L’Institut Culturel Bernard Magrez présente jusqu’au 21 juillet à Bordeaux une exposition intitulée « Rêves de Venise ».
Plusieurs œuvres ont été disposées dans le jardin qui donne château Labottière, un ravissant manoir construit en 1773, autrefois à la campagne et maintenant au cœur de la ville de Bordeaux. Le visiteur est accueilli par une grande gondole verticale, œuvre de Laurent Valéra. L’allée qui mène à l’entrée principale est parsemée de dalles de béton dorées ; et avant de pénétrer, il faut contourner une grande sphère dorée de James Lee Byars. La façade est habillée par l’artiste JR s’inspirant d’une gravure de 1798, presque contemporaine de la construction du château. Le visiteur se trouve déjà plongé dans l’ambiance de la Sérénissime, cité cosmopolite et commerçante où l’or coulait à flots. Continuer la lecture de « Rêves de Venise »
A Maubuisson, le printemps se pare de jaune. Le jaune du soleil qui, jour après jour, grignote les ténèbres. Le jaune du mimosa. En avril, le jaune des ajoncs. Ils bordent les routes, les pistes cyclables et les canaux de drainage. Ils se mêlent aux pinèdes ou colonisent des champs entiers. Ils diffusent une subtile odeur sucrée. Les ajoncs du Médoc ont le triomphe modeste. Enfants du Roi Soleil, ils mettent un point d’honneur à se fondre dans le paysage maritime.
Avoir l’opportunité de passer une journée au Musée d’Orsay offre un plaisir sans cesse renouvelé.
Visiter le Musée d’Orsay, c’est se mettre en présence de chefs d’œuvre qui ont façonné notre culture : Cézanne, les impressionnistes, Gauguin et Van Gogh, Toulouse Lautrec, Maillol, Rodin… Dans les salles consacrées aux impressionnistes, la présence de plusieurs classes de collège gêne l’observation des toiles, mais les jeunes semblent si concentrés et attentifs aux explications des guides qu’il se dégage de leurs groupes comme une ferveur.
Disposer de plusieurs heures permet de sortir des sentiers battus et de découvrir des œuvres moins connues. Un plateau entier est ainsi consacré à l’art décoratif. On y trouve par exemple les panneaux réalisés en 1901 par Odilon Redon pour la salle à manger du château de Domecy, à partir de fleurs de rêve et de faune imaginaire ; ou encore de nombreux objets des maîtres de l’art nouveau, Gallé, Majorelle, Horta, Gaudi ou Guimard.
Hector Guimard, panneau central de grand balcon
Deux peintures industrielles ont attiré mon attention par leur capacité à transmuer ce qui est souvent glauque en une réalité puissamment poétique : les Docks de Cardiff, peints en 1894 par Lionel Walden, un Américain qui travailla essentiellement à Paris puis à Hawaï et les usines près de Charleroi, peintes par Maximilien Luce en 1897.
Maximilien Luce, usines près de Charleroi, 1897
J’ai été impressionné par la violence du Calvaire peint en 1892 par le peintre russe Nicolaï Gay, et au contraire par la grande douceur des hêtres de Kerdrel, tableau de Maurice Denis réalisé en 1893.
Je suis fasciné par la manière dont au dix-neuvième siècle l’art s’est confronté à la révolution industrielle et tenté de faire émerger le beau du désastre humain et écologique qui l’accompagnait. Flâner au Musée d’Orsay nous immerge dans cette lutte historique dont nous sommes les héritiers.
« L’artiste et son modèle », film de Fernando Trueba, offre une envoûtante méditation sur le processus de création artistique.
Pendant l’été 1943, le sculpteur Marc Cros (Jean Rochefort) vit avec sa femme et ancien modèle Léa (Claudia Cardinale) dans un village de la Catalogne française. Depuis le début de la guerre, son inspiration s’est tarie. Léa repère dans le village une jolie jeune femme, réfugiée du franquisme, Mercé (Aida Folch). En échange du gîte et du couvert, que le sculpteur lui accorde dans la bergerie qui lui sert d’atelier, elle consent à devenir son modèle.
Mercé vient de la campagne. Elle n’a aucune idée de ce qu’une œuvre d’art signifie. Elle rit parfois à gorge déployée, quitte la pause pour se baigner dans la rivière, bouge lorsque le sculpteur la voudrait strictement immobile. Marc Cros ne trouve pas l’inspiration, multiplie les croquis, les déchire et recommence avec d’autres poses. C’est une posture de Mercé désespérée de ce travail inabouti qui lui fait enfin trouver l’idée créatrice qu’il va pouvoir élaborer.
Le sculpteur est fasciné par la perfection du corps de son modèle, qu’il dévore des yeux, dont il contemple les courbes et le grain de la peau, et dont il touche les épaules comme pour les façonner. Il sent qu’il tient l’occasion de réaliser, à l’hiver de sa vie, l’œuvre de création définitive, lui qui croit que Dieu a créé Ève, et non Adam, parce qu’il avait besoin d’absolue beauté.
Le film est tourné en noir et blanc, ce qui convient bien à une apologie des volumes et des formes. Il est presque silencieux, sans musique, avec comme bande sonore de rares paroles, le vent dans les arbres, le frottement des outils sur le plâtre, quelques coups de feu. Ce qui le rend captivant, c’est, comme le suggère le titre, la relation chargée d’érotisme sublimé qui s’établit entre la lumineuse Aida Folch et un Jean Rochefort magnifique dans son angoisse créatrice, sur le fil du rasoir entre le désir charnel et l’œuvre d’art.
Le film de Fernando Trueba a des points communs avec le « Renoir » de Gilles Bourdos : les deux films montrent un artiste qui, par la magie de l’irruption d’une superbe jeune femme, retrouve à la fin de sa vie l’inspiration créatrice. L’un et l’autre évoquent la tension entre le désir de l’artiste de faire abstraction du contexte de guerre pour se consacrer à son art, et l’implication de ses proches dans les événements. La participation de Mercé, la nuit, à des activités de résistance, est peu crédible, au contraire des déchirements entre Auguste et Jean Renoir sur l’engagement militaire de ce dernier, dans le film de Bourdos. Fernando Trueba aurait peut-être pu omettre ce volet de son film et rester focalisé sur ce qui en est le véritable objet : une méditation sur l’art.
Marc Cros montre à Mercé ce qu’il considère comme le plus beau dessin du monde : une esquisse au fusain de Rembrandt représentant les premiers pas d’un jeune enfant. Le sculpteur fait partager à son modèle, et à nous spectateurs, son émotion et guide nos pas sur le chemin de la création artistique. C’est ce que réussit, sobrement mais magnifiquement, le film de Fernando Trueba.
Aida Folch et Jean Rochefort dans « l’artiste et son modèle »