La pauvreté recule dans le monde

 

Photo Oxfam.

 

Alors que le pessimisme prévaut en Europe, un rapport de l’Université d’Oxford montre que l’extrême pauvreté est en régression rapide dans le monde.

 Un rapport des Nations Unies publié la semaine dernière affirmait que la dynamique de réduction de la pauvreté dans les pays en développement dépasse toutes les attentes : « le monde assiste à un rééquilibrage global historique avec une croissance plus forte dans au moins 40 pays pauvres, ce qui favorise la sortie de centaines de millions de personnes de la pauvreté et leur accès à une nouvelle classe moyenne. Jamais dans l’histoire les conditions de vie et les perspectives de tant de gens ont changé si fortement et si vite ».

 Dans The Guardian du 17 mars, Tracy McVeigh évoque un rapport de l’Institut « pauvreté et développement humain » de l’université d’Oxford, qui va dans le même sens. Le rapport étudie le milliard de personnes les plus pauvres dans le monde. Il prédit que les pays parmi les plus pauvres du monde pourraient voir l’extrême pauvreté éradiquée en 20 ans s’ils continuent à ce rythme.

 L’Université d’Oxford utilise un nouvel indice pour mesurer les progrès de la lutte contre la pauvreté : l’Indice de Pauvreté Multidimensionnel, IMP. Cet indice ne mesure pas seulement le revenu monétaire par habitant, classant comme pauvres ceux qui touchent par exemple moins de $1,25 par jour. Il prend aussi en compte l’alimentation, la mortalité infantile, le nombre d’années de scolarisation et l’assiduité, le combustible de cuisson, l’eau, l’hygiène, l’équipement électrique et un sol recouvert.

 « Le système, précise Tracy McVeigh, a été développé en 2010, par le directeur de l’institut, le Dr Sabina Alkire et le Dr Maria Emma Santos. Le Dr Alkire dit : « comme le disent les pauvres dans le monde entier, la pauvreté est plus que l’argent – c’est une mauvaise santé, c’est l’insécurité alimentaire, c’est de ne pas avoir de travail, ou d’être l’objet de violence et d’humiliation, ou de ne pas avoir de soins, d’électricité ou de logement sain. Le rôle du militantisme citoyen est sous-estimé. Il est possible que nous n’ayons pas été assez attentifs au pouvoir des gens eux-mêmes, aux femmes qui se donnent les unes aux autres des responsabilités, à la société civile qui se tire elle-même vers le haut ».

 L’étude a trouvé qu’en 2013, un total de 1,6 milliard de personnes vit dans la pauvreté « multidimensionnelle ». Le milliard le plus pauvre vit dans 100 pays, en majorité en Aise du Sud-Ouest avec l’Inde représentant 40%, suivie par l’Afrique sub-saharienne avec 33%. Le rapport a aussi trouvé que 9.5% du milliard le plus pauvre vit dans des pays se classant dans la première moitié du tableau des pays développés. »

 L’Université d’Oxford estime que la régression rapide de la pauvreté dans le monde est due aux programmes d’aide et de développement qui investissent dans des écoles, des cliniques, le logement, les infrastructures et l’accès à l’eau, mais aussi au commerce international. Parmi les pays particulièrement brillants dans la réduction de la misère, elle cite le Rwanda, le Népal et le Bangladesh, où la misère pourrait disparaître du vivant de la génération présente. Elle mentionne aussi le Ghana, la Tanzanie, le Cambodge et la Bolivie. Les Nations Unies ont aussi indique que le commerce était un facteur clé d’amélioration des conditions en Afghanistan, Ethiopie, Rwanda et Sierra Leone.

Wadjda

Le film de Haïfa Al-Mansour est source d’émerveillement.

 Avant l’émerveillement, il y a l’étonnement. Ce film est l’un des premiers tournés en Arabie Saoudite. Il a été réalisé par une femme. Il parle de la condition des femmes. Son tournage a été autorisé. La télévision saoudienne a promis de le diffuser sur ses antennes. En troisième semaine d’exploitation en France, il est encore projeté dans 120 salles.

 Le bouche à oreille fonctionne, et c’est tant mieux : Wadjda est un film merveilleux. Son titre est  le prénom d’une fille de 12 ans, dont on ne voit dans la première scène que les pieds : ils sont chaussés de baskets. Nous sommes à l’école : toutes les condisciples de Wadjda portent les chaussures grises règlementaires. Pas elle. Elle entend vivre sa vie de manière autonome.

 Proche de chez elle, dans la banlieue de Riyad, vit Abdallah, un jeune garçon qui en pince pour la jeune fille. Abdallah bat Wadjda à la course pour une bonne raison. Il possède une bicyclette, alors qu’il est réputé indécent pour une personne de l’autre sexe de chevaucher un deux roues. Wadjda voit passer derrière un mur une magnifique bicyclette. L’acquérir va devenir son but unique. Qu’il faille passer par un concours de récitation du Coran pour obtenir l’argent, peu importe. Wadjda est têtue et tous les moyens sont bons.

 L’histoire de Wadjda s’entremêle avec celle de sa maman qui, faute d’avoir engendré un garçon, va devoir subir l’arrivée d’une seconde épouse. Elle se mêle aussi à celle de la jolie et sévère directrice d’école, dont il se murmure qu’elle vit une aventure avec un gentil « voleur » qui la visite chez elle. Il est difficile pour les femmes de tracer leur chemin lorsque les traditions prétendent leur dicter les moindres actes de leur vie. Le film de Haïfa Al-Mansour est optimiste. La société saoudienne bouge, tout doucement certes, mais irrésistiblement, sous la pression de femmes courageuses qui vont de l’avant et ne se laissent pas museler.

 Il n’y a nulle caricature dans ce film. Les hommes ne sont pas catalogués dans le camp des méchants : Wadjda trouve par exemple un allié dans le marchand de bicyclette, qui accepte de réserver la machine convoitée à la petite fille obstinée qui la désire si fort. La récitation du Coran et la prière sont dignes et belles. Les relations entre la mère et sa fille, comme entre Wadjda et la directrice d’école, sont complexes, oscillant entre l’imposition d’une discipline dont le respect protège dans un certain sens la fillette, et l’admiration pour son courageux entêtement.

 Pour ne rien gâcher, le film a de l’humour. Lorsque Wadjda remporte le prix de récitation coranique, la directrice lui demande ce qu’elle fera des rials qu’elle a gagnés. La fillette annonce qu’elle va s’acheter une bicyclette, et provoque l’hilarité de ses camarades.

 « Wadjda » touche plusieurs de mes fibres : mon goût pour les films de femmes, mon intérêt pour la culture arabe et, naturellement, la bicyclette. Mais il est recommandable à tout spectateur, même s’il ne les partage pas : c’est un excellent film !

50 ans d’émigration portugaise en France

Le Musée d’Aquitaine de Bordeaux célèbre les cinquante ans de l’immigration portugaise en France.

 Le musée présente une exposition de photographies réalisées par Gérald Bloncourt, artiste né en Haïti en 1926 d’un père guadeloupéen et d’une mère française, qui a associé toute sa vie l’art et la militance. Vers 1965, Bloncourt se passionna pour l’émigration portugaise. Il photographia un village proche de la Galice déserté par ses habitants, puis des paysans déplacés à Porto et Lisbonne, et enfin des émigrés dans les bidonvilles de Champigny, Saint-Denis et Nanterre. De 1962 à 1974, ce sont environ 100.000 Portugais qui ont émigré en France chaque année, pour beaucoup clandestinement au terme d’un voyage dangereux et épuisant. « Transhumances » a publié le 1er août 2012 une note de lecture de « Livro », un ouvrage de José-Luís Peixoto dont l’action se déroule dans ce contexte.

 L’exposition a été réalisée par le musée des migrations portugaises de la ville de Fafe et sera présentée dans les mois à venir par le musée de l’histoire de l’immigration de la Porte Dorée à Paris Une photo particulièrement émouvante est celle d’une petite fille tenant sa poupée dans un bidonville d’Ile de France en 1966 ; elle est aujourd’hui professeure de français à l’université de Coimbra. Malgré la misère ambiante, la photo diffusait un sentiment de confiance : pour la petite fille et la famille, l’émigration offrait une véritable chance.

 Dans l’auditorium du Musée d’Aquitaine, l’association bordelaise « O Sol de Portugal » a donné le 27 janvier un concert de fado et, plus largement, de musique populaire portugaise. La communauté portugaise au sens large, incluant les familles mixtes et les enfants de deuxième ou troisième génération d’émigrants, compte environ 1,2 millions de personnes en France. L’association cherche à maintenir vivante la culture de ce beau pays en France.

Photo de Gérald Bloncourt dans un bidonville Portugais en France, 1966

1Q84, livre 3

Le troisième et dernier livre du roman 1Q84 de Haruki Murakami (traduit par Hélène Morita en 2012) se lit avec la même avidité que les précédents, bien qu’il entraîne les lecteurs dans un univers de plus en plus fantasmagorique.

 Les deux premiers livres se lisaient alternativement du point de vue d’Aomamé et de Tengo. Un troisième personnage s’introduit dans le troisième livre : Ushikawa, un détective qui joue un rôle secondaire dans les précédents épisodes. Ushikawa est un homme d’aspect physique repoussant. Cette caractéristique lui a valu une enfance solitaire, et en ce sens son parcours personnel est semblable à celui d’Aomamé et Tengo. La secte des Précurseurs veut mettre la main sur Aomamé, et Ushikawa a compris que Tengo pourrait le conduire à elle. « Ushikawa se considérait comme un animal nocturne, caché dans une forêt obscure, qui restait à l’affût d’une proie. Il attendait patiemment la bonne occasion et, le moment venu, il fondait dessus résolument, sans hésitation. » Ushikawa se rapproche si près qu’il bascule, lui aussi, dans l’univers où deux lunes brillent dans le ciel, l’univers qu’Aomamé a baptisé « 1Q84 » et Tengo « la ville des chats ».

 Un quatrième personnage joue un rôle dans le roman : le père de Tengo, tellement identifié à son rôle de collecteur de la redevance de la télévision publique qu’il demande à être incinéré dans l’uniforme des collecteurs. La nuit, un collecteur vient insulter Aomamé, Ushikawa et Fukaéri, l’auteur de livre « la chrysalide de l’air », le livre qui décrit l’univers de 1Q84 et a déclenché une série d’événements qui menacent de broyer les protagonistes.

 Aomamé et Tengo pourront-ils revenir au monde normal, celui d’avant 1Q84 et de la ville des chats ? L’intrigue est bien menée, avec un suspens jusqu’au dernier chapitre. Dans le livre 3, elle devient quasiment ésotérique avec une conception virginale pour ainsi dire par procuration, que le Catholicisme lui-même pourrait reconnaître comme part de son patrimoine.

 Ce qui sauve le roman du délire onirique, c’est son épaisseur humaine. Le portrait d’Ushikawa, que sa laideur a éduqué à considérer toute vérité comme relative, est particulièrement réussi. Cet homme a du flair, et cette capacité dérive directement de son expérience de la vie. Lorsque Tengo se rappelle le jour où, vingt ans auparavant, Aomamé prit sa main de jeune écolier, il se remémore des odeurs : « Et les odeurs de cet après-midi de début d’hiver stimulaient hardiment ses narines. Comme si ce qui recouvrait ces odeurs avait été arraché. Des odeurs réelles. Les fidèles odeurs d’une saison particulière. L’odeur de l’éponge du tableau noir, celle du détergent utilisé par le ménage, celle des feuilles mortes qu’on brûlait dans un coin de la cour, elles s’étaient toute intimement mêlées. Quand il respirait à fond ces senteurs, il avait la sensation qu’elles s’amplifiaient et l’atteignaient au plus profond de lui. Sa structure physique avait renouvelé ses composants. Les pulsations de son cœur n’étaient plus de simples pulsations. Pour un bref instant, il avait pur ouvrir de l’intérieur les portes du Temps. La lumière ancienne et la lumière nouvelle s’étaient mêlées et ne faisaient plus qu’une. »