LivresPolitique1 septembre 20151Les clés de la puissance

Dans « les clés de la puissance » (le Seuil, avril 2015), Jean-Louis Beffa, ancien PDG aujourd’hui président d’honneur de Saint Gobain, propose une analyse géopolitique des puissances qui gouvernent le monde et s’interroge sur la place de l’Europe.

L’auteur identifie quatre facteurs de puissance : l’industrie exportatrice, les nouvelles technologies couplées au système d’innovation, l’énergie et les capacités militaires. J’y ajouterais personnellement l’hégémonie culturelle (langue, arts et lettres), mais Jean-Louis Beffa ne retient pas ce critère.

Les États-Unis savent générer de l’innovation et contrôlent l’industrie numérique. Grâce au gaz de schiste, ils ne dépendent plus des importations pour couvrir leurs besoins énergétiques. Leur puissance militaire reste inégalée. Ils se réindustrialisent peu à peu.

La Chine est présentée par l’auteur comme le challenger des États-Unis. Son industrie inonde les marchés mondiaux et monte en gamme, produisant de plus en plus des biens à haute valeur ajoutée. Le modèle de « modernisation dirigiste » investit massivement sur l’université et la recherche et génère de l’innovation technologique. Sa force militaire s’accroit. Seul son accès à l’énergie et aux matières premières constitue son talon d’Achille.

Jean-Louis Beffa
Jean-Louis Beffa

Un jeu de Go planétaire

L’affrontement de la superpuissance américaine et de son challenger chinois suit davantage le modèle de la conférence de Vienne (1814) que celui de la conférence de Versailles (1918). Le traité de Vienne « a remodelé l’Europe postnapoléonienne en organisant l’équilibre des forces majoritairement entre la Prusse et l’Angleterre » ; le traité de Versailles a assis l’hégémonie du vainqueur. Entre la Chine et les États-Unis s’établit une sorte de jeu de Go, où il s’agit d’affaiblir l’adversaire par une stratégie d’encerclement, et non par un affrontement direct.

Jean-Louis Beffa ne voit pas d’autres candidats au rôle de puissance mondiale. « La citadelle russe a levé le pont-levis ». Le Japon s’est résigné à un déclin maîtrisé. L’Inde manque d’un État fort capable d’orchestrer son développement. Le Moyen-Orient « est le dernier acteur d’un jeu dont les règles ne sont plus en vigueur », victime d’un excès d’affrontements idéologiques et religieux. En Afrique, l’émergence de l’Afrique du Sud ou du Nigéria comme futurs leaders n’est au mieux qu’une possibilité éloignée.

Dans ce contexte, l’Europe « donne l’impression de tout faire surtout pour ne pas exister ». Pourtant, elle dispose d’atouts dont la mise en valeur requiert une Allemagne acceptant de se remettre en cause et une France capable de se réformer en profondeur.

Le rêve américain et le dirigisme chinois

L’argumentation de Jean-Louis Beffa est intéressante car elle procède d’une vision mondiale. J’ai aimé son analyse sur les États-Unis. Comment, se demande-t-il, une société si inégalitaire (et de plus en plus) peut-elle recueillir l’assentiment massif de ses citoyens, même des plus pauvres. C’est, explique-t-il, que si l’ascenseur social monte moins souvent, il monte plus haut ; parce que le pays continue à accueillir des millions d’immigrés et que cela « contribue à réalimenter par le bas la pompe de la pyramide sociale » ; enfin, parce que le système politique est entièrement entre les mains de l’oligarchie. Tout ceci contribue à entretenir le rêve américain.

Un autre sujet d’étonnement est la conviction de Beffa que le pouvoir chinois dispose d’une « excellente information de la réalité sociale du pays. Ses antennes sont multiples et efficaces. Il est redoutablement connecté et les mécontentements de la base remontent rapidement au sommet. Le maillage du territoire par le parti, l’armée et l’administration fonctionne comme un réseau de capteurs. La vigilance de l’État sur Internet autorise aussi cette remontée d’informations ».

Étonnements

Je ne partage guère cet enthousiasme concernant les Chine. Il me semble en effet qu’un haut niveau de corruption altère inéluctablement la perception des réalités de base par le pouvoir, et le pouvoir chinois n’en est pas exempt. Par ailleurs, le krach boursier de Shanghai, après que l’indice des valeurs a plus que doublé en quelques mois, ne diffuse guère l’image de rationalité que l’auteur attribue aux dirigeants de ce pays.

En sens inverse, il me semble que le diagnostic de Jean-Louis Beffa sur la Grande-Bretagne est excessivement sévère. Il ne dit pas un mot sur la réindustrialisation du pays (par exemple dans le secteur automobile), qui avance pourtant rapidement.

Au chapitre des étonnements, cette statistique : l’Europe représente 0% du Top 50 des sites Internet mondiaux, contre 72% pour les États-Unis et 22% pour la Chine.

Encore une statistique : depuis 1973, la consommation énergétique du Japon a progressé de 1.5% alors que son PIB était multiplié par 2.3 dans le même temps. Toujours au Japon, « les jeunes Japonaises semblent se désintéresser de plus en plus des relations sexuelles ; selon un sondage, 46% des jeunes femmes de 16 à 26 ans ne souhaitent pas en avoir. »

Barak Obama et Xi JinPing
Barak Obama et Xi JinPing

One comment

  • cosse

    1 septembre 2015 at 7h29

    A propos de la Chine;
    – surprenant que les Chinois, généralement rationnels aient incité les particuliers à spéculer en bourse, au point que les cours montent de 150%Une baisse de 100% est une correction « normale » qui a peu de choses à voir avec la santé de l’économie chinoise;
    – l’histoire du capitalisme montre qu’une forte corruption peut coexister avec croissance ( la France de Balzac et de ZOla) et que la lutte contre la corruption ne réussit qu’à un certain niveau de développement
    – les relations entre le centre et la périphérie sont le grand problème de l’organisation économique chinoise, car le relais du PC est partiel et partial

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