Dans La Repúbblica du 8 avril 2013, Natalia Aspesi a réalisé une intéressante interview de Karl Lagerfeld. Celui-ci affirme que sa seule tâche est de créer du désir pour ce qui n’est pas nécessaire.
Karl Lagerfeld est venu à Milan à l’occasion d’une exposition de photographies organisée par la marque Chanel dont il est directeur créatif depuis 1983. Intitulée « the little black jacket », cette exposition présente, selon Natalia Aspesi, « les femmes les plus intéressantes du monde, les bébés les plus aristocratiques, les hommes les plus attractifs ». Lagerfeld apparait comme une icône par excellence, affirmant son image sans souci de contemporanéité, rendu éternel et sans âge par son refus du temps qui passe. Continuer la lecture de « Le désir du non nécessaire »
« Main dans la main », le film de Valérie Donzelli avec Valérie Lemercier et Jérémie Elkaïm dans les rôles principaux, offre au spectateur un moment d’enchantement.
Joachim Fox (Jérémie Elkaïm) vit à Commercy, il est vitrier, est un virtuose du skateboard, vit encore chez ses parents dans une nombreuse famille de style plutôt tribal. Hélène Marchal (Valérie Lemercier) est directrice de l’école de danse de l’Opéra Garnier. Plutôt revêche, elle vit seule et n’a guère de relations stables, si ce n’est sa confidente, Constance (Béatrice de Staël). Tout semble les opposer, y compris une quinzaine d’années de différence d’âge.
Pourtant, lorsque le vitrier anonyme vient prendre les mesures des miroirs de la salle de répétition de la grande dame de la danse, un phénomène surnaturel se produit. Jérémie et Hélène se trouvent littéralement collés l’un à l’autre. Nulle attirance sexuelle à ce stade, seulement un coup de foudre au sens d’une décharge électrique et d’un puissant champ magnétique.
En réalité, Joachim et Hélène ont plus en commun que ce qu’on voit au premier abord. Tous deux ont leur double, sa sœur Véro (Valérie Donzelli elle-même) pour Joachim, Constance pour Hélène. Joachim rêve de quitter la Meuse pour New-York, Hélène souffre des contraintes de la prison dorée de l’Opéra. Ils vont devoir gérer leur gémellité, qui suscite l’incompréhension et la jalousie de Véro et de Constance. Ils vont devoir apprendre à vivre l’un sans l’autre. Et puis, finalement, se découvrir amoureux.
Le scénario est puissamment original, tellement énorme que l’on rit énormément. Il y a de grands moments de cinéma. Dans un recoin de l’Opéra Garnier, Joachim dit un poème à Hélène en langage des signes. « Où avez-vous appris cela, lui demande-t-elle ? » « Sur Internet ». « Pourquoi ? » « Parce que je trouve ça beau ».
Le nouveau ministre convoque Hélène pour lui signifier son licenciement et l’informer que tous ses avantages lui sont retirés avec effet immédiat. Hélène rend immédiatement à l’Etat tout ce qui lui appartient, des bottes au chemisier et à la petite culotte, et couvre sa nudité d’un rideau arraché à la fenêtre du ministre.
Oui, décidément, l’un des excellents films de 2012, particulièrement recommandable pour la période des fêtes.
Le roman de Haruki Murakami « 1Q84 » (publié au Japon en 2009, traduit en français par Hélène Morita, Belfond 2011) nous raconte une étrange et captivante histoire, à la frontière du monde sensible et d’un autre monde dans lequel plusieurs échelles temporelles coexistent. « Transhumances » rend ici compte du livre 1, qui couvre la période d’avril à juin. Les livres 2 et 3 ont déjà été publiés en français.
L’histoire se déroule au Japon en 1984. La référence au roman de George Orwell est intentionnelle. Comme Julia et Winston, les héros d’Orwell, Aomamé et Tengo sont confrontés à des entreprises de lavage de cerveau. Comme eux, ils perdent le sens d’un temps linéaire marchant toujours dans le même sens. Dans le roman d’Orwell, le parti réécrit le passé en fonction des nécessités politiques et des alliances du moment. Dans celui de Murakami, Aomamé perd la mémoire d’événements qui se sont déroulés trois ans auparavant, alors qu’elle suit l’actualité avec attention. Elle voit deux lunes au firmament et le temps s’est comme fêlé. Pour nommer ce temps différent, elle le désigne par 1Q84.
Bien que tous deux du même âge, vivant l’un et l’autre à Tokyo, et ayant rompu avec leurs familles, rien ne semble rapprocher Aomamé et Tengo. Elle est professeur d’arts martiaux et exerce une activité cachée : faire passer de vie à trépas des hommes violents au moyen d’un pic à glace affilé, judicieusement planté dans leur cou. Il est professeur de mathématiques et romancier non publié à ses heures perdues. Elle s’offre des hommes pour des séances de sexe débridé, mais attend secrètement l’amour de sa vie, un petit garçon qu’elle a connu sur les bancs de l’école lorsqu’elle avait dix ans. Il est l’amant d’une femme mariée plus âgée que lui, car il a peur de s’engager dans une relation durable et tient avant tout à sa liberté.
Le livre alterne les chapitres consacrés à Aomamé et à Tengo. Progressivement, on voit s’esquisser une convergence. Tengo est chargé par son éditeur de réécrire le livre d’une jeune fille de 17 ans, Fukaéri. L’histoire qu’elle raconte est ténébreuse et captivante, mais il faut changer le style du tout au tout, sans altérer la substance. Fukaéri s’est échappée d’une secte dangereuse. Son roman, la Chrysalide de l’Air, peut donner des clés pour mettre au jour son fonctionnement hautement secret, et probablement criminel. Aomamé se lie à une vieille femme, qui lui présente une petite fille atrocement violée et mutilée. Elle aussi vient d’une secte, dont le gourou a droit de vie et de mort sur les adeptes, adultes et enfants. Il s’agit de liquider ce gourou avant qu’il commette d’autres crimes. A la fin du Livre 1, sans le savoir, Aomamé et Tengo sont sur la piste d’une seule et même secte, dangereuse et impitoyable : Les Précurseurs.
Le roman de Haruki Murakami est passionnant. La présentation de l’auteur par l’éditeur donne une idée de l’étendue de son univers intellectuel, qui nourrit son œuvre littéraire : « Né à Tokyo en 1949 et élevé à Kobe, Haruki Murakami a étudié la tragédie grecque à l’université, puis a dirigé un club de jazz, avant d’enseigner dans diverses universités aux Etats-Unis. En 1995, suite au tremblement de terre de Kobe et à l’attentat du métro de Tokyo, il décide de rentrer au Japon ». L’écrivain a aussi vécu en Italie et en Grèce. Et il adore les chats.
Haruki Murakami, portrait extrait de sa page Facebook
Hortensias sauvages sur la route de Bélouve. Photo « transhumances »
Je suis venu une quinzaine de fois à l’Ile de La Réunion, la première en 1978. Ce séjour, comme les précédents, apporte son lot d’étonnements.
Sur les rampes de Saint François, qui dégringolent de la montagne vers le centre de Saint Denis en virages serrés, deux jeunes motocyclistes font une course de vitesse. Ils descendent à toute allure, négocient les épingles à cheveux à la corde, sur le côté gauche de la route, évitent de justesse les voitures qui montent. Ils ne portent pas de casque. Ils roulent à tombeau ouvert.
Quelque part entre Petite Ile et La Plaine des Grègues, villages des hauts dans le sud de l’Ile, une rue porte le nom de Harry Truman, la suivante celui de Léonce Jeannette. La Réunion est décidément « glocal », globale et locale, une part du vaste monde empreinte de particularisme.
Le goyavier, petite baie rouge que l’on cueille en juillet – août, pendant l’hiver austral, n’a rien de semblable à la figue. Pourtant, lorsqu’on les mange en confiture ou en pâte de fruits, leurs saveurs sont étrangement proches.
Le vélo est en train de s’imposer à La Réunion. L’encombrement des voies de circulation et les escarpements vertigineux avaient jusqu’à présent dissuadé les cyclistes. En l’espace de quelques années, l’Ile s’est convertie à la Petite Reine. Les villes développent des pistes cyclables, des pelotons roulent sur la route littorale près de l’Etang Salé, d’audacieux cyclistes affrontent les routes de montagne les plus difficiles et le VTT est à la mode dans les routes forestières. Il y a un effet de mode, qui concerne toutes les formes de sport et de remise en forme, pas seulement le cyclisme. Il y a aussi l’effet de la mise en service de la Route des Tamarins, dans l’ouest de l’île, qui a rendu la zone côtière moins embouteillée et plus agréable à sillonner à deux roues.
Nous connaissions le restaurant du Cap Méchant, qui avait commencé dans les années 1970 comme une modeste table créole dans un superbe paysage de roches volcaniques battues par les vagues au sud de l’Ile. Il a ouvert récemment deux succursales, à Saint Pierre et Saint Denis, dont la clientèle est l’élite administrative et commerciale de La Réunion. Le principe est un vaste buffet au prix unique de 20€, boissons en sus. Ces deux restaurants connaissent un grand succès. Ils ont su rencontrer les goûts de sa clientèle : une nourriture créole de bonne qualité, un mobilier de style international (y compris les tables hautes que je détestais à Londres), un volume sonore qui dissuade toute conversation sérieuse mais donne le sentiment d’être placé au cœur de la vie sociale et économique de l’Ile.
« Le long chemin de l’érection », titre Le Quotidien de La Réunion le 28 novembre. Pas de révélations sexologiques à attendre. Il s’agit de la création d’une nouvelle commune, La Rivière. « La carte du nouveau découpage communal propose d’intégrer à Saint-Louis la population de Bois-de-Nèfles Cocos qui habite en-deçà du quartier du chemin Kervéguen. Les Makes et le reste du quartier de Bois-de-Nèfles Cocos étant reversés dans le territoire communal de La Rivière. »