JusticeLivres4 février 20200Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon

Dans « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon », prix Goncourt 2019, Jean-Paul Dubois donne la parole à Paul Hansen, incarcéré pour deux ans. Entouré de la présence de ses morts, Paul fait le point de sa vie.

Paul est incarcéré à la prison de Bordeaux, un quartier de Montréal : « un monde clos fait de souffrance encagée ». « La détention allonge les jours, distend les nuits, étire les heures, donne au temps une consistance pâteuse, vaguement écœurante. Chacun éprouve le sentiment de se mouvoir dans une boue épaisse d’où il faut s’extraire à chaque pas, bataillant pied à pied pour ne pas s’enliser dans le dégoût de soi-même. La prison nous ensevelit vivants », écrit Paul Hansen / Jean-Paul Dubois.

Et encore : « l’enfermement a une odeur déplaisante. Des remugles de macération de mauvaises pensées, des effluves de sales idées qui ont traîné un peu partout, des relents aigres de vieux regrets. L’air libre, par définition, n’entre jamais ici. »

La prison de Bordeaux à Montréal

Un codétenu pas banal

Un 31 décembre, vacarme dans la prison. « On aurait dit les battements d’un énorme cœur d‘acier qui montait vers le ciel. Le cantique des vœux des bannis. (…) En vérité, nous tapions en chœur sur bien des choses différentes. Sur des souffrances qui nous étaient personnelles. Sur le mépris que nous devions endurer. Sur des juges désinvoltes, des dentistes pressés (…) »

Le codétenu de Paul n’est pas banal : Paul Horton est un Hells Angel, accusé de meurtre. Il vit d’une passion : les Harley Davidson. Il porte en lui une haine qui l’incite à fendre en deux la moitié de l’humanité. Tous les soirs à 21h, sur la cuvette des WC sans séparation dans la cellule, il défèque en parlant des bielles entrecroisées de sa Harley qui au ralenti « tremblait comme si elle grelotait ».

Patrick instruit Paul des conduites à tenir face à un évaluateur. « C’est pas compliqué. Tu lui dis juste ce qu’il veut entendre. Des trucs simples. Je regrette à mort ce que j’ai fait. Et je reconnais que j’ai dépassé les limites. En plus j’ai aucune excuse. J’avais des putains de parents nickel qui ne m’ont pas élevé comme ça. Voyez je crois que la prison m’a fait du bien. Ici j’ai appris le respect et on m’a remis les yeux en face des trous. »

Un hydravion Beaver

Présence des morts

Lorsque Paul est finalement libéré et que vient l’heure de se séparer, Patrick est ému : « putain, ça va me faire drôle. J’espère qu’ils ne vont pas me mettre le curé qui chopait des mômes pour te remplacer. »

Dans le roman de Jean-Paul Dubois, les morts enveloppent de leur présence les vivants qui savent les écouter. Pour Paul Hansen, il s’agit de son père Johanes, un pasteur danois incroyant que la vie a transporté à Toulouse puis à Thelford Mines, dans la province de Québec. Son église méthodiste jouxte de gigantesques mines d’amiante à ciel ouvert. Il s’agit aussi de sa femme Winona Mapachee, d’ascendance irlandais et algonquine, qui pilote de lac en lac un hydravion Beaver. Il s’agit enfin de leur chienne bien-aimée, Nouk. Tous trois se tiennent à ses côtés dans l’épreuve de la détention.

« Tout le monde n’habite pas le monde de la même façon ». C’est vrai de Paul et de Patrick, qui viennent d’univers différents, mais doivent cohabiter dans un espace confiné. C’est surtout vrai de Paul et du nouveau syndic de l’immeuble dont il est régisseur depuis 26 ans. Paul était l’âme de l’Excelsior, l’homme à tout faire, le confident des résidents, celui qui leur tenait la main dans leurs derniers instants. Édouard Sedgwick est un « cost-killer » : « pour résumer, l’assistanat c’est fini et vous reprenez votre rôle de superintendant pour lequel je vous paie assez cher. Chaque semaine, vous me fournirez le détail de vos dépenses et nous verrons par la suite quels sont les postes que nous allons diminuer, voire supprimer. »

Jean-Paul Dubois (source Le Monde)

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