Falstaff de Verdi

Ambrogio Maestri et Svetla Vassileva dans « Falstaff » de Verdi

L’Opéra Bastille, relayé par des cinémas UGC dans plusieurs métropoles françaises donne actuellement Falstaff, une comédie lyrique composée par Giuseppe Verdi en 1893.

 Âgé de quatre-vingts ans, auréolé d’un immense prestige, Verdi a envie de s’amuser. Il décide de mettre en musique et en scène un livret écrit par Arrigo Boito, principalement à partir des Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare.

 Falstaff est un bon gros vivant qui vit, boit et mange au-dessus de ses moyens. Il cherche à se faire entretenir par deux bourgeoises en devenant leur amant. Mais les cibles du stratagème et leur bonne, joliment appelée Mrs Quickly, mènent de concert une stratégie qui aura pour effet d’humilier le bonhomme et de lui faire avouer que « tout dans le monde n’est que farce et duperie ».

 On rit de bon cœur. On retrouve les ingrédients des pièces de Shakespeare, en particulier la forêt obscure et les fées, mais cette fois cuisinés à la sauce comique. La relecture italienne du contexte anglais ajoute à la drôlerie de cet opéra rondement mené, dont la mise en scène de Dominique Pitoiset et la direction musicale de Daniel Oren rendent bien la vivacité. La distribution, toute internationale, est remarquable.

 Voir Falstaff dans une salle de cinéma prive le spectateur des vibrations que ressentent ceux qui ont la chance d’assister au spectacle à l’Opéra Bastille. Les applaudissements, en particulier, sont source de frustration : applaudir lorsque les acteurs du spectacle n’entendent pas, n’a guère de sens ; ne pas applaudir laisse une impression d’inachevé. Il reste que l’opération « Viva l’Opera ! » donne accès à des milliers de personnes à un spectacle que la distance ou le prix d’entrée dissuaderaient.

 On fête cette année le deux centième anniversaire de la naissance de Verdi. Nous conservons la mémoire des célébrations ardentes qui avaient marqué en 2001 à Milan le centenaire de sa mort.

Falstaff sur la scène de l’Opéra Bastille

Au bout du conte

« Au bout du conte », film réalisé par Agnès Jaoui sur la base d’un scénario écrit avec Jean-Pierre Bacri, est une comédie un peu grinçante sur les rêves et le destin d’hommes et de femmes ordinaires.

 Pierre (Jean-Pierre Bacri) ne croit pas aux médiums. Il reste qu’il s’approche dangereusement de la date qu’une voyante a désignée il y a longtemps comme celle de sa mort. Il n’y croit pas, mais sa vie est de plus en plus pourrie par le doute.

 Laura (Agathe Bonitzer) voit en rêve un Prince Charmant l’emmener vers le bonheur. C’est en effet le bonheur qu’elle, fille de bonne famille un peu déprimée, connait brièvement avec Sandro (Arthur Dupont), un jeune musicien désargenté mais talentueux. Hélas, elle ne résistera pas aux avances d’un ténébreux Don Juan, Maxime (Benjamin Biolay), et perdra son amour.

 Marianne (Agnès Jaoui) a perdu l’amour de sa vie. Elle vient de se séparer de son mari, mais découvre qu’elle ne sait rien faire seule, conduire, entrer le mot de passe de son ordinateur ou mettre en route le chauffe-eau.

 Tous ces personnages croient aux contes de fée, mais ils savent bien que la vraie vie est différente, qu’elle passe par des ruptures, des souffrances et aussi des épisodes de félicité.

 Il y a des scènes drôles dans « au bout du conte », comme celle où Bacri, moniteur d’auto-école, tente de donner confiance en elle à son élève Jaoui. Il y a aussi des scènes émouvantes, comme celle où Pierre pleure dans les bras de son fils Sandro, avec qui il n’a jamais su avoir de vraie communication. Ou bien lorsque Laura rencontre Sandro après avoir été plaquée par Maxime. On croit qu’elle va trouver les mots pour renouer ; mais elle ne trouve pas les mots, balbutie, prononce une phrase insignifiante et tourne le dos, définitivement meurtrie.

 Les personnages sont en permanent déséquilibre. S’ils penchent trop vers le conte de fée, ils savent qu’ils se brûleront les ailes ; s’ils s’abandonnent au cynisme, ils perdent leur âme. Ils entendent vivre pleinement le grand amour, mais sont convaincus que la fidélité est impossible.

 C’est un film inventif,  tendre et drôle, qui capture bien l’esprit de l’époque.

Arthur Dupont et Agathe Bonitzer dans « au bout du conte »

Didon et Enée au Grand Théâtre de Bordeaux

L’opéra « Didon et Enée » de Henry Purcell est actuellement donné au Grand Théâtre de Bordeaux.

 Le Grand Théâtre de Bordeaux, avec sa grande salle à l’italienne de mille places, se prête particulièrement bien à la musique baroque. Henry Purcell, qui composa l’opéra Didon et Enée en 1687, près d’un siècle avant l’inauguration du théâtre, s’y serait senti à l’aise.

 Le metteur en scène Bernard Lévy a pourtant choisi la modernité. Les chanteurs sont en costume d’aujourd’hui et la scène est dépouillée. Sur un écran en fond de scène est projetée la traduction du livret. A la fin de chaque acte, les phrases dites apparaissent nettement, puis s’emmêlent, se tordent et disparaissent dans un nuage digital.

 La reine de Carthage Didon (Isabelle Druet) aime le roi de Troie Enée (Florian Sempey) qu’elle reçoit en son palais. Mais des sorcières malicieuses font croire à Enée que la raison d’état l’appelle à Rome. Didon meurt de chagrin.

 Le metteur en scène souligne le côté comique des sorcières, qui s’amusent à délivrer à Enée un faux message de Jupiter et à précipiter ainsi la ruine de Didon. Le mal n’est pas l’absence de lien social et la prévalence de haines enracinées, comme dans la vraie vie. Il est l’effet d’un jeu, une sorte de pile ou face joué par des sorcières rigolotes. C’est baroque et troublant.

 En première partie, le directeur musical Sébastien d’Hérin propose plusieurs œuvres de Purcell. On est frappé par la multiplicité de ses influences, de Lulli aux danses celtiques d’Ecosse.

The Master

 

Joaquin Phoenix et Philip Seymour Hoffman dans « The Master »

 

The Master, film de Thomas Anderson, met en scène la relation complexe qui s’établit entre un ancien combattant de la guerre du Pacifique et le gourou d’une secte ressemblant à s’y méprendre à la Scientologie.

 Freddie Quell (Joaquin Phoenix) est sorti meurtri et traumatisé de la guerre du Pacifique. Rendu à la vie civile en 1945, c’est un alcoolique instable et parfois violent qui passe d’un petit boulot à l’autre. Une nuit d’ivresse à San Francisco, il tombe littéralement dans la vie de Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman), plus précisément dans le yacht où celui-ci célèbre le mariage de sa fille.

 Dodd est le gourou d’une secte nommée La Cause, qui affirme que le corps n’est que l’enveloppe provisoire de l’esprit, que l’esprit passe dans le temps d’un corps à l’autre et que par des exercices psychiques violents il est possible de rendre présents les traumatismes des vies passées et de les guérir. Déboussolé, meurtri, tordu jusque dans son corps par des souffrances tues, Quell est un cobaye idéal.

 Quell passe donc sous la domination de Dodd. Mais d’une certaine manière, Dodd en devient aussi dépendant : son patient est aussi celui qui illustre ses pratiques thérapeutiques, celui lui fournit un alcool introuvable, celui qui intimide ses ennemis. Leur relation va passer par des moments d’extrême tension. Dans une des scènes majeures du film, les deux hommes sont enfermés dans un commissariat de police dans deux cages grillagées contigües. Quell entre dans une crise de folie dévastatrice, détruit à coups de pied la cuvette des toilettes, abreuve Dodd d’insultes. Celui-ci se retourne pour uriner dans la cuvette, restée intacte, de sa cellule – une manière de pisser son mépris sur l’homme devenu son esclave.

 La mise en scène du film est soignée, les acteurs sont bons, la situation est intéressante, et pourtant je n’ai pas aimé le film. Je pense que c’est dû au fait qu’il n’y a pas de « transhumance » d’un état psychologique à l’autre. Freddie Quell reste d’un bout à l’autre du film l’homme blessé et l’inadapté social qu’il était au sortir de la guerre. Peut-être ne pouvait-il pas en être autrement ? Les traitements infligés par « La Cause » reposent sur des idées philosophiques fumeuses et n’ont pas de base scientifique. Le patient tourne en rond tout comme la secte elle-même, absorbée par le culte du gourou et par son succès financier, indifférente à ce qui se passe dans le monde réel.