Dans « toutes les vies », son premier livre, la chanteuse et musicienne française Rebeka Warrior – Julia Lanoë à l’état-civil – raconte le deuil de Pauline, son amour, et son combat pour continuer à vivre malgré tout.
C’est un cri sorti des entrailles, parfois tordu par la douleur, parfois réduit à une succession de mots s’enchaînant les uns aux autres comme dans un cauchemar. C’est une confession où l’autrice ne cache ni ses trahisons, ni une violence allant jusqu’au désir de meurtre, ni le recours aux psychotropes pour l’expérience extrême qu’ils permettent.
Rebeka est passionnément amoureuse de Pauline. « Pauline était snob, pince-sans-rire et joviale. C’était la plus jolie personne qu’il m’ait été donné de voir. Le matin, elle ne voulait pas que je lui parle avant qu’elle ait avalé son café. Nous adorions faire l’amour. Souvent, nous en pleurions tellement nous trouvions ça beau. Je n’avais jamais aimé si fort. »
« Chaque matin quand je m’éveille
Je vois ton si joli visage
Je sens ton corps qui se réveille
Alors j’ai peur que tu t’en ailles »
Pauline va en effet s’en aller pour de bon. On lui diagnostique un cancer du sein, déjà avancé. « Il allait de soi que, quand on avait un cancer, on allait voit un cancérologue. Nous ne savions pas que c’était comme pour les femmes de ménage. Cancérologue, c’était has-been, ça ne se disait plus. On dit oncologue comme on dit techniciennes de surface. »
Au cours d’un voyage à La Réunion, Rebeka dit à Pauline qu’elle la trouve toujours aussi belle. « J’avais menti. Elle avait un teint gris-vert très chelou. Elle avait perdu ses sourcils et ses cils. »
« La vraie torture, c’est d’aller chaque jour plus mal. Et d’être surprise de voir qu’on peut aller un poil plus mal le lendemain. L’âme humaine peut dérailler à l’infini, et même au-delà. »
« Ce qui ressortait de tout ça, c’est qu’elle avait très peur. Elle m’avait dit « je n’ai pas peur de mourir, j’ai peur de ne plus vivre. » Rebeka ne supporte plus de voir son amour mourir. Elle lui dit adieu. Quelques jours plus tard, le 24 septembre 2017, Pauline meurt. «Je ne savais pas ce que ça faisait de perdre quelqu’un de si proche. Je ne savais pas. C’est comme perdre un bout de soi. Ça laisse un trou. »
Rebeka est désarçonnée. Son métier de chanteuse l’oblige à rester debout. Elle choisit de s’installer à Berlin et de chanter en allemand comme membre d’un nouveau groupe, Kompromat. « Ma langue maternelle me faisait me sentir trop vulnérable. Il me fallait un langage neuf, inconnu, avec de nouvelles vibrations et de nouvelles perspectives (…) Une tentative mystique incantatoire. Et ce serait l’allemand. »

L’autre point d’ancrage est le bouddhisme et le zazen, une technique de méditation assise. Elle s’y consacre à corps perdu, jusqu’au Jukai, c’est-à-dire l’ordination bouddhiste. Malgré la proscription religieuse des stupéfiants, elle se rend au Mexique auprès d’une chamane, qui lui administre du sapo, une drogue puissante. Après avoir traversé un tunnel d’immondices, elle atteint un territoire inouï. « Les couleurs étaient des saveurs. J’étais sans corps et sans illusion. L’humanité entière était contenue dans ce moment. J’étais apaisée et flottante quand j’aperçus Pauline. Elle était si belle dans une immensité bleue. »
« Toutes les vies » est un livre bouleversant, écrit à la première personne et par là même d’une portée universelle.