Justice17 février 20230Qui sont les djihadistes français ?

Le Ministère de la Justice a récemment publié un étude intitulée « Sociologie du djihadisme français ».  Réalisée auprès de plus de plus de 350 djihadistes incarcérés dans les prisons françaises par Xavier Crettiez et Romain Sèze avec la collaboration de la magistrate Jennifer Boirot, cette étude vise à mieux comprendre l’environnement des djihadistes et à éclairer leurs motivations.

Elle se fonde sur 353 rapports d’évaluation établis dans le cadre des quartiers d’évaluation de la radicalisation ainsi que sur 137 rapports rédigés par des médiateurs du fait religieux. Elle est structurée autour de 110 informations collectées auprès des détenus interviewés, concernant leur origine géographique, leur nationalité, leur âge, leur situation familiale, leurs conditions socio-économiques, leurs éventuels antécédents délinquants et criminels, leurs possibles vulnérabilités psychologiques, leurs rapports à la religion, leurs rapports à la politique, leurs rapports à la cause djihadiste.

Les auteurs rappellent que trois écoles de pensée proposent des interprétations de l’engagement djihadiste : culturaliste, minoritariste, générationnelle. L’approche « culturaliste » estime que l’engagement djihadiste prend sa source dans une interprétation rigoriste de l’islam, et que c’est « l’offre » djihadiste qui séduit des jeunes des quartiers paupérisés. L’approche « minoritariste » explique au contraire le djihadisme par la demande ; des populations marginalisées seraient à la recherche d’une alternative à une société oppressive et discriminante. L’approche « générationnelle » enfin met en avant le besoin de la seconde génération d’immigration musulmane d’un cadre de pensée radicalement en rupture avec le rêve d’intégration de ses parents.

Les attentats du 13 novembre 2015

L’étude contredit certains préjugés. Ainsi, le djihadisme « est massivement un phénomène français, puisque 81% de l’échantillon sont de nationalité française, dont 13,5% ont une double nationalité (le plus souvent algérienne ou marocaine) (…) Le phénomène djihadiste n’est donc pas un produit d’importation, qui découlerait de l’ouverture des frontières de l’Union européenne à des migrants poussés en Europe par la misère et la guerre, mais concerne des jeunes qui ont grandi et vécu sur le territoire national, même si une grande majorité d’entre eux peuvent avoir des origines étrangères.

Autre préjugé battu en brèche : que les djihadistes seraient majoritairement issus de familles dysfonctionnelles. « 75% des situations renseignées sont celles de personnes originaires de familles qu’elles décrivent comme stables ou relativement stables. » Ou encore, qu’ils souffriraient de troubles psychiatriques : c’est le cas de 8% seulement. On pense aussi souvent que les djihadistes sont des pratiquants de leur religion : c’est seulement le cas de 43% d’entre eux, et beaucoup ont une connaissance limitée du Coran et des hadith.

L’étude souligne une caractéristique du terrorisme djihadiste par rapport à d’autres formes de terrorisme représentées dans les prisons françaises. Les terrorismes basque ou corse, par exemple, sont enracinés dans un territoire, le recrutement et la formation se faisant en contact avec des militants locaux. « La socialisation virtuelle, qui renvoie à la présence sur les réseaux sociaux ou à la consultation solitaire sur Internet de vidéos à caractère djihadiste, apparaît comme majeure dans les processus de socialisation, puisque 70% des personnes de l’échantillon déclarent que cette consultation virtuelle a eu un effet sur leur socialisation au djihad. Il s’agit là du mode dominant d’entrée dans l’activisme violent, qui constitue assurément la principale particularité de cet activisme. »

Les approches « culturaliste », « minoritariste » et « générationnelle » trouveront chacune dans les observations de l’étude de l’eau à leur moulin. Les auteurs ne prennent pas position, mais proposent une typologie des djihadistes à partir de laquelle des parcours de désengagement de la violence peuvent être mis en place.

Le « prosélyte » (19% de l’échantillon) « a intériorisé les notions fondamentales du salafisme et du djihadisme établissant une vision dichotomique du monde, hostile à la démocratie et aux valeurs républicaines, convaincu par sa cause, de la nécessité de la diffuser et de se mobiliser pour son succès, partisan d’al-Qaïda, de l’État islamique ou d’autres groupes djihadistes, évoluant dans une bulle cognitive toute entière tournée vers la réalisation de son idéal »

Le « désaffilié » (21% de l’échantillon) « est en quête de sens. Il fait référence aux personnes dont les parcours sont marqués par la volonté de quitter une condition familiale, socio-économique ou le rôle social auxquels ils étaient assignés et qui ne leur convenaient guère. Le parcours est animé par la recherche d’une alternative (le modèle d’organisation promu par l’État islamique par exemple), par la volonté d’instiller un sens à leur existence, une quête de cadres de compréhension ou plus simplement une quête d’ordre dans une vie chaotique. »

« L’escapiste » (18% de l’échantillon) est celui « dont l’engagement violent répond à une volonté d’échapper à un quotidien souvent terne, dépourvu d’intérêt et inapte à nourrir des projections heureuses (…). L’acteur sort véritablement de lui-même en entrant dans la lutte armée au nom d’impératifs qui le dépassent, pour s’inventer une vie d’activiste et grandir l’estime qu’il a de lui-même. (…)  Ces acteurs trouvent, dans la violence, une voie de réalisation de leur surmoi tout puissant. »

« L’indigné » (12% de l’échantillon) correspond le plus souvent à un individu violemment heurté par la situation de celles et ceux auxquels il s’identifie, considérés comme « frères » opprimés par les États occidentaux, les « renégats chiites » ou les régimes autocrates arabes (…)

Le « viriliste » (11% de l’échantillon) – assez proche de l’escapiste – pense son engagement comme une façon d’affirmer et de gagner en virilité. Le parcours biographique le conduit à vouloir affirmer son virilisme guerrier, peut-être d’autant plus lorsque subsiste un doute quant à sa masculinité triomphante (le rapport à la mère est dans ce cas de figure parfois central). Par ailleurs, l’engagement est aussi alimenté par la promesse d’une sexualité qui leur apparaît comme attractive, ici-bas (…) et  dans l’au-delà. »

Enfin, le « délinquant » (11% de l’échantillon) est « versé dans le djihadisme à l’issue d’une vie d’abus et d’excès, porteur d’un capital délictuel et violent, qu’il réinvestit dans la cause. Cet investissement dans le djihadisme s’accompagne parfois d’une volonté de purification et de rédemption ».

« Sociologie du djihadisme français » est d’une lecture malaisée pour qui n’est pas chercheur universitaire. Mais l’étude contient des informations précieuses pour comprendre d’où viennent les djihadistes et où ils entendent nous mener.

Au procès du 13 novembre

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