Emeutes, le Contrecoup

Gemma Cairney entre Reece et Lorriane, émeutiers en août 2011

La chaîne de télévision britannique BBC3 vient de consacrer un intéressant reportage au contrecoup des émeutes d’août 2011 pour ceux qui y ont participé et ceux qui en ont été les victimes : « Riots, the Aftershock », » Emeutes, le Contrecoup ».

 Le jeune journaliste Gemma Cairney a suivi pendant plusieurs mois trois émeutiers arrêtés à la suite des événements et deux victimes.

 L’une des victimes est une jeune femme compositrice de musique dont le logement a été incendié et la plupart des instruments détruits. Elle dit que ce n’est pas seulement la perte de biens matériels qu’il a fallu surmonter, mais celle d’objets indispensables à sa santé mentale. L’autre est un jeune homme originaire du continent indien qui avait économisé pendant dix ans pour monter sa propre affaire, un négoce de jus de fruits, annihilé par la tornade des émeutes.

 David Cameron avait annoncé que les coupables de violences et de vols répondraient de leurs actes. Les peines prononcées à l’égard des émeutiers, pour la plupart sans antécédent judiciaire, furent d’une sévérité sans commune mesure à celle appliquée hors du contexte du moment.

 Gemma a suivi pendant trois trimestres trois de ces jeunes émeutiers. On assiste à la sortie de prison de l’une d’entre eux, dix-neuf ans au moment des faits, condamnée à 14 mois de réclusion pour vol. Son père, un chauffeur d’autobus de nuit, vient la chercher. Il habite dans un minuscule deux-pièces. C’est là que sa fille, équipée d’un bracelet électronique, devra vivre recluse la nuit pendant plusieurs mois. Lorsqu’on vient la libérer, la joie attendue se transforme en cauchemar : la coexistence avec son père s’est tant dégradée que celui-ci réclame qu’elle soit de nouveau incarcérée. C’est la galère, pour trouver du travail, pour avoir une relation normale avec son petit ami et même pour trouver à ce nourrir. La jeune femme tombe dans une profonde déprime.

 Le second vit dans l’angoisse du jugement d’appel, qui peut le renvoyer en prison, le séparer de sa jeune épouse polonaise et de leur toute petite fille et priver la famille de son HLM. Il sera finalement acquitté, comme seulement 17% des prévenus, mais son histoire laissera des traces.

 Le troisième était danseur professionnel. Il regrette d’avoir volé un téléviseur dans un grand magasin d’électronique Argos, mais pense que le mouvement de révolte à la base des émeutes était légitime et la répression injuste. Il souhaite rencontrer le directeur du magasin d’Argos pour lui présenter ses excuses. Il parle avec ses élèves, qui l’adorent et le vénèrent, de ce qui s’est passé.

 Dans les trois cas, les contrecoups de la confrontation au système judiciaire sont lourds et laissent des traces profondes. Mais on mesure l’inégalité devant la vie. Pour l’une, on sent bien que ce qui s’est passé ne pourra probablement pas être digéré : elle est sur la pente de la dépression, peut-être du suicide. Le second a failli sombrer comme un noyé dans les remous de son procès et se considère, lui et les personnes qu’il aime, comme des rescapés. Il en sort fatigué et esquinté. Bien qu’acquitté, on sent qu’il aura du mal à rebondir.  Le troisième est fort, dans son corps et dans sa tête. L’épreuve de la prison restera une épreuve terrible, mais il en sort grandi.

 Les différentes séquences du reportage étaient séparées par des dessins fixes ou mobiles représentant les personnages et les situations. Les traits des dessins vibraient comme s’ils étaient des fils parcourus par un courant électrique à haute intensité. Cette création artistique renforçait l’impression d’angoisse et de gâchis diffusée par le reportage.

Care4Care

Dans The Guardian du 30 mai, Kate Murray évoque une innovation sociale destinée à désamorcer la bombe à retardement démographique ; Care4Care, ou encore Care for Care, assistance contre assistance.

 L’auteur de l’idée, Heinz Wolf, est un scientifique aujourd’hui âgé de 84 ans. Il s’agit, en utilisant un vocabulaire français, d’un compte d’épargne temps d’assistance dépendance. Pendant qu’ils sont en état de le faire, les volontaires de Care4Care consacrent quelques heures de la semaine à des tâches d’assistance à des personnes dépendantes, depuis faire leurs courses jusqu’à changer une ampoule. Ce temps est comptabilisé et constitue un crédit qu’ils pourront utiliser lorsqu’à leur tour ils auront besoin d’assistance. Les promoteurs de l’idée pensent que la combinaison d’altruisme et d’intérêt bien compris font du schéma un moyen pratique de répondre à la demande rapidement croissante d’assistance aux personnes âgées.

 Le schéma est actuellement testé à l’Ile de Wight par 90 volontaires, en partenariat avec la Young Fundation.  Le projet est d’avoir un réseau national, afin de permettre aux volontaires d’accumuler un crédit d’assistance utilisable non seulement pour eux-mêmes plus tard, mais dès maintenant pour des proches dans d’autres pays du pays.

 Heinz Wolf commente « les gens se sont habitués à l’idée que l’état allait tout fournir du berceau à la tombe, mais ils commencent à se rendre compte que ça ne marche plus comme cela. A mesure que nous nous habituons à l’idée que la communauté aura à faire plus pour elle-même, on ne manquera pas de personnes prêtes à franchir le pas. Nous parlons de millions de gens qui participeront. Cela fera partie de notre vie, tout comme faire la lessive. »

 Photo : la rivière Bellevue, vue d’Exbury Park près de Southampton.

Vieillir en bonne santé

Dans The Guardian du 30 mai, Christopher Thomond interview Tom Kirkwood, Doyen de l’Université de Newcastle pour le Vieillissement.

 « Le Professeur Tom Kirkwood a démoli une série de fausses idées sur le processus du vieillissement avec une étude fracassante sur la santé de plus de 1.000 personnes de la génération des plus de 85 ans. « Dire qu’ils sont une une misère ambulante, qu’ils sont malheureux de leurs sorts et qu’ils se plaignent sans cesse de leurs maux relève du mythe, dit-il. Les quatre cinquièmes d’entre eux pensent qu’ils s’en sortent plutôt bien ». »

 L’envers de cette monnaie, c’est que 20% ont besoin d’assistance. C’est probablement gérable aujourd’hui, alors que la population des plus de 80 ans en Grande Bretagne est de 2,6 millions de personnes. Cela deviendra problématique en 2030, quand ce chiffre aura bondi à 4,8 millions.

 Selon Kirkwood, les facteurs génétiques n’expliquent qu’un quart de la durée de vie. « Ce que nous savons maintenant, c’est que les facteurs génétiques qui influencent notre longévité ne sont pas les gènes qui mesurent le passage du temps. La raison pour laquelle nous vieillissons et nous mourons est que, à mesure que nous vivons notre vie, notre corps accumule une grande variété de défauts dans les cellules et dans les molécules qui constituent les cellules dans notre corps, de sorte que le vieillissement est induit par cette accumulation de défauts. Les gènes qui influencent la longévité sont ceux qui influencent la manière plus ou moins efficace selon laquelle notre corps réagit aux dommages, le dynamisme de la machine à réparer ; ce sont les gènes qui régulent la gestion, la maintenance et la réparation. »

 C’est ce processus, non programmé à l’avance, qui explique en grande partie l’inégalité devant le vieillissement. Les styles de vie influencent fortement la qualité du vieillissement ; c’est le cas de l’hygiène alimentaire et de l’exercice physique, par exemple. Les inégalités sociales se traduisent, le grand âge venu, par moins d’autonomie et plus de dépendance.

 L’étude de Kirkwood fait aussi état d’une inégalité entre les hommes et les femmes. Bien que les femmes vivent six ans de plus en moyenne que les hommes, elles apparaissent moins autonomes. L’étude a identifié 17 tâches de la vie quotidienne, de s’occuper des finances à faire les courses. Un tiers des hommes effectuent ces 17 tâches, contre un sixième des femmes.

 Photo « transhumances » : arbre du Keukenhof, Pays-Bas

Chasseurs d’images

Le parc floral de Keukenhof, aux Pays-Bas non loin de La Haye, est le plus grand du monde. On se trouve émerveillé par la symphonie de couleurs et de volumes, orchestrée par des paysagistes ingénieux.

Chasseuses d'images parmi les fleurs

Une foule immense déambule dans le vaste parc. Des milliers de photos sont prises chaque minute, dans toute les postures : visages collés, smartphone au bout du bras tendu ; visages émergents d’un massif de tulipes ; gros plan sur le pistil d’une tulipe, vision panoramique d’un massif d’amaryllis, tunnel d’une allée boisée ; photos de groupe ; photos de quelqu’un photographiant quelqu’un ; parodiant Bénabar, les petits devant, les grands derrière.

 A Londres, les footballeurs du Chelsea fêtent sur la plateforme d’un autobus leur victoire en coupe d’Europe. Des milliers de spectateurs les mitraillent de photos. Ils ne sont pas en reste : eux-mêmes photographient la foule. Il ne suffit pas d’être là, de se pénétrer de l’euphorie de l’instant : il faut prendre des images, les mettre en boîte et tenter ainsi de conserver un peu de ce bonheur fugace.

 

Les joueurs de Chelsea, photographes photographiés, The Guardian

A Anvers, nous visitons le musée de la photo. Une exposition rapproche les œuvres de John Burk (1843 – 1900) et de Simon Norfolk (né en 1963) sur fond de guerres en Afghanistan. Le premier avait profité de la guerre anglo-afghane de 1878 – 1880 pour s’introduire dans un pays jamais encore photographié et faire une bonne affaire commerciale ; le second a voulu dénoncer la guerre commencée il y a plus de dix ans. L’un et l’autre mettent le focus sur ceux qui habitent ce pays, des misérables de la banlieue de Kaboul à ces habitants fugaces, colosses aux pieds d’argile que sont les forces d’occupation. Cette exposition est bouleversante par la beauté des gens et des montagnes, mais aussi par la rage silencieuse qui affleure.

Photo Simon Norfolk, Afghanistan