LivresSantéSociété25 septembre 20150Victor et ses démons

Psychiatre à Lille, Vincent Dodin vient de transposer dans un roman son expérience de « praticien » : « Victor et ses démons » a été publié en mai 2015 par DDB.

Originaire de l’Aveyron, Victor Lepuech a été admis dans une grande école de commerce à Lille. La séparation d’avec sa famille, et d’abord sa mère, lui provoque des angoisses insupportables. Il tente de les apaiser par le cannabis (la « beuh »), l’alcool et des nuits entières à jouer sur Internet à « World of Warcraft ». Un cercle vicieux s’enclenche : « La beuh chassait son ennui, lavait son âme de sa teinte cafardeuse pour lui redonner du courage. Avec elle, la peur s’évaporait, son esprit s’apaisait, son corps se libérait. Mais si le shit était le sel de sa vie, son manque le rendait fou. Fou de douleur et de trouille, anéanti, à la merci de l’autre, englouti par la foule. »

Une tentative de suicide l’emmène à l’hôpital psychiatrique. Plus tard, malgré le traitement, il se taillera les veines. « Son corps, son âme sont anesthésiés. À peine s’il ressent la brûlure de ses scarifications. Son corps déserté gît inerte sur le linceul blanc de son lit. Sa carcasse l’embarque dans un voyage mortuaire, dont il éprouve déjà sa déliquescence. Il se couvre de pustules, se liquéfie de l’intérieur, se vide par les entailles de son bras, pour ne laisser qu’une carapace vide de sa substance et dure comme une peau cartonnée ».

Vincent Dodin
Vincent Dodin

Le psychiatre propose à Victor un chemin ardu pour sortir de cette course au précipice. Il lui propose de ne pas se laisser distraire de la vie, de ne pas en avoir peur : « le doux, le dur, la jubilation, l’ennui, la joie, la tristesse, l’espoir, la déception, le désir, le plaisir, la jouissance, la frustration… » Pour cela, il y a des règles à respecter : accepter le sevrage, renoncer à cette porte de sortie que serait le suicide, et surtout affronter le non-dit de son histoire personnelle et familiale.

Le soir de sa première hospitalisation, l’infirmier de nuit a dit à Victor que des fantômes lui « agaçaient les orteils » et lui « faisaient s’emballer le palpitant ». Le psychiatre interprète ces paroles : vous avez pu incorporer « un mort non enterré », incorporer dès la naissance la tristesse et l’inquiétude de sa mère. Autrement dit, l’insupportable insécurité dans laquelle se trouve Victor lorsqu’il est seul face à lui-même aurait pour source des secrets de famille jamais explicités mais qui véhiculent, de génération en génération, leur formidable charge anxiogène.

Le livre de Vincent Dodin est optimiste. Il décrit le long processus par lequel, grâce au savoir-faire et au savoir-être de l’équipe médical et malgré des rechutes, Victor parvient à se reconstruire une niche personnelle parfumée et à prendre peu à peu confiance. L’étape finale de son rétablissement consiste à sortir de soi, à partir à la rencontre de l’autre, à lutter pour un monde solidaire. Pour Victor, cette étape prend la forme d’un stage à la ferme école des enfants rebelles, située dans le Larzac, qui accueille des préadolescents et des adolescents cabossés par la vie. Une nuit, il a su consoler Mateo, un petit bonhomme de dix ans en pleine crise de cafard au milieu de la nuit. Victor s’est décentré. Les épreuves qu’il a subies, le difficile parcours pour en sortir, ne sont plus des démons qui le paralysent, mais des acquis qui lui permettront d’avancer dans la vie.

« Victor et ses démons » est un roman qui se lit facilement, dans lequel on rencontre beaucoup de belles pages. Mais son objectif est plus pédagogique que littéraire. « Il s’adresse autant aux sujets addicts et à leur entourage, qu’aux étudiants et aux professionnels de santé mentale. Il intéressera aussi ceux qui s’interrogent sur le devenir de nos jeunes dans une société en perte de sens », énonce la préface. En annexe du roman, l’auteur propose « quelques explications ». S’appuyant sur l’expérience fictive de Victor, il définit l’addiction et décrit comment soigner les addictions et les jeunes addicts.

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