ActualitéCinémaJustice5 mars 20230Je verrai toujours vos visages

Dans « je verrai toujours vos visages », Jeanne Héry donne à voir le déroulement de deux programmes de justice restaurative, une médiation restaurative et une rencontre détenus-victimes.

Lorsque Chloé (Adèle Exarchopoulos) entre dans le bureau de Judith (Élodie Bouchez), elle exprime clairement ce qu’elle attend de la médiation restaurative qui lui est proposée : rencontrer son frère qui l’a violée lorsqu’elle était enfant afin de s’entendre sur des règles permettant de ne jamais se croiser en ville, et obtenir des réponses à des questions sur ce qui s’est passé. Judith lui explique les règles. Il faudra obtenir l’accord de Benjamin pour s’engager dans le processus et la rencontrer. De nombreuses réunions seront nécessaires pour déminer le terrain, clarifier les attentes de part et d’autre, identifier les questions taboues. Il sera possible de quitter le programme à tout moment. Il est conseillé de se faire aider par un « ami payant », un psychologue.

Dans une prison, trois détenus condamnés pour des vols avec violence vont rencontrer, au cours de plusieurs séances de trois heures, des personnes victimes de braquage, de vol à l’arraché et de homejacking. Les réunions ont été préparées par deux animateurs bénévoles, Michel (Jean-Pierre Darroussin) et Fanny (Suliane Brahim) au cours d’entretiens individuels visant à vérifier la motivation des agresseurs et des victimes et à leur expliquer les règles du jeu.

Rien n’est laissé au hasard. Des chaises ont été disposées en cercle. Chacun a une place assignée : les victimes, Nawelle (Leïla Bekhti), Sabine (Miou-Miou), Grégoire (Gilles Lellouche) ; les infracteurs, Nassim (Dali Benssalah), Issa (Birane Ba), Thomas (Fred Testot) ; deux bénévoles membres de la société civile, la « communauté » ; les deux animateurs. Celui qui souhaite s’exprimer se saisit d’un bâton de  parole, et nul ne peut l’interrompre. Des pauses sont prévues, avec des rafraîchissements et la possibilité de fumer dans une cour grillagée.

Les victimes expriment colère, rancœur, ressentiment. Les agresseurs tentent de se justifier : « ce n’était qu’une gifle ». « Une gifle, c’est un coup, cesse de te chercher des excuses, assume ! ». Peu à peu, la tension tombe, on établit des relations de personne à personne.

L’enjeu est important, pour les victimes comme pour les agresseurs. Depuis qu’elle a été victime d’un vol à l’arraché, Sabine se terre chez elle, ne voit plus personne, pas même son fils. Nawelle craint d’être reconnue dans la rue par ses agresseurs. Grégoire a l’esprit obscurci par la rage de ne pas comprendre. Pour Nassim, Issa et Thomas, se décentrer, porter le regard sur les victimes pourrait leur permettre de tourner la page, d’imaginer une autre vie, apaisée.

Lors de l’avant-première du film à Bordeaux, Jeanne Héry a expliqué les conditions particulières du travail des acteurs. Contrairement à la pratique habituelle du cinéma, les scènes ont été tournées dans l’ordre chronologique. Ils devaient mémoriser de longs dialogues, dits assis, toujours à la même place. La réalisatrice soulignait la performance de Raphaël Quenard, dans le rôle de Benjamin, le frère de Chloé : arrivé sur le tournage pour une seule journée, il faisait face à Axelle Exarchopoulos sans presque dire un mot, tout en émotion réprimée.

Le titre du film « je verrai toujours vos visages » fait référence à une scène où Nassim, braqueur d’un supermarché, raconte que dans le stress de l’attaque, il ne voyait pas le visage de la caissière agressée. En revanche, dans le cercle de la rencontre détenus-victimes, chacun fixe le visage de l’autre, et ce regard est capté par la caméra. L’un des livres sur la justice restaurative dont « transhumances » a rendu compte a pour titre « les yeux de l’autre ». Il raconte comment avaient été organisées des rencontres entre des terroristes de l’ETA et des victimes des attentats. Leur enjeu consistait en ce qu’agresseurs et victimes relisent ce qui s’était passé à travers le regard de l’autre.

L’échange des regards est une clé de la justice restaurative, comme l’est l’acceptation du silence pour laisser l’autre s’avancer, comme le dit le directeur des programmes de justice restaurative, interprété par Denis Podalydès : « On écoute, on accueille INCONDITIONNELLEMENT. »

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