HistoireLivres30 novembre 20200Histoire d’un Allemand

« Histoire d’un Allemand, souvenirs 1914-1933 », livre écrit par Sebastian Haffner en 1938, a été découvert par son fils après sa mort en 1999. Il a été traduit par Brigitte Hébert et publié en France par Actes-Sud en 2002-2003.

Sebastian Haffner, de son vrai nom Raimund Pretzel, avait 7 ans lorsqu’éclata la première guerre mondiale. Il a été témoins d’événements qui ont bouleversé le destin des Allemands : en 1914, l’euphorie de départ à la guerre ; en 1918, la défaite et la révolution ; en 1923, l’hyperinflation ; en 1933, la révolution nazie.

L’enfant Pretzel est emporté dans la vague de fanatisme patriotique de 1914. « L’entraînement de cette masse homogène qui comblait d’émotions inouïes quiconque se jetait dans son flot, fût-ce un enfant de sept ans – tandis que celui qui restait sur la berge, isolé, abandonné, suffoquait dans le vide. »

L’incendie du Reichstag

En 1918 éclate une révolution populaire qui, sans chefs ni organisation, est violemment réprimée.

En 1923, la parité du mark vis-à-vis du dollar s’envole pour atteindre des millions puis des milliards. La société se fracture entre les perdants, ceux qui se sont cramponnés aux anciennes valeurs, et les gagnants qui ont investi en actions, amassent soudain des fortunes et les gaspillent dans un luxe inouï. « En 1923, toute une génération a appris, ou cru apprendre, qu’on pouvait vivre sans lest. Les années précédentes avaient été une bonne école de nihilisme. L’an 1923 allait en être la consécration. »

Le nazisme prend racine dans cette histoire bouleversée, dans laquelle les certitudes les plus avérées s’effondrent soudainement. « Mais, dit Haffner, Il existe une différence importante entre les événements antérieurs à 1933 et ceux qui se sont produits depuis. Avant, les événements passaient et nous dépassaient : on se sentait concerné, touché, certains y ont laissa leur vie et d’autres leur fortune, mais nul ne s’est trouvé placé devant des cas de conscience ultimes ; la sphère la plus intime restait intacte. »

Lorsque Hitler est nommé chancelier, le 30 janvier 1933, Haffner sent « presque physiquement l’odeur de sang et de boue qui flottait autour de cet homme. » Il assiste à « Un collapsus collectif : des millions d’individus s’effondrant collectivement (…) Ce qui se produisait, c’était l’inversion cauchemardesque des notions normales : brigands et assassins dans le rôle de la police, revêtus du pouvoir souverain ; leurs victimes traitées comme des criminels, proscrites, condamnées d’avance à mort. »

Pour valider l’examen d’entrée dans la magistrature, le jeune Haffner doit faire un stage de préparation idéologique dans un camp géré par des SA. Il y découvre l’essence de l’emprise nazie : la camaraderie. « Pendant la journée, on n’avait jamais le temps de penser, jamais l’occasion d’être un « moi ». Pendant la journée, la camaraderie était un bonheur. Aucun doute : une espèce de bonheur s’épanouit dans ces camps, qui est le bonheur de la camaraderie (…) J’affirme avec force que c’est précisément ce bonheur, précisément cette camaraderie, qui peut devenir un des plus terribles instruments de la déshumanisation – et qu’ils le sont devenus entre les mains des nazis (…)

« La camaraderie annihile le sentiment de la responsabilité personnelle, qu’elle soit civique ou, plus grave encore, religieuse. L’homme qui vit en camaraderie est soustrait aux soucis de l’existence, aux durs combats pour la vie. Il loge à la caserne, il a ses repas, son uniforme ; Son emploi du temps quotidien lui est prescrit. Il n’a pas le moindre souci à se faire (…) Sa conscience, ce sont ses camarades : elle l’absout de tout, tant qu’il fait ce que font tous les autres. »

Alain Finkielkraut parlera « d’encamaradement ». Et Stefan Haffner en tire une conséquence déchirante : il lui faut quitter son pays chéri, et dire adieu. « La façon dont je ressentais la vie avait changé radicalement. Je n’éprouvais pas seulement le déchirement de l’adieu, mais aussi l’étourdissement et l’ivresse qu’il procure. Je ne me sentais plus debout sur un sol stable, mais flottant, planant dans un espace vide, singulièrement léger, porté, libre comme l’air. »

Stefan Haffner

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