AquitaineLivres20 septembre 20240Mon coeur à l’étroit

« Mon cœur à l’étroit », roman de Marie Ndiaye (2007) se présente comme un conte fantastique dans lequel les humains, la nourriture et la ville elle-même se liguent pour punir les protagonistes d’un crime originel.

Nadia et Ange, la cinquantaine, formaient un couple heureux, appréciés par leurs voisins d’appartement bordelais dans la très chic rue de l’Esprit des Lois, reconnus comme d’excellents enseignants dans l’école où tous deux exerçaient.

Soudain, tout s’est détraqué. Ils sont maintenant considérés comme des parias et même craints comme des pestiférés. On n’approche pas des gens de cette espèce. « Je vois un garçon jeter un furtif coup d’œil vers ma chaise, mon bureau. J’essaie de voir moi aussi – que regarde-t-il ? Il a rougi avant de devenir soudain très pâle. Mon Dieu, qu’a-t-il regardé ? Que voient-ils tous que je ne vois pas, que connaissent-ils donc que je ne connais pas ? »

Bordeaux, Grand-Théâtre

Ange revient un jour de l’école avec une large plaie au flanc. Il refuse qu’on appelle le médecin. La plaie suppure, dégage une odeur nauséabonde. Un voisin, Noget, impose sa présence dans l’appartement, cuisine des plats délicieux, tient compagnie au malade. Or, Nadia et Ange méprisaient cet homme à l’aspect négligé, mal rasé, mal habillé, fielleux. Ils ignoraient que lui, Richard Victor Noget, était une sommité littéraire.

La ville de Bordeaux elle-même semble se joindre à la conspiration. Elle se recouvre d’un épais brouillard qui refuse de se dissiper, comme s’il était devenu l’essence de la ville, son haleine. Nadia, qui connait intimement sa cité, se perd dans des rues qui ne semblent pas avoir de fin. « Je ne peux me défaire de cette impression que la ville entière me surveille. Et mon cœur est aux abois, cerné par la meute, et il cogne contre ma poitrine et voudrait bondir hors de sa cage exigüe, mon pauvre cœur vieillissant, mon cœur tremblant. »

Nadia ne cesse de grossir et semble porter dans son ventre quelque chose, mais quoi ? Ça ne pourrait pas être un fœtus, elle est ménopausée.

Bordeaux, les Aubiers

Quel crime ont donc commis Ange et Nadia, ou bien Nadia seule ? Elle est née et a grandi aux Aubiers, un quartier prolétarien de Bordeaux. Sa mère était étrangère. Nadia a fui sa condition, rompu avec ses parents. Elle concevait « une haine froide pour le milieu dont elle s’était extraite. » Elle a épousé Ange, un vrai Bordelais, en secondes noces. Son mari lui a « donné l’opportunité d’une bonne vie bordelaise, respectable et altière ». Aujourd’hui, le fait que son fils n’ait pas donné à sa fille un prénom français, qu’il l’ait appelée Souhar, lui provoque du dégoût.

C’est cette fuite de sa condition et le mépris qui en découle pour ce qui n’est pas conforme à l’espérance d’une vie de bourgeoise bordelaise qui constituent la faute de Nadia. Peut-elle se réconcilier avec son passé et avec ses parents méprisés ? Son cœur à l’étroit pourra-t-il de nouveau s’épancher ?

La lecture de « mon cœur à l’étroit » provoque un sentiment persistant d’inconfort et même d’anxiété. Je préfère les récits de bravoure épique, dans lesquels  l’héroïne ou le héros se fabrique un destin en surmontant les obstacles dressés sur sa route. Marie Ndiaye oblige à regarder le mal en face, ce mal qui ronge les entrailles et dont la conscience fait ressentir l’indignité de sa propre vie. Son livre est une puissante œuvre littéraire.

Marie Ndiaye

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