Automne

 

Paysage d'automne à Watford

 

Je partirai à la retraite le 12 octobre, après 22 ans de carrière à Coface et 33 ans de vie professionnelle. Le 21 septembre, jour de l’automne, j’ai eu l’opportunité de célébrer à La Défense mon départ avec environ 70 collègues avec qui j’ai travaillé étroitement. Voici un résumé des quelques mots que j’ai prononcés à cette occasion.

 Ma carrière à Coface semble s’être déroulée sous les auspices du chiffre 4. J’ai eu l’occasion de travailler avec 4 présidents, mais aussi avec 4 directeurs généraux. J’ai exercé 4 métiers : communication, commercial, country manager et, plus récemment et par intérim, risque politique. J’ai travaillé dans 4 métropoles européennes, Paris, Milan, Madrid et Londres. Nous entrons aujourd’hui dans l’une des 4 saisons, et j’y vois le symbole de mon passage à l’automne de ma vie : je rêve d’en faire une saison de grand vent et de feuillages fauves.

 De  1990 à 1997, j’ai créé la première direction de la communication de Coface. L’entreprise était dans un moment de mutation. L’équipe mit en place des outils : projet d’entreprise, colloques, relations presse, site Internet. Elle participa à l’internationalisation d’une entreprise jusque là franco-française et à la création du réseau international d’assureurs-crédit CreditAlliance.

 En 1997, j’ai eu la chance que me soit proposé le poste de directeur commercial à Milan : nouveau métier, nouveau pays, nouvelle langue, sous la conduite de pédagogues exceptionnels. En Espagne et au Portugal de 2001 à 2007, je suis devenu country manager. Les mots qui caractérisent cette période : enthousiasme, vitalité, « team building ». Depuis cinq ans, je dirige les équipes de Coface au Royaume Uni et en Irlande. Pour les caractériser : résilience, pragmatisme et humour, qualités qui nous ont permis de survivre à la crise qui balaya la City en 2007 – 2009.

 J’ai eu la chance de participer au comité exécutif de Coface avec deux phases bien différentes, avant et après le recentrage sur l’assurance-crédit au début 2011 : avant le changement de cap, la vision d’une entreprise globale, dépassant sans cesse les frontières de pays, de métiers et de mentalités ; depuis 2011, la volonté de se plier aux faits et aux chiffres et de faire aboutir les projets dans les budgets et les délais promis.

 Pour finir, 4 mercis :

 Merci pour l’économie réelle. Coface est une entreprise financière, mais son travail consiste à assurer des transactions entre des entreprises qui vendent dans le monde entier. Rencontrer les chefs d’entreprise, trésoriers et gestionnaires de crédit m’a procuré mes meilleurs moments.

 Merci pour la « multinationale bonzaï ». Comparée aux grandes multinationales françaises, Coface, avec son chiffre d’affaires inférieur à 2 milliards d’euros et ses quelques milliers de collaborateurs, semble minuscule. Elle est pourtant présente et active avec ses propres équipes dans plus de 60 pays au monde.

 Merci pour l’entreprise Coface, un corps vivant qui se réinvente sans cesse pour croître et être profitable dans une économie internationale sans cesse changeante.

 Enfin, merci pour l’amitié de nombreux « cofaciens », qui n’a cessé de m’encourager au long d’une passionnante carrière.

La Maison Rouge de William Morris

"Si je puis", devise de William Morris à Red House. Photo "transhumances".

Red House, à Bexleyhead, près de Greenwich au sud-est de Londres, est la maison de William Morris fit construire en 1859 – 1860 par son ami l’architecte Philip Webb.

 « Transhumances » a consacré une chronique au poète, décorateur et militant socialiste William Morris (1834 – 1896). Cet homme hors du commun a été aussi mentionné dans d’autres chroniques, comme la note de lecture de « la Carte et le Territoire » de Houellebecq et, plus récemment, l’exposition sur les Préraphaélites à la Tate Britain.

 Morris fit construire Red House après son mariage avec Jane Burden en 1859. Le bâtiment est typiquement préraphaélite par son style médiéval et l’importance donnée au jardin environnant. Bien que de vastes dimensions, il reste toutefois à taille humaine, et on comprend que William, Jane et leurs filles Jenny et May aient coulé là des jours heureux. Les Morris n’y restèrent que 5 ans. Des difficultés financières et le besoin d’être souvent à Londres pour des raisons de travail les amenèrent à se transférer au centre de la capitale.

 La maison était conçue comme un espace de création. Au premier étage, le studio était la salle la plus lumineuse. Mais toutes les pièces de la maison, les vitres, les plafonds, les meubles, étaient peints ou décorés.

 Le National Trust a acquis Red House il y a dix ans. Si la structure reste intacte, l’aménagement et la décoration ont été profondément altérés par 150 ans d’occupation par des familles étrangères à l’esthétique préraphaélite. Peu à peu les restaurateurs importent des pièces de mobilier et des œuvres d’art, mais il faudra encore de nombreuses années pour que le visiteur se sente dans l’ambiance des années 1860.

Red House. Photo "transhumances".

La Fiesta del Chivo

La Fiesta del Chivo – la fête au bouc – est l’un des meilleurs romans de Mario Vargas Llosa (Punto de lectura, 2000). Il constitue une passionnante plongée dans un moment critique de l’histoire de Saint Domingue, l’assassinat du dictateur Rafael Trujillo le 30 mai 1961. Il opère aussi la dissection chirurgicale sans anesthésie des ressorts du pouvoir à un moment de crise, mais ce faisant, il sublime l’ici et maintenant pour atteindre à l’universalité.

 La Fiesta del Chivo nous fait entrer dans l’intimité du dictateur Rafael Trujillo. Il régna sans partage de 1930 – contemporain donc d’Hitler et Mussolini – jusque 1961 – contemporain de Franco – sur trois millions de dominicains. On le nommait le Bienfaiteur. La ville de Saint Domingue avait été rebaptisée de son nom : Ciudad Trujillo. Sa famille s’était appropriée une part considérable des la richesse nationale. La sécurité militaire inspirait la terreur : un dominicain sur cent disparaîtra ou perdra la vie pendant les trois décennies de la dictature.

 Trujillo choisit ses collaborateurs et les met à l’épreuve. A l’un d’entre eux, il demande de lui vendre l’exploitation agricole qu’il possède à un prix dérisoire ; à un autre, de rompre avec sa fiancée et d’assassiner son frère, suspecté d’hostilité au régime.

 Le dictateur impose à ses collaborateurs une insécurité permanente, il les humilie, les dresse les uns contre les autres dans une compétition sans merci. Gare à celui qui ne sera pas invité à la promenade quotidienne du Chef sur le front de mer. Il est peut-être en train de tomber en disgrâce. Il est menacé de voir ses biens confisqués, sa famille persécutée, lui-même peut-être condamné à mort.

 Depuis quelques mois, en 1961, les choses commencent à se gâter pour le régime. Les Etats-Unis craignent que les abus commis créent les conditions d’une révolution à la Castriste. L’Eglise, jusque là son plus fidèle soutien, s’alarme de la violation des droits humains. Des sanctions sont adoptées par les états américains ; ils commencent à affaiblir sérieusement l’économie du pays.

 Le dictateur lui-même vieillit. Il a 70 ans. Ses épisodes d’incontinence heurtent sa manie obsessionnelle pour la propreté et l’humilient. Lorsque le Sénateur Cabral lui livre sa fille de 14 ans, Urania, en espérant ainsi revenir en grâce, Trujillo se découvre impuissant face à la jeune fille.

 Un groupe de conjurés ourdissent un complot afin d’en finir avec le dictateur. Il réussit : Trujillo est abattu dans une embuscade sur la route qui conduit de la capitale à sa maison de campagne. Mais il échoue aussi : dans la nuit de l’assassinat, le chef d’Etat Major de l’armée,  l’un des conjurés, fait exactement le contraire de ce qu’il sait devoir faire. Il ne s’impose pas comme l’homme fort de la situation, instille le doute, semble ballotté par les événements. Il le paiera de mois de tortures indicibles, jusqu’à en mourir.

 La nuit du meurtre, un homme montre au contraire sa totale maîtrise de soi : le président de la République, Joaquin Balaguer. Jusque là un personnage insignifiant, occupant une présidence purement décorative, Balaguer sait ce qu’il faut faire : soustraire des griffes militaires un prélat menacé de mort, donner des gages au consul des Etats-Unis, se poser comme le dépositaire légitime du pouvoir. Dans les mois qui suivront la mort de Trujillo, il écartera un à un les membres du clan, se réconciliera avec l’Eglise et les Etats-Unis et engagera une transition à la démocratie. Il obtiendra sept mandats de président de la République dominicaine et gouvernera pendant 24 ans au total jusqu’en 1996.

 Après avoir été violée par Trujillo, Urania se réfugie auprès des religieuses qui gèrent son collège. Elles réussissent à la faire partir pour les Etats-Unis. Pour oublier le traumatisme, Urania se concentre sur ses études, intègre Harvard, devient fonctionnaire de la Banque Mondiale. Mis elle est restée une infirme du cœur, incapable d’aimer un homme et résolue à faire payer à son père au prix fort sa trahison.

 La Fiesta del Chivo est une livre dur, parfois jusqu’à l’insoutenable dans sa description de l’abjection et de la souffrance humaines. C’est aussi le récit poignant d’une libération due au courage insensé d’hommes prêts à sacrifier leur vie pour suivre un chemin que nul n’aurait pu prévoir.

Confessions d’un escrocq millionnaire

 

Marc Dreier et son fils

C’est un documentaire insolite que vient de diffuser la chaîne culturelle britannique BBC4. L’avocat américain Marc Dreier s’explique sur l’escroquerie de plusieurs millions de dollars qui lui vaudra une condamnation à 20 ans de prison.

 Arrêté en novembre 2008 pour le vol de 380 millions de dollars à 13 hedge funds et 4 investisseurs privés, Marc Dreier fut autorisé par le juge à demeurer en résidence surveillée dans son luxueux appartement de New York pendant six mois, jusqu’au prononcé du jugement. Le documentaire réalisé pour CBS par Marc H. Simon, qui fut employé par Dreier du temps de sa splendeur, dégage une impression d’irréalité. Les tableaux de maîtres ont été décrochés des murs. Des cartons attendent d’être emportés. Une pièce de l’appartement est occupé par des gardes armés qui regardent la télévision et contrôlent la porte d’entrée, fermée à clé. Marc et Spencer Dreier, son fils, s’alimentent de plats commandés à des pizzerias ou à des fast foods. Dans la dernière scène, alors que Dreier s’habille pour se rendre au jugement, puis en prison, ses meubles sont mis aux enchères.

 Mar Dreier a voulu pendant ces six mois témoigner, faire comprendre qu’il était un homme fondamentalement bon, amoureux de sa famille, plein de remords pour des erreurs qu’il reconnaissait et assumait. A côté du documentaire, il a aussi livré de longs entretiens à Bryan Burrough pour le magazine Vanity Fair. L’information écrite est plus complète. Mais ce que seul le film peut rendre, c’est la bataille d’un homme aux prises avec sa déchéance et s’efforçant de garder un minimum de contrôle sur la chose terrible qui va lui arriver. On le voit discuter avec un avocat des mérites comparés de telle ou telle prison. « Je vais m’efforcer de mener en prison une vie qui ait du sens, dit-il à Burrough. Ce ne sera pas la vie que j’avais escomptée. Je n’assisterai pas au mariage de ma fille. Je vais manquer des moments de la vie dont je comptais qu’ils fassent partie de la vie ».

 Le mot magique pour Dreier, depuis tout petit, c’est « successful ». Tout le monde lui prédit un avenir brillant, il veut avoir du succès. Lorsqu’en 2001 tombent les tours jumelles, c’est un peu un symbole de sa vie, une vie qui tourne au désastre : il a cinquante et un ans, une carrière d’avocat médiocre, un mariage raté. En 2004, il a l’idée de monter une escroquerie qui lui permettra d’avoir de l’argent, d’afficher sa réussite (enfin successful !) et d’attirer vers lui clients et investisseurs. Il prétend agir au nom d’une société d’un de ses clients historiques, le promoteur Seldon Solow. Il trouve un hedge fund (fonds d’investissement spéculatif) qui lui achète pour 20 millions de dollars un billet à ordre soit disant émis par la société de Solow. Il empoche l’argent, investit massivement dans sa société d’avocats qui, trois ans plus tard, occupera 11 étages d’une tour de Manhattan et 195 avocats. Il achète des toiles de maître (Warhol, Hockney, Picasso, Matisse…), acquiert un yacht et des résidences luxueuses, parraine des tournois de golf. Il montre ainsi qu’il a réussi, se construit une crédibilité dans la jet-set, attire des investisseurs et les met en confiance.

 Les choses se gâtent lorsqu’avec la crise financière de 2008, des fonds refusent de renouveler les billets à ordre à l’échéance. Il faut les apaiser à tout prix. Non seulement Dreier continue à produire des faux états financiers, mais lui ou un complice se font passer pour des hommes de Solow, allant jusqu’à recevoir leurs victimes dans des salles de réunion au siège de celui-ci. Les choses commencent à déraper lorsqu’une erreur d’adresse de courriel entraîne l’appel téléphonique d’un hedge fund à Solow, qui découvre ainsi le pot aux roses. Dreier sera arrêté à Toronto, après avoir une nouvelle fois usurpé l’identité d’un autre personnage.

 La volonté de Marc Dreier de s’expliquer, par l’écrit et par l’image, donne une impressionnante vision de la dépravation morale de Wall Street dans les années quatre-vingt dix : à la volonté de lucre illimitée des gens « successful » répondait une absence de contrôles et de régulations. L’affaire Madoff fut révélée dans la même période que l’affaire Dreier, au point de lui faire de l’ombre. Madoff écopa de 145 ans de prison. Avec seulement 20 ans de peine à purger, Dreier pourrait sortir de prison le 26 octobre 2026. Il aura alors 76 ans.

Marc Dreier dans le documentaire de Marc Simon