Le Chiisme a mauvaise presse en Occident. Il y est souvent assimilé à la police des mœurs iranienne ou au terrorisme international. Or, il s’agit d’un courant spirituel complexe qui a certains points communs avec le Catholicisme.
Mes études d’arabe m’ont amené à m’intéresser, superficiellement à ce stade, à l’Islam en général et au Chiisme en particulier. Mon point de vue est post-religieux. Je pense que les religions charrient avec elle des sagas qui nous disent des choses très profondes sur la vie, sur la mort et sur le destin des humains. Je pense aussi que les religions, lorsqu’elles érigent les sagas en corps de doctrine, deviennent vite intolérantes et empoisonnent la vie des peuples. J’essaie de mettre à jour, dans les religions, le poème qui fait vibrer les peuples et aussi les poisons qui les poussent à se dresser en ennemis.
Le Chiisme est né, un quart de siècle après la mort en 632 de Mohammad (Mahomet), d’un conflit sur la succession. Les Sunnites acceptèrent la nomination au Califat de Muawiya, point de départ de la dynastie des Omeyyades. Les Chiites considérèrent que la direction de la communauté des croyants devaient revenir à des Imams appartenant à la famille du Prophète, à commencer par son gendre Ali et son petit fils Hussein.
Derrière la lutte de pouvoir, ce sont deux visions différentes de l’Islam qui s’affrontent. Pour les Sunnites, la révélation est close avec Mohammad, le dernier prophète. Les Chiites pensent au contraire que derrière le texte littéral du Coran dicté par l’Ange à Mohammad, existe un sens caché, ésotérique, que seuls des hommes remplis de la lumière de Dieu, des Imams, peuvent révéler. A l’apparence extérieure du texte révélé (Zahir) fait contrepoint le sens caché intérieur (Batin). A la mission du prophète consistant à faire descendre le message divin (tanzil) correspond celles des Imams consistant à la reconduire vers le haut (tawil). La prophétie (Nolowat) a pour pendant la dilection divine (Walayat).
Or, le douzième Imam, Mohammad el Mahdi, a disparu, a été occulté, en 940. Les Chiites croient que le Mahdi, l’Imam caché, reviendra à la fin des temps rétablir la vraie religion et restaurer la justice sur la terre. La révélation est donc inachevée.
Je suis frappé par certaines ressemblances avec le Catholicisme. Dans le Catholicisme comme dans le Chiisme, le texte révélé (Bible ou Coran) ne peut se passer d’une interprétation, qu’un clergé (prêtres ou ayatollahs) est chargé de transmettre aux fidèles. Dans les deux religions, on attend le retour d’un messie. Les Chiites célèbrent la mémoire des Imams, en particulier celle d’Hussein, mort en martyr à la bataille de Karbala en 680 ; leur dolorisme n’est pas sans rappeler celui des Semaines Saintes catholiques, en particulier en Espagne.
Certes, le Chiisme est loin du Catholicisme. Il considère avec horreur la croyance chrétienne en un homme-Dieu, et se rapprocherait des thèses gnostiques dénoncées par les Conciles des premiers siècles du Christianisme. Mais c’est un mouvement spirituel qui a donné de nombreux intellectuels et poètes et qu’il serait dommageable de réduire aux clichés figés que nous adoptons si volontiers.