Rio das Flores

 

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Je propose aujourd’hui une saga familiale au Portugal et au Brésil de 1915 à 1945 : Rio das Flores, de Miguel Sousa Tavares (Oficina do livro, 2007).

Comme son premier roman, « Equador », Miguel Sousa Tavares situe « Rio das Flores » dans le contexte politique du Portugal de la première moitié du vingtième siècle. Le livre raconte le destin d’une famille de grands propriétaires agricoles d’Estremoz, en Alentejo, de 1915 à 1945. La grande Histoire n’est pas seulement évoquée comme contexte, elle se confond avec celle des personnages du récit. La montée du Salazarisme va séparer les deux frères Ribera das Flores, Diogo et Pedro, le premier émigrant au Brésil pour échapper à l’atmosphère étouffante de son pays, le second s’engageant dans la guerre civile aux côtés des Nationalistes espagnols. Le déclenchement de la seconde guerre mondiale rendra irréversible la fracture au sein de la famille, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique.

La relation de Diogo et Pedro est faite d’affection, de respect et de loyauté. Ils sont pourtant le parfait contraire l’un de l’autre. Diogo, ingénieur agronome, est un intellectuel épris de grands espaces et de liberté ; Pedro, qui n’a pas fait d’études, a une relation quasi physique avec le domaine familial de Valmonte et se sent en affinité avec la dictature de l’Etat Nouveau. L’un et l’autre revendiquent l’héritage spirituel de leur père, profondément conservateur mais aimant recevoir à sa table des convives d’opinions différentes.

Diogo s’éprend d’Amparo, fille d’un ancien métayer du domaine, dont la beauté fulgurante tient en partie à une lointaine ascendance gitane. Maria da Glória, mère de Diogo et de Pedro parvient à convaincre ce dernier de ne pas s’opposer à ce qu’il considère comme une mésalliance : le désir de terre que porte Amparo vient de plusieurs générations et elle saura aimer Valmonte. De fait, Amparo se met à l’école de Maria da Glória et se fait peu à peu accepter. Elle donne à Diogo deux enfants.

Pedro s’éprend, de manière inattendue, d’une jeune peintre, Angelina, qui initie cet homme de la terre à une dimension artistique de la vie qu’il ne soupçonnait même pas. Mais Angelina s’enfuit d’Estremoz pour tenter de réaliser sa vocation à Paris. Pedro sort de cette expérience meurtri, muré dans sa solitude.

Oppressé par l’air raréfié qui se respire au Portugal, Diogo se passionne pour le Brésil, un pays neuf où se respire la joie de vivre, malgré l’avènement, comme dans tant d’autres pays, d’une dictature de type fasciste. Enthousiaste, il embarque à bord du vol inaugural du dirigeable Hindenburg, un paquebot volant qui fait le voyage de Fiedrichshafen à Rio de Janeiro sans escale. Un fossé se creuse peu à peu avec Amparo. Si Angelina avait quitté Pedro pour rester une femme libre, Amparo reste étrangère à la passion de Diogo pour le Brésil, qui est sa voie vers la liberté. Lorsque Diogo franchit le pas d’acheter un domaine agricole au Brésil, Amparo décide de rester à Valmonte, où Pedro, revenu blessé de la guerre d’Espagne, a pris la responsabilité de l’exploitation.

Les personnages sont beaux, physiquement et moralement. Ils ne mentent ni aux autres, ni à eux-mêmes. Malgré les chagrins et les souffrances, ils restent fidèles à ce qu’ils sont et à ceux qu’ils aiment. Ils ne se laissent pas aveugler par la haine. Abandonnée par Diogo, qui a refait sa vie avec Benedita, une jeune mulâtresse brésilienne, Amparo essaie de le comprendre, de découvrir ce qu’elle n’a pas su lui donner. Parce que son frère le lui demande, Pedro consent à faire jouer ses amitiés dans le Régime pour sauver Rafael, qui avait offert à Diogo son baptême de l’air et que la police politique a détenu et torturé. Parce qu’ils ne cèdent pas à la facilité, parce qu’ils ne dévient pas de leur chemin, Diogo, Amparo et Pedro trouveront la paix intérieure et le bonheur.

Ce récit qui met aux prises des hommes et des femmes emportés dans le torrent de l’histoire et tentant d’y inventer leur propre destin est bouleversant. Il contient aussi un mine d’informations sur l’une des dictatures les plus longues du monde, née dix ans avant le franquisme et disparue avec la révolution des œillets, un an avant celui-ci.

Tony Blair comme pape Innocent X

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Le quotidien britannique The Guardian a publié le 15 décembre un dessin humoristique de Steve Bell inspiré des tableaux de Francis Bacon « études d’après le portrait du pape Innocent X par Velázquez ».

On y voit l’ancien Premier Ministre britannique en grand habit pontifical tenant dans la main une bulle disant « I lied in Good Faith », j’ai menti de bonne foi. La caricature se réfère à une interview donnée récemment à la BBC par Blair, qui doit être auditionné en janvier par la Commission parlementaire Chilcot, chargée d’enquêter sur la participation britannique à la guerre d’Irak.

Dans cette interview, Blair confessait qu’il aurait envahi l’Irak même en l’absence d’armes de destruction massive, et qu’il aurait trouvé un moyen de justifier la guerre auprès du parlement et du public.

Le dossier de la commission Chicot est accessible à http://guardian.co.uk/iraq-war-inquiriy.

 

Ayubowan, « longue vie »

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Mon amie Dominique Rousseau s’est installée au Sri Lanka cette année pour se consacrer totalement à l’association Ayubowan (longue vie) d’entraide aux Sri Lankais, qui apporte notamment un soutien à la scolarité d’orphelins dans ce pays.

Le blog de Dominique est http://longuevie2009.wordpress.com.

Voici un extrait de son blog, qui raconte des visites faites en février et août 2009.

Février 2009

Gamini nous présente en février un petit garçon, Padmasiri. Pour le rencontrer, il faut quitter la route principale, prendre une piste, puis continuer à pied sur un sentier escarpé. Il fait chaud et nous nous demandons où est la maison, pas de voisins. On entend de la musique mais où ?

Finalement nous arrivons devant une maison de terre et en faisons le tour car personne ne semblait être là.

Si, de  l’autre côté nous voyons un enfant étonné mais pas effrayé, puis une jeune fille arrive et enfin le papa.

Ce dernier est veuf et vit avec ses trois enfants. Il a des ennuis de santé et il doit prendre des médicaments qui coûtent chers. A titre personnel, nous lui donnons des roupies pour qu’il puisse poursuivre son traitement.

La maison n’a pas de meubles, il n’y a pas d’eau ni d’électricité.

La vie semble ne pas être facile pour cette famille. Ayubowan va les aider dès ce mois.

Août 2009

Nous voyons avec plaisir une arrivée d’eau. Padmasiri va bien, il nous accueille avec son beau sourire un peu timide. Le papa bavarde avec nous. Ses ennuis de santé sont dus à un accident, il est tombé du toit de sa maison qu’il consolidait.

L’enfant nous montre ses cahiers. Il va régulièrement à l’école et cela lui demande une bonne marche… Sa sœur dort le soir chez une tante, le papa reste avec ses fils. Son souhait est de mettre l’électricité dans sa maison !

Comme on peut le comprendre. Ayubowan ne peut pas prendre en charge cela mais un de ses membres l’aidera à titre personnel.

Dominique admire les animaux en terre que fait Padmasiri et elle le félicite. Lorsque nous prenons congé, l’enfant lui offre un éléphant et un sanglier. Elle ne sait si elle doit accepter que l’enfant se sépare de ses jouets, mais on lui dit qu’il en ferra d’autres, alors, un grand merci.

Paul A. Samuelson et Marx

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Comme des milliers d’étudiants en sciences économiques en France et dans le monde, « le » Samuelson a été mon livre de référence. Mais j’ai une raison particulière de regretter la disparition de Paul A. Samuelson, décédé le 13 décembre à l’âge de 94 ans.

J’ai en effet rédigé mon mémoire de DES de Sciences Economiques à l’Université de Paris en 1974 sur un article de Samuelson publié sept ans plus tôt dans l’American Economic Review intitulé « Marxian economics as economics » (la science économique marxiste comme science économique). Dans l’immédiat après soixante-huit, le matérialisme historique  était un courant de pensée fortement présent à l’université, et notamment dans les sciences économiques et politiques. La question de savoir s’il avait une légitimité scientifique était cruciale.

La réponse de Samuelson était que Marx avait su décrire empiriquement des évolutions majeures du capitalisme, mais que son œuvre scientifique, le Capital, était entachée par des erreurs majeures de raisonnement. En particulier, il prouvait, équations à l’appui, que le passage de la valeur travail aux prix, fondamentale pour Marx comme elle l’avait été pour Ricardo, n’avait pas de cohérence scientifique.

J’avais écrit plusieurs fois à Samuelson au MIT pour lui demander des précisions et contester certains passages. J’avais été étonné de sa disponibilité. Il avait fini par me convaincre que la science économique doit être humble et que rêver d’un système d’explication total porte en soi le risque du totalitarisme.