Grande BretagneJustice11 août 20220Une vie dedans

« Une vie dedans » (« A life inside », Atlantic Books 2003) est le recueil des chroniques écrites par Erwin James pour le quotidien The Guardian de février 2000 à janvier 2003. L’auteur, né en 1957, avait été condamné en 1984 à la prison à perpétuité pour deux crimes commis deux ans auparavant.

L’écriture de ces chroniques quasi hebdomadaires intervint à un moment crucial de son histoire carcérale. Après 18 ans de détention en régime sévère, il fut transféré dans une prison de catégorie D, la plus souple – équivalent des « modules de respect » dans le système français ; puis dans un établissement de semi-liberté (« open conditions »).

Au fil des chroniques, l’auteur raconte cette transition dont le terme fut le retour à la liberté (en 2004) et se remémore d’épisodes vécus pendant ses longues années de détention. Le portrait qu’il trace de codétenus est plein d’humanité. On y rencontre Félix le Parieur, un passionné de courses de chevaux, son compagnon de coursive dans plusieurs établissements. Cody, qui ne cesse de protester de son innocence, attitude qui garantit son maintien en détention puisque le système est fait pour racheter des coupables qui reconnaissent leurs crimes et suivent des formations du type « gestion de la colère » ou « empathie pour les victimes ».

La prison de Belmarsh, de catégorie A(haute sécurité)

Un jour, le Ministre de l’Intérieur (Home Secretary) visite la prison, car il s’y déroule une épreuve sportive destinée à récolter des fonds pour une ONG. Todd lui demande une contribution, et le ministre sort £5 de son portefeuille. Les détenus sont époustouflés : Todd est un gringalet taiseux, habitué des automutilations. Un versant imprévu de sa personnalité a soudain émergé.

« Une vie dedans » constitue un témoignage passionnant et bouleversant sur la vie en prison. Il faut d’abord apprendre à y survivre, donner de soi l’image d’un être fort et cynique, cacher ses propres faiblesses. Il faut se défendre contre « la marée de l’oisiveté forcée », tenter de se fixer des objectifs – suivre des cours, se qualifier pour des remises de peine…

En ce sens, la trajectoire de vie d’Erwin James Monahan pourrait apparaître comme un succès personnel et celui du système pénitentiaire britannique dans son effort pour « réhabiliter » les condamnés en les orientant, tout au long du temps de leur peine, vers des régimes de détention différenciés et en leur proposant des formations. « Apprenez à vivre là où vous êtes, et non là où vous pensez que vous voulez être », conseille-t-il aux personnes détenues.

L’auteur reste néanmoins critique sur la prison. « La prison est principalement la répétition du même jour, encore et encore. Trouver un but et un sens au-delà de la « punition » peut relever du combat. Souvent, les gens ne sont pas en prison assez longtemps pour découvrir quoique ce soit qui vaille la peine au-delà d’un nouveau réseau d’alliances criminelles. Ou bien les gens finissent par y rester si longtemps que tout le bien qui pourrait être obtenu en cours de route est miné par l’aigreur et le ressentiment. »

Alors qu’il est en semi-liberté, il a l’opportunité d’apprendre à conduire. « Il n’est pas fréquent d’avoir l’opportunité d’être sur le siège du conducteur en prison. On prend les décisions pour vous. Il faut sans cesse demander la permission. Le contrôle est entre les mains de l’homme qui détient la clé. On peut gagner de l’autonomie par la ruse ou la manipulation  – ou même par la révolte. Mais (…), être un prisonnier de longue durée, c’est comme être un passager de longue durée. »

Délinquant précoce après une enfance traumatique, entré en prison pratiquement sans instruction, l’auteur s’est construit lui-même tout au long de ses années de détention. Depuis sa libération, il écrit des livres et des articles et donne des conférences pour appeler les publics et les décideurs à changer leur regard sur la prison.

Dans son site Internet, on lit « qu’une prison est une ressource communautaire précieuse, aussi précieuse qu’une école ou un hôpital. Il croit que le fait que la société ne reconnaisse pas cela est la principale raison pour laquelle la prison ne sert pas bien les victimes d’actes criminels et n’apporte pas le retour que la société est en droit d’attendre sur son investissement massif dans le système carcéral, tant sur le plan financier qu’humain. Dans ses conférences, il remet en question l’image stéréotypée des personnes qui habitent nos prisons et, ce faisant, fournit un témoignage inspirant du potentiel inexploité que l’utilisation efficace de l’emprisonnement peut offrir. »

Erwin James

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