Dans un article publié le 12 juillet, Le Monde annonce qu’au Royaume-Uni, « le gouvernement va libérer des milliers de prisonniers pour désengorger les prisons. » Le même jour, la BBC a publié sur son site Internet un article décrivant le contexte et les objectifs de cette mesure.
Il faut préciser que ces mesures, décidées par le nouveau gouvernement travailliste de Keir Starmer, s’appliquent à l’Angleterre et au Pays de Galles. L’Écosse et l’Irlande du nord, dont les gouvernements ont compétence sur la Justice, ne sont pas concernés. L’Écosse a, de son côté, déjà libéré de nombreux prisonniers.
Il s’agit pour le gouvernement de prendre à bras de corps le problème de la surpopulation carcérale. Il y avait au 12 juillet 87 505 détenus, un chiffre proche de la capacité opérationnelle affichée de 88 918 places. En réalité, le nombre de places permettant un accueil décent est, selon l’administration pénitentiaire, de 79 698 places. Le taux d’occupation « réel » serait donc de 110%. Ce qui préoccupe les autorités, c’est la croissance prévue du nombre de prisonniers : 19 000 sur cinq ans au rythme actuel.
Quels prisonniers vont-ils être libérés ?
La mesure prévoit que des prisonniers pourront être libérés par anticipation lorsqu’ils auront accompli 40% de leur peine. La mesure devrait être mise en place en septembre, pour laisser le temps à l’administration pénitentiaire d’établir des listes de détenus libérables.
Les prisonniers qui sont incarcérés pour des infractions violentes graves passibles d’une peine de quatre ans ou plus, ainsi que les délinquants sexuels, ne seront pas libérés plus tôt dans le cadre de cette mesure. Elle exclura également les personnes reconnues coupables de violence domestique et de ce que le gouvernement appelle les « crimes connexes », tels que les infractions de harcèlement et les comportements coercitifs ou d‘emprise.
Ces restrictions devraient limiter le nombre de détenus libérés, qui pourrait néanmoins se chiffrer en milliers.
Pourquoi la population carcérale s’est-elle accrue ?
Les raisons de l’accroissement du nombre de prisonniers est la même des deux côtés de la Manche. La première de ces raisons est la plus grande sévérité des peines prononcées. En 2023, les peines prononcées par les Crown Courts – équivalents des Cours d’assise françaises – étaient 25% plus longues qu’en 2012 – et jusqu’à 36% concernant les braquages. La seconde raison est l’accroissement du nombre de prévenus (personnes en détention provisoire dans l’attente de leur jugement) à cause de l’engorgement de la justice.
La construction de nouvelles prisons est-elle une solution ?
En 2021, le gouvernement conservateur s’était engagé à construire 20 000 places de prison en cinq ans. Seulement 6 000 ont été effectivement réalisées, en partie à cause de l’opposition de députés conservateurs à l’implantation de prisons dans leur circonscription.
Là aussi, un parallèle s’impose avec la France. Le plan de construction de 15 000 places en 10 ans, porté l’an dernier à 18 000 places par les députés, n’a aucune chance d’être réalisé.
Construire de nouvelles prisons implique un coût considérable : £51,108 en moyenne par place sur les années 2022-2023. Force est de constater que la priorité donnée au châtiment sur la réinsertion comporte un coût social élevé : on produit des gens frustrés qui apprennent en prison les ficelles et les réseaux de la délinquance.
La philosophie du nouveau gouvernement travailliste est différente. La Garde des Sceaux et Ministre de la Justice Shabana Mahmoud et son Secrétaire d’État aux prisons, à la liberté conditionnelle et à la probation, James Timpson, veulent mettre en tête de leurs priorités la réinsertion des ex-délinquants en leur offrant des opportunités de travail.
James Timpson, ancien patron d’une entreprise familiale de cordonnerie et de duplication de clés, avait donné l’exemple en intégrant dans ses équipes 10% de personnes sortant de prison. Il avait précisé dans une interview qu’il les recrutait à partir de 28 ans pour les hommes, 19 ans pour les femmes, âges auxquels leur vie devient plus stable.
Retour sur le parallèle France – Grande-Bretagne
Il y a relativement plus de détenus en Angleterre et au Pays de Galles qu’en France : on compte 136 détenus pour 100 000 habitants contre 107 en France (et 60 en Allemagne).
La situation est plus critique dans les prisons en France qu’en Angleterre et au Pays de Galles. En France, 77 880 personnes étaient incarcérées au 1er juin 2024 pour 61 694 places opérationnelles, soit un taux d’occupation de 126%, obligeant 3 222 détenus à dormir sur un matelas posé au sol. Dans plusieurs maisons d’arrêt, le taux dépasse 200%. Outre-Manche, le taux est de 110% en prenant pour base les places considérées comme « décentes » par l’administration pénitentiaire.
Au rythme actuel de croissance annuelle de la population carcérale en France (5,7%), ce sont 20 000 détenus supplémentaires qu’il faudra héberger dans cinq ans, projection comparable à celle établie Outre-Manche.
Le bon sens commanderait donc de prendre des mesures sévères, d’abord en libérant par anticipation des détenus. Tétanisé par les accusations de laxisme proférées par l’extrême-droite, le gouvernement français n’a pourtant jamais accepté le principe d’une « régulation carcérale » , consistant à libérer par anticipation un détenu lorsqu’un détenu est incarcéré alors que la capacité maximum de l’établissement est atteinte.
De nombreuses libérations anticipées ont pourtant été accordées dans le passé sans qu’on ait observé une augmentation de la délinquance. Jusque dans les années 1990, le président de la République accordait des grâces collectives à l’occasion de la fête nationale. Une réforme constitutionnelle de 2008 a interdit cette pratique.
Pendant la crise du Covid, 6 600 détenus ont été libérés par anticipation, et le taux de récidive a été négligeable : une trentaine de réincarcérations seulement.
C’est le courage politique qui a manqué en France ces dernières années : méthode Coué pour nier l’existence d’un grave problème dans les prisons, refus de mette en place les solutions qui sont pourtant bien identifiées – régulation carcérale à court terme, révision de l’échelle des peines à plus long terme. La configuration du Parlement issue des élections législatives du 30 juin et 7 juillet 2024 verra-t-elle l’émergence de politiques courageuses ?
Merci Xavier
C est article est particulièrement intéressant autant au titre de la société du royaume uni, qu à titre de comparaison avec la situation française.
Merci pour ces éléments et pour ta présence.
Bel été
Amicalement
Didier