Justice4 février 20151Journal de taule

« Journal de taule », de Christophe de la Condamine (L’Harmattan 2011) est le récit poignant de quatre ans de captivité.

 Christophe de la Condamine, actuellement âgé de 52 ans, a été arrêté en décembre 2014 pour le braquage d’une station de péage d’autoroute. Jugé en Cour d’Assises puis rejugé en appel, il est sorti de prison quatre ans plus tard, après avoir séjourné dans les maisons d’arrêt de Saintes, Gradignan (« Gradûche » selon son vocabulaire) et Angoulême et dans le centre de détention de Mauzac.

 

Christophe de la Condamine
Christophe de la Condamine

Il fait partie deux associations travaillant en milieu carcéral : le Courrier de Bovet, qui propose aux détenus une correspondance, et l’Observatoire International des Prisons qui défend les droits des détenus de droit commun comme Amnesty International le fait pour ceux des prisonniers politiques.

 Écrire pour survivre

 Dès son premier jour de captivité, Christophe de la Condamine a senti le risque de se laisser laminer : « il va falloir être dur, se battre, ne pas laisser prise au système, ni aux autres détenus. Va falloir survivre, et sans doute beaucoup plus : ne pas se faire détruire. » L’écriture a été une planche de salut. Pendant ses quatre années de détention, il écrira des nouvelles, une bande dessinée, d’innombrables lettres à ses correspondants. « Journal de taule » est, comme son titre l’indique, constitué des lignes qu’il a écrites au fil des jours. Il se défend d’être « écrivain », car il n’a pas composé une œuvre. Il est simplement l’auteur d’un livre qui s’est construit pièce par pièce, et qu’il a très peu remanié au moment de le présenter à l’éditeur.

 « Journal de taule » est un livre courageux, dans lequel l’auteur se livre sans fard, dévoile des relations difficiles avec certains proches, ne cache pas ses moments de doute et de déprime. C’est le portrait d’un homme courageux, d’un leader au sein du monde confiné du « pays du Dedans », d’un résistant à la machine à broyer, mais aussi de quelqu’un qui peut être brutal ou injuste. L’autoportrait de cet homme plongé dans une situation extrême mérite, en soi-même, qu’on lise ce livre.

 Mais on y trouvera aussi une mine d’informations et d’ambiances de la prison vue de l’intérieur.

 Vulnérable

 Il y a d’abord la vulnérabilité. « Ce que je n’avais absolument pas envisagé, c’était que les pires coups reçus toucheraient l’âme, et viendraient de l’extérieur. » Il y a par exemple la santé de sa mère, gravement malade, qui empire de parloir en parloir : « le visage de maman, venant me visiter, n’est que mâchoires. Ses joues ont fondu, ne reste que la peau. » Il y a le silence de la compagne, dont l’éloignement semble irréversible : « rien de Valérie, vingt jours. » Il y a aussi, très prosaïquement, le décès d’un animal : « maman au parloir. Mon chat, Fifille, a quitté ce monde. Elle avait douze ans. Pauvre petite mère, qui ne m’aura pas revu de son vivant. » La vie continue dans le Pays de Dehors, et le prisonnier n’a aucune prise sur elle, il ne peut que subir.

 Christophe de la Condamine parle aussi de la violence en prison. « La promiscuité crée des chaudrons si denses que le moindre geste, le moindre mot, un simple regard peut déclencher les coups. C’est surtout entre les jeunes que cela se passe. À vingt ans, on n’est que flamme. La quarantaine pose, c’est mon cas. Reste à montrer, chaque jour, qu’on est prêt à mordre. Dans la promenade, l’un essaie de taxer une cigarette. Il faut lui refuser, sinon demain il en demandera deux. Même si on pouvait aider, il faut s’en garder. L’immense majorité confondrait gentillesse et faiblesse, essayant aussitôt de l’exploiter. Là commencent les tentatives de racket. » (…) « Un jeune à l’œil poché. J’apprends que, sale, ses codétenus l’ont « pédagogiquement » forcé à faire le ménage jusqu’à trois heures du matin, jusqu’à la bagarre. » (…) « Chacun ressoude au briquet les lames de rasoir jetables pour les enfoncer à chaud sur un manche de brosse à dents. Les douches vont rougir. »…

 Ne pas fabriquer l’attente

 Le livre contient aussi des réflexions sur le temps qui passe en prison, autrement qu’en dehors. « Je n’ai ni montre, ni réveil, heureusement ! (…) Si j’avais un repère au poignet, je fabriquerais l’attente. Attente de la promenade, attente du déjeuner, attendre l’heure du dîner, attendre l’heure de quoi ??? Vivement dans cinq ans, ou dans dix. » (…) « Ça fait pile poil deux ans de zonzon ! Bilan : pas de bilan. C’est passé à une vitesse : au moins aussi vite que dehors. Du moins quand je regarde derrière, car le présent, ici, est éternité. J’ai du mal à expliquer ce temps qui défile. Peut-être parce que les repères événementiels sont rares. Les jours glissent, sans prise. »

 Enfin, cette question : « Est-ce que la haine aide à survivre ? Peut-être bien, en ce monde de violence. C’est mieux que d’avoir des pensées suicidaires. » Et les extraits d’une lettre de Luc, un autre détenu, à Christophe : « Ici la semaine dernière, il y a eu un détenu qui est décédé. Il avait 22 ans, il était dans la cellule voisine de la mienne. Au moins, lui il a été libéré. »

 « Journal de taule » est un très beau livre.

One comment

Commenter cet article

Votre email ne sera pas publié.