Espagne3 avril 20220Séville

À l’occasion d’un périple à bicyclette de Teruel à Andujar, je publie des papiers rédigés lorsque je vivais à Madrid. Cet article sur un séjour à Séville a été rédigé le 15 mars 2003.

Nous déambulons dans les rues Sierpes et Cuna au milieu d’une foule vêtue de printemps. Les bars rivalisent de céramiques, de couleurs et de jambons. Il y a d’innombrables boutiques de souvenirs, d’articles religieux, de robes flamencas. Nous nous intéressons à la vitrine d’une “cordonnerie”, boutique exclusivement dédiée aux cordons de cérémonie. Un luthier se spécialise dans la guitare classique. Une échoppe propose un assortiment de paniers en osier.

Nous visitons le Palais de Lebrija, transformé en musée il y a seulement un an. Seule la façade date du siècle d’or. Le Palais tel qu’il existe aujourd’hui a été entièrement conçu, aménagé et meublé par la Comtesse de Lebrija entre 1905 et 1914, et habité par elle pendant quarante ans. Au rez-de-chaussée se trouvent des antiquités romaines du site d’Italica, en particulier de magnifiques pavements en mosaïque. Un escalier princier mène à l’étage noble. Il a été copié sur celui d’un autre palais et mis aux dimensions d’un plafond mudéjar et de parements de céramiques prélevés sur d’autres monuments.

Séville, Palais de la Comtesse de Lebriza

La Comtesse a meublé les salons selon des styles différents, avec des tapis, des  objets et du mobilier glanés au hasard de ses voyages de par le monde. Le salon arabe est plein de charme. La bibliothèque, intime et chaleureuse, constitue un hymne au savoir. Dans la chapelle privée, on admire un magnifique Christ crucifié en ivoire. La guide s’exprime avec un agréable accent andalou, transformant les rocailleuses jotas castillanes en joli chuintement. Elle nous fait admirer de nombreux secrétaires et imaginer leurs épais secrets enfouis.

Nous assistons au spectacle du tablao flamenco l’Arenal, accompagné d’un verre de délicieux Jerez. Les spectateurs sont des touristes, en majorité japonais. Mais la passion des guitaristes, chanteurs et danseurs, dans leur joie de célébrer ensemble le rite gitan, ne se soucie guère de la distance et de l’étrangeté du public de ce soir.

Nous visitons la cathédrale pendant la grand-messe. L’orgue, le chœur des chanoines et les volutes d’encens abondamment déversées sur les fidèles soulignent le caractère sacré du lieu et du moment.  Le maître autel fait face à un gigantesque retable sculpté. Après des siècles d’art islamique non figuratif, les maîtres d’œuvre ont exigé des artistes qu’ils multiplient les personnages jusqu’à l’excès. Dans le retable, les sentiments humains sont extrapolés, de la joie de la nativité au  désespoir de la mise à mort. Dieu a figure humaine, il est engendré par une femme, il a connu la tristesse et donné du chagrin à ses proches. Les artistes chrétiens du seizième siècle tournaient ainsi le dos à un art qui, par respect de Dieu, se refusait à le figer dans la représentation.

Nous nous promenons dans l’Alcazar. Dans le palais coulent de délicieuses fontaines. Tapisseries et tableaux évoquent l’épopée de la conquête de l’Amérique. Dans les jardins, nous sommes émerveillés par l’éclosion des cerisiers en fleurs. De subtiles effluves d’oranger et de jasmin accompagnent notre promenade.

Plafond de l’Alcazar

Je visite le musée des beaux-arts, installé dans un ancien couvent construit autour de magnifiques patios. La salle des Murillo est éblouissante. Dans le tableau “la Vierge à la serviette”, Jésus enfant semble sortir du cadre, comme attiré par le monde extérieur dont nous faisons partie, observateurs éblouis d’une oeuvre peinte il y a trois cent cinquante ans.

Après avoir déjeuné à la terrasse d’un restaurant sur une petite place du quartier de Santa Cruz, nous nous offrons une promenade en calèche pour reposer nos pieds fatigués. Le pas du cheval sur le bitume imprime sa cadence à nos rêveries : Marie-Louise, Exposition Universelle, Concha Espina, Guadalquivir… les noms nous enivrent, valsent dans nos têtes et se confondent déjà dans la nostalgie. Notre cocher initie à la conduite son neveu âgé d’une douzaine d’années.  Il nous dit que ses deux frères font le même métier que lui, et que ses quatre sœurs sont à l’usine.  Sur le parcours, de nombreux calicots crient : “non à la guerre”.

Calèche au Parque de Maria Luisa

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