Justice26 juillet 20200Prison, le malentendu partagé

Le site Politika, consacré à l’actualité des sciences sociales du politique, a récemment diffusé une passionnante interview de la chercheuse Antoinette Chauvenet par Marie Crétenot, responsable du plaidoyer à l’Observatoire International des Prisons.

 Dans cet entretien, réalisé en février 2019, Antoinette Chauvenet raconte son parcours de chercheuse en sciences sociales, à l’articulation entre philosophie du droit, sociologie et sciences du langage. Elle s’est intéressée de près à la prison, et a en particulier contribué à deux livres qui continuent à faire référence : « le monde des surveillants de prison » (1994) et « la violence carcérale en question » (2008).

L’étude sur les surveillants de prison dura plusieurs années, et passa par un stage comme surveillante au quartier femmes de la prison de Fresnes. Antoinette Chauvenet décida de faire de la sécurité l’objet principal de son étude.

Chauvenet qualifie la prison de « dispositif guerrier défensif ». C’est une forteresse dont l’objectif est de désarmer les ennemis de l’ordre public que sont les délinquants. « Le désarmement est par définition l’objectif proprement dit des opérations de guerre. Neutraliser les délinquants, les maintenir au quotidien désarmés est la tâche essentielle des personnels de surveillance et de leur hiérarchie. »

« J’ai lu Clausewitz qui dit que la défense est supérieure à l’attaque, qu’il faut duper l’ennemi, chercher ses intentions et être au cœur de la dissuasion. Duper et rechercher les intentions de l’ennemi, c’est exactement ce que font les surveillants. » Loin de faire un travail de pure exécution, ils imaginent et mettent en œuvre au quotidien des tactiques pour faire régner l’ordre. Et ces tactiques guerrières n’excluent pas des rapports non belliqueux. Les surveillants sont aussi des faiseurs de paix sociale grâce à « des rapports d’échange, de don et de contre-don, de marchandage et de négociation ».

Le principe de la peur

Dans son étude sur la violence en prison, Antoinette Chauvenet s’intéresse particulièrement à la peur. « Au moment de rédiger, je me suis souvenue de De l’Esprit des lois de Montesquieu, où il évoque le « principe » de la peur qui définit les tyrannies. Et je me suis rendue compte que les facteurs sociaux favorisant la violence que nous avions identifiés correspondaient terme à terme aux éléments caractéristiques de la tyrannie selon lui, même s’il y a un cadre juridique. C’est un despotisme particulier, bureaucratique et légal. Une tyrannie limitée, mais marquée par des traits typiques : des règles faibles et labiles, une structure par conséquent fragile, imprévisible, traversée par la rumeur et la paranoïa, et gouvernée par la peur. La peur est une donnée essentielle du monde carcéral. Elle est au cœur de l’ensemble des relations. »

Elle évoque le concept de « malentendu partagé » (« pluralistic ignorance » dans la littérature anglo-saxonne). « Cela renvoie à une situation où la majorité des membres d’un groupe n’approuve pas une norme, mais estime, de façon erronée, que la plupart des autres y souscrit et donc chacun s’y conforme pour ne pas détonner. » Un surveillant va en rajouter dans l’autoritarisme, le pointillisme, la discipline, la dureté, parce qu’il croit qu’il se conforme ainsi au comportement qu’adoptent ses collègues et qu’on attend de lui.

Antoinette Chauvenet a aussi travaillé dans le domaine des peines alternatives à la prison. Celles-ci structurent « un temps actif différent du temps vide de la prison. Derrière les murs, la finalité première est la pérennité de l’institution elle-même. En milieu ouvert, le rôle des médiations organisationnelles et institutionnelles est inversé. Elles ont vocation à être des ressources au service d’un projet. Le but des travailleurs sociaux est d’accompagner le condamné en mobilisant le maximum d’appui pour lui permettre de progresser en matière d’autonomie et de responsabilité. »

 

Commenter cet article

Votre email ne sera pas publié.