Vies d’exil

La Cité nationale de l’histoire de l’immigration présente à la Porte Dorée, à Paris, une exposition intitulée « Vies d’exil : des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie (1954 – 1962).

 Le Palais de la Porte Dorée a été construit en 1931 dans le cadre de l’exposition internationale. Il fut un musée des colonies, puis musée national des arts d’Afrique et d’Océanie avant que les collections soient transférées – en 2003 – au nouveau musée du Quai Branly. Depuis 2007, le palais abrite la Cité nationale de l’histoire de l’immigration ainsi que l’Aquarium.

 La visite du palais est en elle-même intéressante. Son architecte Albert Laprade l’a conçu en mêlant le style Art Déco, l’architecture classique française et l’architecture du Maroc. La salle des fêtes, devenue forum, et les deux salons de réception, celui du Maréchal Lyautey et celui du Ministre Paul Reynaud ont une décoration de bon goût mais délibérément exotique. L’immense façade en bas relief d’Alfred Auguste Janniot évoque les multiples réalités qui constituaient l’empire colonial français.

 Le palais abrite une exposition permanente qui, à partir d’objets, de documents écrits, de photos, de peintures, d’enregistrements radiophoniques et de films, explique les différentes phases de l’immigration en France, belge, puis italienne, polonaise, espagnole et portugaise, et, plus récemment, maghrébine, turque, africaine ou vietnamienne.

 Jusqu’au 19 mai, l’exposition temporaire est consacrée à l’immigration algérienne en France pendant la guerre d’Algérie. On y trouve des documents passionnants sur la vie dans les bidonvilles de Gennevilliers et de Nanterre, les musiciens qui se produisaient dans les cafés, les écrivains, la montée du nationalisme, la guerre fratricide entre le MPLA et le FLN, la répression menée par le ministre Papon, les porteurs de valise et finalement l’indépendance. L’exposition rend présente une époque déjà séparée de nous par une génération mais dont les blessures restent à fleur de peau. Elle le fait en adoptant le point de vue des Algériens exilés en France : ce décentrement est bienvenu.

Le salon de Lyautey au Palais de la Porte Dorée

Bonne année 2013 !

« Transhumances » souhaite à ses lecteurs une année 2013 de lucidité et de détermination.

 Dans cette photo publiée par The Guardian, la photographe Virginie Nguyen Hoang rend palpable la détermination de jeunes manifestants d’Alep, en Syrie. Ils savent les dangers immédiats qu’ils encourent, et ils pressentent sans doute aussi les difficultés à  venir après la victoire. Ils sont fatigués mais déterminés à faire entendre leur voix.

 En France, les incohérences du gouvernement issu des élections de mai montrent combien il est compliqué de construire une politique pertinente et constante dans un monde qui change de manière accélérée. L’humeur est au désenchantement. Puissions-nous retrouver l’espoir, la rage de s’en sortir et la volonté d’aller de l’avant quoi qu’il en coûte qui animent les jeunes d’Alep et d’ailleurs dans le monde.

 C’est le vœu que je formule pour vous-mêmes, vos familles et vos amis pour cette année nouvelle !

Sophie we love you!

 

Sophie Christiansen sur Janeiro. Photo The Telegraph.

 

Aux Jeux Paralympiques de Londres, l’épreuve de dressage a été particulièrement émouvante.

 Sophie Christiansen et son cheval Janeiro arrivent au terme de l’épreuve de dressage, dans une parfaite synchronie avec la musique choisie par la jeune femme. Fidèles aux instructions reçues, pour ne pas effrayer le cheval, les spectateurs manifestent leur enthousiasme silencieusement en agitant leurs mains et des drapeaux. Puis quelqu’un crie « Sophie we love you! ». Sophie sourit. L’étiquette est oubliée et c’est un rugissement d’applaudissements qui balaie la piste de Greenwich.

 Sophie a 24 ans. Née 2 mois avant terme, elle souffre de paralysie cérébrale. Elle contrôle mal les mouvements des jambes et des bras et son élocution est difficile. Comme si cela ne suffisait pas, elle souffrit dans sa petite enfance de jaunisse, d’insuffisance respiratoire et d’une attaque cardiaque. A Pékin, elle gagna deux médailles d’or et une médaille d’argent. Cette fois, c’est trois fois l’or qu’elle a décroché. Dans The Telegraph, Jim White observe qu’elle était simplement et clairement plus en contrôle, plus ambitieuse et plus créative que ses rivales.

 Dans The Guardian, Simon Hattenstone dit de Sophie Christiansen que « son corps est mou, ses muscles  sont secoués de spasmes involontaires, son élocution est mal articulée, et elle est complètement jolie, – drôle, expansive, futée, héroïque (…) La chose la plus miraculeuse est peut-être que, bien qu’elle lutte tant pour contrôler son corps, elle a excellé dans un sport qui porte sur le contrôle parfait. « Oui, la précision », dit-elle, précisément. Le dressage est aussi connu comme ballet du cheval – le partenaire marchant et trottant avec deux pattes ou quatre pattes avec la musique, dans un temps et un rythme parfait ».

 Sophie raconte sa scolarité dans une école normale, en proie aux brimades de certains élèves, ressentant une grande difficulté à se faire des amis, en partie parce qu’elle avait honte de son élocution, en partie parce que manger lui prenait plus de temps qu’aux autres et l’empêchait d’aller jouer. Encore aujourd’hui, il lui faut parfois s’imposer. Lorsque des gens la croient débile à cause de ses difficultés d’expression, elle glisse négligemment dans la conversation qu’elle est licenciée en mathématiques. Et obtenir son travail actuel, comme statisticienne, n’a pas été facile : beaucoup d’entreprises reculent à l’idée de devoir fournir un peu d’aide pour surmonter le handicap.

 Sophie, nous t’aimons, oui, mais surtout nous te remercions de cette leçon de courage et d’humanité.

Avec Paul McCartney

Milton’s Cottage

Milton's Cottage vu du jardin. Photo "transhumances".

L’essayiste et poète John Milton (1609 – 1874) fuit la peste qui ravageait Londres en 1855 et s’installa dans un cottage à Chalfont St Giles en 1865. Il se visite aujourd’hui, et un petit musée y est installé.

 J’avais involontairement choisi une photo aérienne de Chalfont St Giles pour illustrer un article de « transhumances » sur les banquets populaires qui, malgré la pluie, avaient marqué le Jubilée. En recherchant des idées de promenades cyclistes abordables de Watford, j’ai découvert que ce ravissant village n’est qu’à une quinzaine de kilomètres de chez moi. J’ai mis la bicyclette dans le métro jusqu’à Moor Park puis Chorleywood et ai pédalé jusqu’à Chalfont St Giles par de charmantes routes qui grimpent et dévalent aux flancs des collines des Chiltern.

 Les pièces de la maison sont petites, conformément aux règles d’une époque où on limitait la surface chauffée. Elles contiennent de nombreux souvenirs de Milton. Le jardin est cultivé d’herbes et de plantes mentionnées dans ses poèmes. S’y reposer en humant les effluves aromatiques est délicieux.

 John Milton est un témoin et un acteur de la révolution anglaise. On oublie souvent en France que, par son absolutisme, le roi Charles 1er s’attira l’hostilité d’un front qui incluait, pour reprendre la typologie de 1789, des nobles, des clercs et des bourgeois. Il finit décapité en 1649. Milton écrivit des pamphlets contre l’autocratie, pour la démocratie et en faveur d’évolutions législatives sur des sujets de société, comme le divorce.

 C’était un homme d’une énorme érudition, qui écrivait en anglais, en latin et en italien, mais dominait aussi le grec ancien, français, l’allemand et le néerlandais : en quelque sorte, un homme des Lumières, avec deux cents ans d’avance.

 Lorsque Milton s’installe à Chalfont St Giles, Oliver Cromwell est mort depuis 7 ans et la restauration monarchique a 5 ans. C’est alors un homme marginalisé et déçu par la défaites des idées pour lesquelles il avait combattu. Il reprend alors un immense poème épique commencé dans la décennie précédente : le Paradis Perdu. Il deviendra un texte fondateur de la langue et de la culture anglaise.

Le Paradis Perdu, première édition.