d’élaboration de la Constitution lui-même sont apparus comme des modèles. Rappelons qu’un comité de 25 citoyens ordinaires avait été constitué, et que celui-ci avait systématiquement soumis ses propositions à discussion par Internet, recherchant l’enrichissement de ses travaux par l’apport du plus grand nombre (« crowdsourcing »)

 Le faible taux de participation, comme le relatif désintérêt constaté pendant la consultation par Internet, sont décevants. Il reste que les électeurs islandais ont approuvé le résultat de ce processus innovant. Et le préambule de la nouvelle Constitution capture bien l’esprit du temps :

 « Nous, Peuple d’Islande, souhaitons une société juste offrant les mêmes opportunités à tous. Nos origines différentes sont une richesse commune, et ensemble nous sommes responsables de l’héritage des générations : la terre, l’histoire, la nature, la langue et la culture. »

Photos volées

 

Emma Watson

Dans The Guardian du 22 septembre, Kira Cochrane écrit : « la bagarre sur les images seins nus de la Duchesse de Cambridge continue. Mais Kate n’est pas seule. Partout des jeunes femmes, célèbres ou non, deviennent de plus en plus victimes de notre culture paparazzi »

Emma Watson, Hermione dans Harry Potter, raconte que le jour de ses 18 ans elle se rendit compte qu’elle était devenue gibier de foire… un photographe se coucha sur le sol pour prendre un instantané de son chemisier vers le haut. La nuit pendant laquelle il était devenu légal de le faire, ils le firent. « Je me réveillai le lendemain et me sentis complètement violée. »

Kira Cochrane évoque de multiples situations dans lesquelles des images sont volées à des jeunes femmes. Le harcèlement de célébrités par des paparazzi est un phénomène connu. Il a été largement exposé à la commission Leveson, qui enquête sur les écoutes téléphoniques par News of the World. La journaliste parle de sites internet dans lesquels sont postées des photos de femmes anonymes attendant des trains, faisant leurs courses, sur des escalators, avec naturellement des gros plans sur leur poitrine ou leurs fesses. Elle évoque aussi le cas de photos intimes postées par des petits amis délaissés et animés d’un esprit de vengeance. La propagation de ces photos, accompagnées d’une identification de la victime, peut devenir virale. Des années après leur diffusion, elles peuvent rendre difficile la recherche d’un emploi ou compromettre l’issue d’un procès pour la garde des enfants à la suite d’un divorce.

Ces situations différentes ont un point commun. Les photos n’ont pas été tirées, ou du moins diffusées, avec le consentement des femmes. Elles ont été volées, et les femmes se sont senties violées.

Une précision : la photo d’Emma Watson publiée par « transhumances » est tirée de son site officiel www.emmawatson.com !

 

Le « consul à roulettes » quitte Londres

Edouard Braine reçoit les athlètes français participant aux Jeux Paralymiques

Après les jeux paralympiques, deux événements amènent le handicap au cœur de la communauté française en Grande Bretagne : la sortie du film « Intouchables » sur les écrans de la capitale britannique et le départ d’Edouard Braine, qui se plait à se désigner lui-même comme « le Consul à roulettes ».

 Edouard Braine a été victime il y a sept ans d’un accident de cheval qui l’a rendu paraplégique : une vacherie, dit-il. En dessous du cou, il n’a plus l’usage que du pouce et de l’index de la main gauche. Et un médecin britannique lui a fait « retrouver la capacité de pisser, qui est une forme de bonheur ». Edouard Braine, bien que diplomate, appelle un chat un chat.

 Invité d’Yves Calvi le 17 novembre 2011, il n’hésitait pas à dire qu’en matière d’acceptation du handicap, la France a entre 35 et 50 ans de retard sur la Grande Bretagne. Là-bas, une loi consensuelle sur l’égalité fut votée avec la collaboration active de tous les partis en 1970 ; en France, la loi de 2005 fut imposée par le président Chirac et reste très partiellement appliquée. La vraie différence avec la France, dit Braine, c’est qu’en Grande Bretagne, on voit les handicapés : ils sont dans les métros, dans les autobus et jusque dans les taxis ; on les rencontre à la télévision et au Parlement.

 Le 24 novembre 2011, l’hebdomadaire Valeurs Actuelles ouvrait ses colonnes à Edouard Braine pour commenter la sortie du film Intouchables. Celui-ci remarqua que son handicap l’avait empêché précisément de voir le film. Je cite ici un extrait de ce bel article.

 « Comment, vu depuis un fauteuil roulant, vit-on le phénomène de société déclenché par « intouchables » ? D’abord avec soulagement, car nous, les “zandikapés” de toutes catégories, supportons de plus en plus mal l’archaïsme du traitement qui nous est réservé en France. Le choix du titre est un trait de génie, car il évite le principal piège qui brouille la perception morale du handicap : ce mot, en désignant des personnes par ce qu’elles ont de plus insupportable, est le premier pas qui conduit à leur exclusion de la normalité sociale. Conscients de ce problème, les Américains tentent de positiver en nous désignant par une qualité : « challenging people ». Convenons de ce que “releveurs de défi” est un titre difficile à porter. Il est étrange que l’esprit français, d’ordinaire sourcilleux face à toute tentative pour singulariser des catégories de citoyens, s’accommode si facilement de l’étiquetage “handicapé” collé sur environ 6 % de la population…

 Intouchables” au pluriel est un mot qui rassemble les exclus, plutôt qu’il ne les stigmatise. Peu importe la raison de cette exclusion : couleur de peau, origine sociale, apparence physique, déficiences médicales et ce que l’on nomme le handicap deviennent alors facteurs d’unité, voire de reconnaissance. Au risque de choquer les lecteurs de Valeurs Actuelles, je crois que la dynamique d’Intouchabless’apparente à celle déclenchée par mon bon maître en diplomatie et en syndicalisme, Stéphane Hessel, lorsqu’il a son cri, « Indignez-vous ! » Plutôt que la référence à la société indienne, cruelle pour qui proclame l’universalité des droits de l’homme, je retiens le sens littéral d’intouchable : qui ne peut être touché, c’est-à-dire insensible, protégé contre les émotions et sensations. Cela correspond bien aux pathologies engendrées par la destruction du système nerveux. Sur le plan philosophique, les intouchables rejoignent les stoïciens pour qui l’apprentissage de la douleur est un pas vers l’ataraxie, l’absence de trouble. C’est le chemin suivi par mon ami l’ambassadeur Laurent Aublin à la fin de sa sclérose latérale amyotrophique.

 Ce refus du mot “handicapé”, qui singularise et marginalise socialement les victimes, est le premier succès de ce plaidoyer en faveur de l’acceptation de la normalité. Intouchables dépasse les clivages sociaux les plus extrêmes. Selon Baudelaire, la misère humaine transcende l’humanité : « Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage / Que nous puissions donner de notre dignité / Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge / Et vient mourir au bord de votre éternité ! » Prosaïquement, l’acceptation de cette réalité dérangeante permet au film de rompre avec les lamentations bien-pensantes que déclenche trop souvent chez nous l’évocation de la difformité physique, de l’incompréhension des autres ou de la peur de la mort. Le vecteur de l’humour, cette politesse du désespoir, permet de surmonter l’aspect tragique du sujet et tire brillamment parti de l’impertinence idéologique du tandem improbable des deux rôles vedettes. Le pied de nez ainsi envoyé à la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave prouve une fois de plus que le bégaiement de l’Histoire est source de comique. »

 Dans The Guardian du 29 septembre, la correspondante du journal à Paris, Kim Willsher, mentionne que la sortie en France de trois films, « intouchables », « de rouille et d’os » et « hasta la vista » signale probablement un changement de regard sur le handicap. Il y a quelques mois, Edouard Braine faisait les honneurs de son bureau à Londres à la section britannique de l’ordre national du mérite. Il était particulièrement fier d’avoir obtenu qu’ils soient enfin rendus accessibles au moyen d’un ascenseur adapté. La lutte pour les droits des « challenging people » continue !

Automne

 

Paysage d'automne à Watford

 

Je partirai à la retraite le 12 octobre, après 22 ans de carrière à Coface et 33 ans de vie professionnelle. Le 21 septembre, jour de l’automne, j’ai eu l’opportunité de célébrer à La Défense mon départ avec environ 70 collègues avec qui j’ai travaillé étroitement. Voici un résumé des quelques mots que j’ai prononcés à cette occasion.

 Ma carrière à Coface semble s’être déroulée sous les auspices du chiffre 4. J’ai eu l’occasion de travailler avec 4 présidents, mais aussi avec 4 directeurs généraux. J’ai exercé 4 métiers : communication, commercial, country manager et, plus récemment et par intérim, risque politique. J’ai travaillé dans 4 métropoles européennes, Paris, Milan, Madrid et Londres. Nous entrons aujourd’hui dans l’une des 4 saisons, et j’y vois le symbole de mon passage à l’automne de ma vie : je rêve d’en faire une saison de grand vent et de feuillages fauves.

 De  1990 à 1997, j’ai créé la première direction de la communication de Coface. L’entreprise était dans un moment de mutation. L’équipe mit en place des outils : projet d’entreprise, colloques, relations presse, site Internet. Elle participa à l’internationalisation d’une entreprise jusque là franco-française et à la création du réseau international d’assureurs-crédit CreditAlliance.

 En 1997, j’ai eu la chance que me soit proposé le poste de directeur commercial à Milan : nouveau métier, nouveau pays, nouvelle langue, sous la conduite de pédagogues exceptionnels. En Espagne et au Portugal de 2001 à 2007, je suis devenu country manager. Les mots qui caractérisent cette période : enthousiasme, vitalité, « team building ». Depuis cinq ans, je dirige les équipes de Coface au Royaume Uni et en Irlande. Pour les caractériser : résilience, pragmatisme et humour, qualités qui nous ont permis de survivre à la crise qui balaya la City en 2007 – 2009.

 J’ai eu la chance de participer au comité exécutif de Coface avec deux phases bien différentes, avant et après le recentrage sur l’assurance-crédit au début 2011 : avant le changement de cap, la vision d’une entreprise globale, dépassant sans cesse les frontières de pays, de métiers et de mentalités ; depuis 2011, la volonté de se plier aux faits et aux chiffres et de faire aboutir les projets dans les budgets et les délais promis.

 Pour finir, 4 mercis :

 Merci pour l’économie réelle. Coface est une entreprise financière, mais son travail consiste à assurer des transactions entre des entreprises qui vendent dans le monde entier. Rencontrer les chefs d’entreprise, trésoriers et gestionnaires de crédit m’a procuré mes meilleurs moments.

 Merci pour la « multinationale bonzaï ». Comparée aux grandes multinationales françaises, Coface, avec son chiffre d’affaires inférieur à 2 milliards d’euros et ses quelques milliers de collaborateurs, semble minuscule. Elle est pourtant présente et active avec ses propres équipes dans plus de 60 pays au monde.

 Merci pour l’entreprise Coface, un corps vivant qui se réinvente sans cesse pour croître et être profitable dans une économie internationale sans cesse changeante.

 Enfin, merci pour l’amitié de nombreux « cofaciens », qui n’a cessé de m’encourager au long d’une passionnante carrière.