CinémaJustice7 décembre 20220Saint Omer

Dans Saint Omer, son premier film de fiction, Alice Diop fait revivre le procès pour infanticide de Fabienne Kabou qui, en 2013, avait déposé sur la plage de Berck sa petite fille, la nuit, à marée montante.

 La réalisatrice avait assisté au procès d’assises à Saint Omer en 2016. Elle était alors enceinte et avait été si bouleversée qu’elle avait pris la fuite. Dans son film, elle adopte le regard d’une jeune romancière, Rama (Kayije Kagame). Comme l’accusée, Laurence Coly (Guslagie Malanda), elle est d’origine africaine. Comme Laurence l’avait été, elle est enceinte d’un enfant métis. Comme elle, elle souffre de relations difficiles avec sa mère.

 D’emblée, Alice Diop établit un parallèle entre le sort des femmes tondues à la Libération décrit par Marguerite Duras dans Hiroshima mon amour et celui de Laurence Coly : plongée de la société dans l’intimité d’une femme, marquage au fer rouge.

Pour filmer le procès, la réalisatrice a choisi de longs plans fixes sur les acteurs du drame : l’accusée elle-même, la présidente (Valérie Dréville), l’avocat général, l’avocate, les témoins. La caméra saisit les regards échangés ou évités, les paroles et les silences.

 La présidente frappe par son humanité. Elle est respectueuse de l’accusée et des témoins, elle cherche à comprendre. Mais est-il possible de comprendre l’acte atroce de Laurence Coly ? Elle a caché sa grossesse, n’a pas déclaré sa fille Lilly à l’état civil. Le père de l’enfant, Luc Dumontey (Xavier Maly), a accueilli Laurence dans son atelier de sculpteur lorsqu’elle était sans ressources. Mais il n’a jamais parlé de Lilly à quiconque. C’est comme si Élise, dite Lilly, n’avait jamais existé.

 Laurence Coly se dit victime d’un sortilège, d’une malédiction prononcée par quelqu’un qui lui veut du mal. L’avocat général a beau jeu de relever qu’elle a menti sur ses titres universitaires comme sur beaucoup d’autres choses. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a souffert d’une solitude aigüe. Mais cela suffit-il à expliquer qu’elle ait pris le train pour Berck et qu’elle ait laissé la mer noyer son enfant ?

Dans une plaidoirie bouleversante, l’avocate de la défense parle des cellules chimériques, celles qui, par le placenta, migrent dans l’organisme de la mère. Lilly restera pour toujours dans le corps de Laurence, dit-elle.

 « Saint-Omer » a reçu le lion d’argent du meilleur premier film à la Mostra de Venise. En France, les médias sont en général enthousiastes. Du côté des spectateurs, nombreux sont ceux qui ont détesté ce film, le jugeant pédant et ennuyeux. Je l’ai aimé. Je n’ai pas vécu les silences comme des longueurs. Le témoignage de Dumontey, tout en ambigüités et en faux-semblant entre l’amour sincère des débuts, la tendresse pour la petite fille et une insondable indifférence, m’a semblé un moment fort du film.

 Guslagie Malanda interprète une Laurence Coly troublante : son discours est clair, son langage châtié. Pourtant, rien ne se dégage de ses interventions. On ne peut pas comprendre son geste, ni sa personnalité. Lorsqu’elle regarde furtivement Rama et esquisse un sourire, celle-ci est blessée comme par un glaive.

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