The place beyond the pines

“The place beyond the pines”, film de Derek Cianfrance, met en scène des personnages en apparence stéréotypés, mais en réalité complexes et à la recherché d’eux-mêmes.

Le cadre du film est un petit village de l’Etat de New York, Schenectady, dont le nom signifie en iroquois « l’endroit situé au-delà des pins ». Luke Glanton, un motard cascadeur aux airs de loubard lourdement tatoué (Ryan Gosling) y passe une fois par an avec la foire ambulante dont il constitue une attraction. Il découvre que Romina (Eva Mendes), avec qui il a eu l’an dernier un amour de passage, a donné naissance à un fils. Il décide de se fixer à Schenectady et de devenir le père que lui-même, comme enfant, n’a jamais eu. Il faut de l’argent. Il se le procure en braquant des banques, servi par la prodigieuse agilité que lui procure la moto.

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Le Placard

« Le Placard », film de Francis Weber (2001), constitue une jolie et drôle parabole sur les chemins de la confiance en soi.

 François Pignon (Daniel Auteuil) se vit lui-même comme un raté, un moins-que-rien. Dans la photo d’entreprise annuelle, il est proprement éjecté du cadre ; il apprend d’ailleurs qu’il fait partie d’une prochaine charrette de licenciements. Depuis deux ans, son ex-femme et son fils l’ont eux aussi éjecté de leur vie. Pignon est sauvé du suicide par son nouveau voisin, Belone (Michel Aumont).

 Belone propose à Pignon un plan pour sauver son emploi : se faire passer pour gay, faire croire qu’il « sort du placard ». Dans une entreprise qui fabrique des préservatifs, se mettre à dos la communauté homosexuelle représente un risque qu’on ne peut courir. Des photos, truquées, le représentant dans des situations compromettantes, circulent de service en service. François Pignon, l’homme transparent, celui qui n’existait pas au regard des autres, échappe au licenciement. Mieux encore, il devient le point focal de l’entreprise. Il la représentera à la Gay Pride, juché sur un char, coiffé d’un bonnet en forme de préservatif.

 Le chef du personnel, Félix Santini (Gérard Depardieu) est sommé de ravaler ses blagues sur les « tantes » et de se faire ami de Pignon : son identité de gros dur machiste se dissout à vive allure au point de le conduire à l’hôpital psychiatrique. En sens inverse, François Pignon  découvre qu’il a une vraie personnalité. Il se réconcilie avec son fils. Il dit à son ex-femme ses quatre vérités. Il devient l’amant de sa belle chef de service, Mlle Bertrand (Michèle Laroque).

 « Le Placard » est une grosse comédie. Il faut se laisser aller à rire à gorge déployée et ne pas y rechercher trop de subtilité. Mais c’est une jolie parabole de la « transhumance » d’un homme entre un état de non-existence aux yeux des autres et des siens propres, à une vie assumée et digne.

 

Vivre au Paradis

Dans le cadre d’un partenariat avec le Réseau aquitain d’histoire et mémoire de l’immigration, le Musée d’Aquitaine a proposé la projection du film « Vivre au Paradis » de Bourlem Guerdjou (1997).

 En 1960, Lakhdar (Roschdy Zem), ouvrier algérien travaillant dans le bâtiment, a le projet de faire venir sa femme et ses deux enfants qui vivent dans une oasis saharienne. Malgré tous ses efforts pour rendre habitable la baraque qu’il habite dans le bidonville de Nanterre, le choc pour Nora (Fadila Belkebla) est douloureux. Elle s’attendait à une vie facile, avec l’électricité, l’eau courante, de l’espace. Lakhdar va tout faire pour lui décrocher le paradis, un vrai appartement dans Paris. Il fera des heures supplémentaires. Il n’hésitera pas non plus à arnaquer un ami qui, lui aussi, veut faire venir sa famille du bled.

 Lakhdar et Nora suivent une trajectoire opposée. Lakhdar s’entête dans sa recherche d’un paradis individuel, et considère la lutte pour l’indépendance comme une perte de temps. Nora au contraire s’intègre peu à peu aux solidarités de femmes dans le bidonville ; plus, même, elle participe à l’action clandestine du FLN à l’instigation de sa représentante dans le bidonville, Aicha. Nora ne serait pas loin de penser que le paradis n’est pas dans un appartement isolé avec tout le confort, mais dans la communauté humaine unie par le massacre du 17 octobre 1961, heureuse de célébrer un mariage traditionnel, transportée de joie par la proclamation de l’indépendance, le 3 juillet 1962.

 « Vivre au Paradis » est un beau film, magnifiquement joué par Zem et Belkebla, sur la base d’un scénario solide inspiré du livre de Brahim Benaïcha, avec de splendides prises de vue.

 Le Musée d’Aquitaine proposait aussi un film documentaire réalisé à l’occasion de l’exposition « Vies d’exil » à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, dont « transhumances » a rendu compte. Le débat avec la réalisatrice Florence Gaillard, souligna les affrontements au sein de la communauté algérienne pendant la guerre, qui se traduisirent pars près de 4.000 morts dans des règlements de compte. L’Algérie ne s’est peut-être pas tout à fait réconciliée avec ce passé-là.

Lahhdar, Nora et leurs enfants dans le bidonville de Nanterre

L’artiste et son modèle

« L’artiste et son modèle », film de Fernando Trueba, offre une envoûtante méditation sur le processus de création artistique.

 Pendant l’été 1943, le sculpteur Marc Cros (Jean Rochefort) vit avec sa femme et ancien modèle Léa (Claudia Cardinale) dans un village de la Catalogne française. Depuis le début de la guerre, son inspiration s’est tarie. Léa repère dans le village une jolie jeune femme, réfugiée du franquisme, Mercé (Aida Folch). En échange du gîte et du couvert, que le sculpteur lui accorde dans la bergerie qui lui sert d’atelier, elle consent à devenir son modèle.

 Mercé vient de la campagne. Elle n’a aucune idée de ce qu’une œuvre d’art signifie. Elle rit parfois à gorge déployée, quitte la pause pour se baigner dans la rivière, bouge lorsque le sculpteur la voudrait strictement immobile. Marc Cros ne trouve pas l’inspiration, multiplie les croquis, les déchire et recommence avec d’autres poses. C’est une posture de Mercé désespérée de ce travail inabouti qui lui fait enfin trouver l’idée créatrice qu’il va pouvoir élaborer.

 Le sculpteur est fasciné par la perfection du corps de son modèle, qu’il dévore des yeux, dont il contemple les courbes et le grain de la peau, et dont il touche les épaules comme pour les façonner. Il sent qu’il tient l’occasion de réaliser, à l’hiver de sa vie, l’œuvre de création définitive, lui qui croit que Dieu a créé Ève, et non Adam, parce qu’il avait besoin d’absolue beauté.

 Le film est tourné en noir et blanc, ce qui convient bien à une apologie des volumes et des formes. Il est presque silencieux, sans musique, avec comme bande sonore de rares paroles, le vent dans les arbres, le frottement des outils sur le plâtre, quelques coups de feu. Ce qui le rend captivant, c’est, comme le suggère le titre, la relation chargée d’érotisme sublimé qui s’établit entre la lumineuse Aida Folch et un Jean Rochefort magnifique dans son angoisse créatrice, sur le fil du rasoir entre le désir charnel et l’œuvre d’art.

 Le film de Fernando Trueba a des points communs avec le « Renoir » de Gilles Bourdos : les deux films montrent un artiste qui, par la magie de l’irruption d’une superbe jeune femme, retrouve à la fin de sa vie l’inspiration créatrice. L’un et l’autre évoquent la tension entre le désir de l’artiste de faire abstraction du contexte de guerre pour se consacrer à son art, et l’implication de ses proches dans les événements. La participation de Mercé, la nuit, à des activités de résistance, est peu crédible, au contraire des déchirements entre Auguste et Jean Renoir sur l’engagement militaire de ce dernier, dans le film de Bourdos. Fernando Trueba aurait peut-être pu omettre ce volet de son film et rester focalisé sur ce qui en est le véritable objet : une méditation sur l’art.

Marc Cros montre à Mercé ce qu’il considère comme le plus beau dessin du monde : une esquisse au fusain de Rembrandt représentant les premiers pas d’un jeune enfant. Le sculpteur fait partager à son modèle, et à nous spectateurs, son émotion et guide nos pas sur le chemin de la création artistique. C’est ce que réussit, sobrement mais magnifiquement, le film de Fernando Trueba.

Aida Folch et Jean Rochefort dans « l’artiste et son modèle »