L’art de la haute vallée de la Bénoué

 

Vase de transfert de maladie, haute vallée de la Bénoué

 

Le Musée du Quai Branly à Paris propose jusqu’au 24 janvier une passionnante exposition consacrée aux arts de la vallée de la Bénoué au Nigéria.

 Longue d’environ 1000km, la rivière Bénoué est un affluent du Niger. Plusieurs dizaines d’ethnies habitent dans son bassin. Si les peuples de la haute Bénoué ont été relativement préservés des invasions par un relief accidenté, ceux de la moyenne et de la basse Bénoué ont été fortement marqués par l’invasion des Peuls musulmans au début du 19ième siècle et la colonisation britannique un siècle plus tard. Les œuvres d’art y ont circulé d’un peuple à l’autre sous l’effet des mouvements de population.

 On est d’emblée saisi par la beauté des pièces présentées, sculptures, masques, vases rituels. On comprend la fascination des artistes visuels innovateurs du début du vingtième siècle pour la statuaire africaine, en particulier Picasso. Les corps sont stylisés et les formes simplifiées à l’extrême. Le corps réel est déconstruit de telle manière qu’apparaissent dans toute leur force l’esprit – ou mieux les esprits – qui lui confèrent vie, mouvement et puissance.

 Cette esthétique est fortement sexualisée. D’extraordinaires sculptures montrent de manière naturaliste des mères nourrissant leur bébé avec, sur le dos ou à leurs pieds, le reste de leur progéniture. D’autres tendent vers l’abstrait et marquent de manière presque allusive les organes génitaux, le cordon ombilical ou des attributs masculins ou féminins.

 L’exposition, construite d’après des relevés de l’ethnologue américain Arnold Rubin (1937 – 1988), est organisée en trois sections selon les trois sous-ensembles géographiques de la Bénoué, basse, moyenne et haute. Dans celle consacrée à la haute Bénoué, les récipients de forces spirituelles et de maladies – la maladie étant la manifestation d’une force spirituelle nocive – sont particulièrement intrigants. On enduit le corps du malade d’argile ; avec l’argile récupérée, on moule et on cuit un récipient dont la forme extérieure évoque la maladie que l’on veut transférer du malade à la poterie. D’une manière prévisible, les pots dans lesquels sont enfermés les esprits mauvais sont enfouis et laissés le plus à l’écart possible.

 Inséré dans le cycle de la vie et de la mort, puissamment symbolique et expressif, l’art de la Bénoué représente une expression magnifique du génie humain.

Maternité, basse vallée de la Bénoué

Trait d’Union

 

Couverture du catalogue de « Trait d’union ». Œuvre de Bill Fehoko

 

Dans la magnifique case créole de la Villa de la Région Réunion, à Saint Denis, se déroule une belle exposition intitulée « Trait d’union ».

 Cette exposition est un hommage collectif d’artistes de l’Océan Indien au sculpteur sur bois Bill Fehoko, mort à La Réunion en 2000. On trouve peu d’information sur cet artiste sur Internet. Lui-même semble avoir voulu donner le change : natif de l’île de Tonga, dans le Pacifique, il fut un navigateur, toujours en mouvement. Il se fixa finalement dans l’île seychelloise de La Digue, où repose sa dépouille, mais finit sa vie dans une autre île d’adoption. Il fut connu sous le nom de Tonga Bill, mais son prénom lui-même fut sujet à variations : Bill, Viliami, Wilhiam.

 La visite de  » Trait d’union  » est émouvante. On y admire quelques sculptures sur bois de Fehoko, dont la magnifique tête qui orne la couverture du catalogue de l’exposition. Des peintres et sculpteurs de La Réunion, des Seychelles et de Maurice ont produit une œuvre originale en mémoire de Tonga Bill. Deux d’entre elles m’ont particulièrement touché. L’artiste réunionnais Richard Blancquart a produit une sculpture intitulée « Dérive » au centre de laquelle se trouve un homme en recherche d’équilibre au centre d’une sorte d’étoile dont les branches sont des voiles rapiécées. Le peintre et sculpteur seychellois George Camille présente un bas relief en cuivre peint. On voit une femme nue dans l’acte d’amour, son partenaire masculin à peine visible. Sa main touche son pubis, celle de son partenaire, son ventre. Le corps de la femme est puissamment tatoué. C’est un bel hommage à Fehoko, qui fut toute sa vie fasciné par le corps de la femme et par la maternité.

Villa de la Région Réunion. Photo « transhumances »

Bronze

Satyre dansant. Photo "The Independent"

C’est une remarquable exposition que présente la Royal Academy of Arts à Londres jusqu’au 9 décembre. Intitulée simplement « Bronze », elle montre des sculptures réalisées pendant trois mille ans dans ce métal.

 Le bronze est un alliage connu depuis l’antiquité, associant du cuivre et une moindre quantité d’étain ou, par extension, de zinc. Le bronze, dit le catalogue de l’exposition, est virtuellement indestructible, peut être moulé ou forgé dans presque n’importe quelle forme ou taille et peut prendre une extraordinaire variété de patines.

 L’exposition s’ouvre par une œuvre extraordinaire, découverte en 2008 par des pêcheurs au large de la Sicile : le satyre dansant, une œuvre datée de la seconde moitié du quatrième siècle avant Jésus-Christ. Le satyre semble défier la pesanteur ; les muscles de son corps, l’ondulation de ses cheveux sont rendus dans un incroyable détail. On reste saisi par cette merveille intemporelle, d’autant plus que l’éclairage, comme dans le reste de l’exposition, parvient à sublimer la beauté intrinsèque de l’objet.

 L’exposition est organisée par thèmes : personnages, animaux, groupes, objets, bas-reliefs, dieux et têtes. Le principe est de montrer des œuvres de différentes civilisations à des périodes différentes. On trouvera une statue étrusque et son pendant moderne sculpté par Giacometti ; l’extraordinaire groupe « Saint Jean Baptiste prêchant à un lévite et à pharisien » (1506 – 1511) fait écho à la massive statue d’un travailleur réalisée à la fin du dix-neuvième siècle par le socialiste français Aimé-Jules Dalou et s’oppose à la majesté sereine d’un personnage royal scarifié du Royaume d’Ifé. Des œuvres de Brancusi, Barbara Hepworth, Henri Matisse, Pablo Picasso trouvent leur correspondance dans des sculptures réalisées des millénaires avant eux, et contribuent ensemble à une sorte de symphonie de formes, de volumes, de reflets qui exaltent ce que l’être humain sait produire de plus beau.

 J’ai retrouvé avec émotion les objets rituels de la dynastie Chang, au second millénaire avant Jésus-Christ, que j’avais pu admirer au musée de Shanghai. J’ai été saisi par la similitude entre l’une des femmes pleurant le Christ dans un bas-relief de Donatello et le Guernica de Picasso. Et j’ai repensé à Mimmo D’Agostino, mon collègue pendant ma période milanaise : sa fierté calabraise s’exprimait une photo encadrée dans son bureau. Elle représentait un Hercule en bronze retrouvé, lui aussi, par des pêcheurs non loin de la côte.

Tête couronnée, Royaume d'Ifé, 14ième siècle