Le site Diacritiques a consacré un article à un fascicule de 44 pages publié en 1819 intitulé « visite des prisons des départements de l’Eure et de la Seine Inférieure par un membre de la Société royale pour l’amélioration des prisons ».
L’auteur de ce fascicule, le Messin François de Barbé-Marbois (1745 – 1837) a lui-même connu la prison, ou plus exactement le bagne en Guyane de 1797 à 1800 pour ses convictions présumées royalistes. Il a été actif dans la Société royale pour l’amélioration des prisons, créée par ordonnance le 9 avril 1819, « société savante de notables, qui joua un rôle fondateur dans l’élaboration de la réflexion philanthropique sur la prison » lit-on dans Diacritiques.
Il existe actuellement trois centres pénitentiaires dans les départements de l’Eure et de la Seine Maritime, au Havre, à Rouen et au Val de Reuil. En 1819, Barbé-Marbois visita des maisons de police municipale, au nombre théorique de vingt-neuf dans l’Eure, en réalité beaucoup moins ; des prisons près des tribunaux de première instance et des cours royales, y compris dans des villes telles que Les Andelys, Pont-Audemer ou Yvetot ; la maison d’arrêt de Rouen, le dépôt de mendicité et la maison de détention, cette dernière d’une capacité de 650 places ; la maison centrale de Gaillon, servant 6 départements et pouvant accueillir 850 hommes et 350 femmes.
Bon air, bon pain, bonne eau
L’auteur souligne que la conversion en prisons de monastères, abbayes et couvents pendant la révolution constitue « le principal soulagement donné de nos jours aux prisonniers ».
« Je suis arrivé partout sans être annoncé, sans être attendu », écrit l’auteur. Diacritiques souligne la similitude avec une institution récente : le Contrôle général des lieux de privation de liberté. Les inspections du CGLPL peuvent être inopinées. Elles portent sur les conditions de vie des personnes privées de liberté. C’était exactement la mission des visiteurs de la Société royale pour l’amélioration des prisons il y a deux siècles.
Au cœur des préoccupations du visiteur/inspecteur, « les trois conditions principales nécessaires au bien-être des prisonniers : bon air, bon pain, bonne eau ». Il demande que les prisonniers aient de la soupe tous les jours, et pas seulement du pain et de l’eau. Il souhaite qu’on prenne soin de les vêtir, en particulier en hiver. Il plaide pour qu’on établisse partout des lits de camp, au lieu de la paille.
Il s’insurge contre la permanence de cachots qui servent à l’aggravation de la peine des condamnés, et non à empêcher les évasions. « Mais d’anciens préjugés et habitudes attachaient au nom de cachot, l’idée d’un lieu souterrain, humide, entièrement obscur, où l’on ne devait trouver pour tout meuble que de la paille et une chaîne fortement scellée à la muraille (…) Les cachots de cette espèce doivent être généralement interdits (…) Dans aucun cas, cette habitation ne doit mettre leur vie en péril, altérer leur santé, ou leur causer des maladies dont ils ne guériront peut-être jamais. »
Donner aux jeunes détenus un métier
Il proteste contre l’enfermement ensemble de malfaiteurs exercés au mal et de petits délinquants. « Ces jeunes gens, mis en prison pour des fautes légères, en sortent instruits pour le crime (…) C’est pour te tels sujets que l’enseignement est nécessaire et, dans leur situation, le premier à leur donner est un métier. »
Il insiste sur les effets pervers de l’oisiveté et plaide pour la généralisation du travail en prison. Il suggère de s’inspirer de la prison d’Ilchester, en Angleterre, construite par les détenus eux-mêmes. On soulignera au passage le parangonnage avec une expérience étrangère. Barbé Marbois avait vécu aux États-Unis, à Philadelphie. Il avait spontanément une vision internationale des réalités.
« Il est une classe de détenus bien à plaindre, qu’on ne devrait pas trouver dans les prisons, lit-on dans le rapport ; mais qu’on y retient, parce qu’on ne sait où les mettre. Ce sont les fous. » Beaucoup de phrases pourraient être reproduites, sans changement, aujourd’hui.
Quelques années avant d’écrire ce rapport, Barbé Marbois avait été le premier président de la Cour des Comptes. Son rapport sur les prisons est chargé de chiffres, du coût du pain à celui de la construction d’une nouvelle prison.
Susciter des associations
Barbé Marbois insiste sur l’importance de structurer l’aide aux prisonniers. « Je me suis informé dans toutes les villes s’il y existait des associations de charité en faveur des prisonniers. Dans le fait il n’y a aucun endroit où l’on ne trouve des personnes charitables qui contribuent séparément et de temps en temps à leur soulagement. Mais rien n’est plus rare que des associations qui s’occupent efficacement d’un objet aussi désirable, et les magistrats que j’ai consultés sur ce sujet, m’ont dit qu’il serait difficile d’en former ; que la bienfaisance se dirigeait plus facilement vers les femmes qui allaitent, et qu’elle s’exerçait aussi par des secours à domicile et autres en faveur des pauvres. »
Enfin, notons les priorités assignées, selon l’auteur, aux maisons centrales. Il s’agit « 1° de garantir, aux condamnés mêmes, un traitement qui n’aggrave point les rigueurs de la loi ; 2° de châtier les coupables ; 3° de prévenir leurs récidives et de les amender. »
Formidable billet. On a l’impression qu’il ne faut pas changer grand chose pour qu’un tel rapport soit parfaitement actuel.
Un article du journal « Le Monde » de ce jour fait état des critiques d’une organisation de magistrats contre l’action du contrôle général (CGLPL). Il est intéressant de lire les précautions oratoires de Barbé Marbois, déjà en son temps, pour ne pas interférer avec les compétences des juges, tout en formulant des observations de la nature de celles de Mme Simonnot aujourd’hui. L’USM est le syndicat des magistrats connu pour sa sensibilité corporatrice. La crainte est sans doute que le contrôle ne se transforme en inspection de la juridiction, ce qui n’est pas le rôle du Contrôle. Mais cette frilosité peut être mal interprétée par l’opinion et faire oublier le problème de la surpopulation carcérale, qui doit être la préoccupation commune.