Le Placard

« Le Placard », film de Francis Weber (2001), constitue une jolie et drôle parabole sur les chemins de la confiance en soi.

 François Pignon (Daniel Auteuil) se vit lui-même comme un raté, un moins-que-rien. Dans la photo d’entreprise annuelle, il est proprement éjecté du cadre ; il apprend d’ailleurs qu’il fait partie d’une prochaine charrette de licenciements. Depuis deux ans, son ex-femme et son fils l’ont eux aussi éjecté de leur vie. Pignon est sauvé du suicide par son nouveau voisin, Belone (Michel Aumont).

 Belone propose à Pignon un plan pour sauver son emploi : se faire passer pour gay, faire croire qu’il « sort du placard ». Dans une entreprise qui fabrique des préservatifs, se mettre à dos la communauté homosexuelle représente un risque qu’on ne peut courir. Des photos, truquées, le représentant dans des situations compromettantes, circulent de service en service. François Pignon, l’homme transparent, celui qui n’existait pas au regard des autres, échappe au licenciement. Mieux encore, il devient le point focal de l’entreprise. Il la représentera à la Gay Pride, juché sur un char, coiffé d’un bonnet en forme de préservatif.

 Le chef du personnel, Félix Santini (Gérard Depardieu) est sommé de ravaler ses blagues sur les « tantes » et de se faire ami de Pignon : son identité de gros dur machiste se dissout à vive allure au point de le conduire à l’hôpital psychiatrique. En sens inverse, François Pignon  découvre qu’il a une vraie personnalité. Il se réconcilie avec son fils. Il dit à son ex-femme ses quatre vérités. Il devient l’amant de sa belle chef de service, Mlle Bertrand (Michèle Laroque).

 « Le Placard » est une grosse comédie. Il faut se laisser aller à rire à gorge déployée et ne pas y rechercher trop de subtilité. Mais c’est une jolie parabole de la « transhumance » d’un homme entre un état de non-existence aux yeux des autres et des siens propres, à une vie assumée et digne.

 

La balade de Lucie

Sandrine Bonnaire dans « la balade de Lucie »

France 2 vient de diffuser « la balade de Lucie », un téléfilm réalisé par Sandrine Ray avec Sandrine Bonnaire dans le rôle principal.

 Dans son blog du Parisien, Jim Pariser note que le titre du film est inspiré de la chanson de Marianne Faithfull, the ballad of Lucy Jordan. Elle évoque une femme de trente sept ans qui vit dans une chambre blanche dans une banlieue blanche. Lucy Jordan rêve à des milliers d’amants mais se rend compte qu’elle ne traversera jamais Paris dans une voiture de sport, un vent tiède lui soufflant dans les cheveux Ses maris et ses enfants la retiennent à la maison.

 Comme la Lucy de Faithfull, Lucie Dupré (Sandrine Bonnaire) vit dans un cocon avec son mari qui la couve et la couvre de cadeaux et deux garçons. Lorsque son mari est arrêté et emprisonné pour abus de confiance, lorsque l’huissier vient saisir les meubles, le monde de Lucie s’effondre. Elle part pour Lyon où l’attend sa mère (Mylène Demongeot) et une autre prison dorée, une grande maison bourgeoise servie par une domestique. Lucie s’évade et s’enfuit vers le point d’ancrage de sa vie : la plage d’Aquitaine où, enfant, elle jouait avec sa grand-mère adorée. Une course de vitesse s’engage : à leur tour, ses garçons se sont lancés sur ses traces ; un avis de recherche est lancé. Il lui faut trouver d’urgence du travail et un logement. Elle doit en quelques semaines réinventer sa vie.

 Le personnage de Lucie est complexe : elle est meurtrie, hostile à l’égard de sa mère, affectueuse envers ses enfants et même de son mari, cynique à l’endroit des hommes qu’elle rencontre, y compris ceux qui lui tendent la main. C’est l’interprétation de Sandrine Bonnaire qui donne au film une certaine profondeur. L’immense plage sableuse de l’Atlantique est le point d’ancrage de Lucie, mais aussi la colonne vertébrale du film.

 « La balade de Lucie » est loin d’être un grand film. L’histoire est peu crédible et les personnages, hormis ceux de Lucie et de ses garçons, stéréotypés. Mais le portrait d’une femme cherchant à prendre son destin en mains a été opportunément diffusé deux jours avant la journée de la femme. Et le choix du Pyla comme lieu de vie rêvé ne peut qu’enchanter l’Aquitain d’adoption que je suis devenu.

Il y a longtemps que je t’aime

La chaine de télévision Arte a diffusé le 23 janvier le film de Philippe Claudel « il y a longtemps que je t’aime » (2008).

 Lorsque Léa (Elsa Zylberstein), sa sœur cadette, lui offre l’hospitalité, Juliette (Kristin Scott Thomas) est une femme absente, à fleur de peau, empoisonnée par la cigarette qu’elle ne cesse de fumer comme par un passé qu’on devine insupportable. Juliette a passé 15 ans derrière les barreaux après avoir été condamnée pour avoir donné la mort à son petit garçon.

 Léa elle-même étouffe sous la culpabilité. Enfant, elle était inséparable de sa grande sœur. Après le procès, Juliette fut rayée de la carte par ses parents et Elsa s’est conformée à ce diktat : pas une fois elle n’est venue la rencontrer en détention. Les deux sœurs vont devoir se redécouvrir, dire l’indicible, se pardonner.

 Juliette va peu à peu s’absenter de son absence jusqu’à pouvoir dire, dans le dernier plan du film : « je suis là ». Les médiateurs de sa renaissance vont être les deux adorables petites vietnamiennes adoptées par Elsa et son mari Luc ; le policier chargé de la probation de Juliette qui est lui-même accablé de solitude ;  Michel, un collègue de Léa qui a enseigné en prison ; et, à son corps défendant, l’horrible assistante sociale qui lui trouve un emploi de secrétaire.

 Juliette et Léa se retrouvent souvent à la piscine. L’image est judicieuse. L’une et l’autre se sont noyées dans le chagrin et la culpabilité. Elles doivent réapprendre à respirer librement, confiantes dans le fait que malgré les apparences l’amour a été et reste le plus fort.

Elsa Zylberstein et Kristin Scott Thomas dans « il y a longtemps que je t’aime »

Louise Wimmer

“Louise Wimmer”, film de Cyril Mennegun, présente l’image d’une femme brutalement rejetée à la marge de la société mais luttant pour préserver sa dignité.

 La première séquence nous montre Louise (Corinne Masiero) au volant de son break Volvo. Il est devenu sa maison. Depuis que Louise a rompu avec son mari, elle est sans domicile fixe. Depuis sept mois, elle attend un logement HLM, mais l’assistante sociale la juge « arrogante », lui reproche de « ne pas jouer le jeu ». Mais ce n’est pas un jeu ! hurle Louise.

 Louise approche de la cinquantaine. Le break, et quelques bijoux qu’elle vend au crédit municipal contre un peu de cash, sont ce qui lui reste de sa vie d’avant, dans le confort d’une existence petite bourgeoise. Le matin, elle nettoie les chambres d’un hôtel, l’après-midi elle fait des ménages, certaines nuits elle retrouve son amant avec qui elle fait l’amour passionnément mais refuse de parler de sa vie.

 Louise ne vit même pas à la petite semaine. C’est à chaque instant qu’il faut trouver le moyen de faire démarrer la voiture, un lieu pour se laver et se maquiller, une combine pour manger un repas chaud, de l’essence à siphonner pour le réservoir de la gourmande Volvo. Le monde est devenu hostile ou, pire, indifférent. Lorsqu’elle met le contact de sa voiture, elle n’écoute qu’une chanson : « sinner man » de Nina Simone. « Oh sinner man, where you gonna run to? » O pêcheur où vas-tu t’enfuir ? Mais le rocher refuse de la cacher, la rivière saigne et la mer est bouillante… Dans une scène magnifique, Louise est près de sa voiture sur une colline en aplomb de la ville. Elle a mis la musique à fond et danse seule jusqu’à entrer en transes.

 Bien que déchue de son statut social, Louise ne lâche pas prise. Elle dépend de la buraliste qui lui remet son courrier, d’un ami qui trouve un copain pour réparer sa voiture, de la nouvelle assistante sociale. Tous à leur manière vont contribuer à la sauver. Mais c’est elle-même, par sa volonté farouche de ne jamais déchoir de sa dignité, qui trouvera le salut.

 « Louise Wimmer » est un film magnifique, qui parle de la précarité comme elle est, froidement, sans s’apitoyer. Le jeu d’actrice de Corinne Maserio est splendide. Son personnage est une femme vieillissante, pas spécialement belle, marquée par le chagrin. Elle arrive pourtant à nous le rendre admirable, et par là même formidablement attachant.

Corinne Maserio dans « Louise Wimmer »