CinémaSantéTélévision9 mars 20241État limite

Arte TV a récemment diffusé « État limite », documentaire de Nicolas Peduzzi qui suit pas à pas un psychiatre de l’hôpital Beaujon à Clichy. L’état limite est celui de patient en très grande souffrance psychique ; c’est aussi celui de l’hôpital public, qui faute de moyens n’est plus en mesure d’accomplir ses missions et sollicite les personnels à la limite de leurs forces.

 Jamal Abdel-Kader est « psychiatre mobile » au sein de l’hôpital Beaujon. Il n’exerce pas dans un service spécialisé dans sa branche, mais court d’un étage à l’autre, de la gastroentérologie à la cardiologie ou à l’orthopédie. Il accourt au chevet des malades lorsque, à côté de la pathologie qui les a amenés à l’hôpital, ils souffrent aussi de troubles psychologiques sévères. Dans la première scène du film, on le voit aux urgences, la nuit, tenter de faire baisser la tension entre un homme en garde à vue et les policiers qui l’escortent.

 Beaucoup de ces malades ont tenté de se suicider. C’est le cas d’Aliénor, qui s’est jetée sous un train et a subi plusieurs amputations. Ce n’est pas la première fois qu’elle tente de mettre fin à ses jours. Jamal remarque, en parlant avec elle, que c’est toujours à l’approche d’une échéance, par exemple son anniversaire. Nous le célèbrerons ensemble, plaisante-t-il, le mien aussi tombe en mars. Jamal invite les deux sœurs d’Aliénor à le rencontrer. Peut-être détiennent-elles la clé qui la délivrera de ses passions mortifères ?

Il y a aussi Vincent, en proie à des phobies d’impulsion. Il redoute les fenêtres ouvertes, tant peut être incontrôlable le désir de s’en jeter dans le vide. Jamal demandera au service technique de bloquer une fenêtre qui terrorise Vincent. Le film est dédié à Windy, un patient atteint d’une pancréatite qui le met à la torture, et qui se sent seul au monde. Windy est décédé avant le bouclage du film.

 Jamal ne se lasse pas de parler avec les patients, et même avec leur entourage. Mais parfois les mots ne suffisent pas. Un malade hurle violemment qu’il n’a besoin de personne, et que sa vie lui appartient. Il faut se résoudre à l’attacher et à lui injecter des calmants : contention et sédation.

 Souvent, Jamal partage ses doutes avec la jeune interne qui le suit dans ses déambulations, ou avec Romain, un aide-soignant qui partage son sentiment d’écrasement face à une tâche qui dépasse leurs capacités. « Je marche comme un vieillard », constate le médecin, parfois obligé de s’asseoir pour parler aux patients, tant son dos le fait souffrir. On pourrait dire qu’il en a plein le dos…

 « Comment soigner dans une institution malade ? », lit-on dans la présentation du film sur le site d’Arte TV. « Émaillé de photographies en noir et blanc de Pénélope Chauvelot, sublimes parenthèses d’immobilité au cœur de l’urgence, ce documentaire mélancolique et politique sonde le déclassement de la médecine psychiatrique et l’effondrement de l’hôpital public, miroir d’une société qui relègue les plus fragiles à la marge et pousse ceux qui prennent soin d’eux au-delà de leurs limites. »

 Jamal Abdel-Kader raconte que ses parents, tous les deux médecins, étaient venus de Syrie pour travailler en France, et qu’ils bénéficiaient d’un appartement de fonction dans un hôpital. Enfant, il vivait donc nuit et jour à l’hôpital : difficile pour lui de marquer une limite à son engagement au service de ceux dont la vie tient à l’aide qu’il est censé apporter. « Est-ce que je ne suis pas complice d’un truc qui est fou ? », se demande-t-il.

One comment

  • Jacques

    11 mars 2024 at 10h46

    « Est-ce que je ne suis pas complice, à l’âge de 75 ans, d’un truc qui est fou » tel que l’installation, dans la durée, d’une mise en place gratuite d’un enchaînement de protocoles, proposés et présentés par le corps médical, comme toujours plus efficaces et nécessaires, dans le traitement de mon cancer de la prostate ? Y-aurait-il des maladies plus nobles les unes que les autres, telles que ces maladies seraient plus dignes d’attention ?

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