The Illusion

 

The Illusion

Le Southwark Playhouse donne jusqu’au 8 septembre « The Illusion », une adaptation par l’Américain Tony Krushner de L’illusion Comique de Pierre Corneille (1636).

 La pièce se déroule dans la grotte où officie la sorcière Alcandre. On ne peut rêver de site plus adapté que le Southwark Playhouse. Celui-ci occupe des voûtes situées sous la gare de London Bridge, construites en briques rouges que le temps a chargées de mousse et de crasse. De temps à autres les acteurs doivent forcer la voix pour soutenir la concurrence des trains.

 Alcandre reçoit la visite de Prédamant, un avocat qui s’est fâché depuis quinze ans avec son fils Cindor. Il a essayé de retrouver sa trace, sans résultat. C’est en désespoir de cause qu’il recourt aux services de la sorcière. Et voici que celle-ci lui fait apparaître des scènes de la vie de son fils, réduit à servir un maître fanfaron, tentant de séduire la jeune fille que celui-ci convoite, assassinant un prétendant, condamné à mort, sauvé par la belle, l’épousant, la trahissant et finalement tué à son tour. Prédamant est spectateur des visions que génère la sorcière, mais reste impuissant face à ce qu’il voit, et il sent monter en lui l’amour qu’il a dénié à son fils. A un seul moment les deux mondes, celui de la caverne et celui des visions, communique : Cindor emprisonné reconnait son père et tente de l’appeler.

 Récrite par Krushner, la pièce de Corneille est étonnamment moderne. Un psychanalyste y trouverait ample matière à son enseignement : le père découvre dans les visions d’Alcandre le fils qu’il a perdu ; la grotte de la sorcière sert de matrice d’où nait un nouveau Prédamant.  Mais on peut aussi une allégorie de la production d’images dont notre époque est boulimique. A la fin de la pièce, Alcandre révèle à Prédamant qu’il a en réalité assisté à une succession de théâtre et que Cindor est devenu un acteur de renom. Corneille avait fait de l’Illusion Comique un hommage au théâtre ; c’est à une réflexion sur la liberté que les images prennent à l’égard le monde réel que nous invite Krushner.

 La plupart des acteurs sont des nouveaux diplômés du RADA, et le metteur en scène, Seb Harcombe, est leur professeur. Je dois de nouveau cette soirée à mon amie Bridget. Un acteur m’a semblé exceptionnel : Daniel Eston, qui joue différents rôles, et notamment celui du bouffon de la sorcière, un personnage créé par Krushner et absent de Corneille.

 On passe avec The Illusion une excellente soirée de théâtre.

To Rome with love

 

 

Jack et Monica, sous le regard de l'ange gardien.

 

Woody Allen a démontré avec Vicky Cristina Barcelona (2007) et Midnight in Paris (2011) son talent pour exprimer au cinéma le génie d’une ville.

 C’est à Rome que nous transporte son dernier film, « To Rome with love ». Tous les clichés de la vie romaine s’y trouvent : le chanteur d’opéra, les paparazzi, la prostituée, les hommes d’affaires. On y retrouve aussi avec plaisir Woody Allen comme acteur, dans un rôle où il est naturellement marié à une psychanalyste.

 L’amour dont il est question dans le film, c’est celui d’un jeune couple qui décide de monter de sa province de Pordenone à la capitale pour connaître enfin la grande vie. C’est aussi celui que le cinéaste éprouve visiblement pour Rome et ses habitants.

 Le film juxtapose plusieurs sketches, dans la grande tradition du cinéma italien. Jerry (Woody Allen lui-même), ancien metteur en scène d’opéras,  identifie en Gian Carlo, le père de son futur gendre, un ténor génial. Le problème de Gian Carlo, c’est qu’il ne sait chanter que dans sa douche. Qu’à cela ne tienne : John imagine une douche mobile décorée à l’antique, dans laquelle le personnage principal interprète sur scène son rôle en virtuose, sans cesser de se laver. C’est tellement énorme que l’effet comique est immédiat : le génie de Fellini rôde ! Et aussi celui de Woody Allen lui-même. Comme Gian Carlo est entrepreneur de pompes funèbres, l’épouse de Jerry, en bonne psychanalyste, ne lui ménage aucun décodage : si tu crois bon de mettre en scène un croque-mort, c’est que tu ne parviens pas à faire le deuil de ta carrière professionnelle et à accepter sereinement la retraite !

 Roberto Benigni est dans le rôle d’un homme absolument quelconque propulsé dans la célébrité par la télévision poubelle. Le moindre détail de sa vie quotidienne, comme la manière dont il beurre ses toasts au petit déjeuner, devient l’objet de commentaires sans fin. Il sera rejeté dans l’anonymat aussi vite qu’il s’était trouvé sous les projecteurs.

 Penélope Cruz joue une prostituée en pleine possession de son art qui se retrouve pour un jour mêlée à la vie sociale et intime d’un jeune homme timide et de bonne famille.

 Dans l’un des sketchs, un architecte célèbre rencontre un débutant qui vit dans l’appartement même du Trastevere dans lequel il avait vécu lorsqu’il était étudiant. Comme un ange gardien il le met en garde contre le danger que la sulfureuse Monica fait courir au couple harmonieux qu’il forme avec Sally. En vain, bien sûr !

 « To Rome with love » n’est pas le meilleur film de Woody Allen. Mais on rit de bon cœur et on se laisse charmer par la poésie colorée d’humour qui se déprend de la ville de Rome.

The Real Thing

 

Geral Kyd (Henry) et Marianne Oldham (Annie) dans The Real Thing

Le Palace Theatre de Watford vient de présenter une pièce écrite par Tom Stoppard en 1982, « The Real Thing ».

 Tom Stoppard, né en 1937 en Moravie et émigré eux ans plus tard dans les possessions de l’Empire Britannique pour fuir les persécutions nazies, est un dramaturge connu en Grande Bretagne. Il a en particulier coécrit le scénario du film Shakespeare in Love.

 Dans « The Real Thing » (la Réalité), c’est aussi un dramaturge, Henry, qui s’efforce de vivre sa vie de la manière la plus honnête, ou la plus romantique, possible. Le premier acte nous montre la rupture avec sa première femme, Charlotte, qui le trompait effrontément, et le début de sa relation avec Annie. Dans le second acte, Annie à son tour confesse une relation extraconjugale mais jure à Henry son amour, non exclusif.

 Quelle est la réalité de l’amour d’un homme et d’une femme ? Annie comme Charlotte est comédienne. La première scène est « une pièce dans la pièce », Charlotte jouant le rôle de l’infidèle ; plus tard, dans le deuxième acte, nous verrons aussi Annie répétant un dialogue avec un homme qui est aussi son amant. Ce jeu de miroir entre les personnages eux-mêmes et les personnages jouant comme comédiens, brouille la carte des relations. « Are you all right ? » – « est-ce que tu vas bien ? » revient comme un refrain obsessionnel : jouent-ils à l’amour ? Aiment-ils vraiment ?

 Annie milite pour la libération d’un militant, Brodie. Celui-ci écrit des textes politiques que Henry juge dénués de talent. Il compare le métier du dramaturge à une batte de cricket : elle est capable de projeter une balle à des centaines de mètres avec une accélération formidable. Le mauvais écrivain est celui qui se sert d’une batte comme d’un vulgaire morceau de bois.