ArtDestinsLivres9 novembre 20230Passagère du silence

Dans « Passagère du silence, dix ans d’initiation en Chine » (2003), l’artiste peintre Fabienne Verdier raconte son départ pour la Chine en 1983 alors qu’elle avait vingt ans, son séjour de plusieurs années à Chongqing, alors capitale du Sichuan, puis à Pékin comme attachée culturelle de l’Ambassade de France.

La réalité qu’elle découvre à Chongqing, « ville grise, perdue dans un brouillard épais » devrait la décourager. Son arrivée se situe quelques années seulement après la « révolution culturelle ». L’institut des beaux-arts, où elle étudie, est dirigé par un homme ouvert, qui sera l’allié de celle qu’on appelle « Mademoiselle Fa », mais sous la coupe de l’épouse de celui-ci, représentante du Parti. « Cadre dirigeant ayant participé à la Révolution culturelle, elle voulait bâtir une Chine nouvelle et croyait, avec une foi religieuse, à la construction d’un monde affranchi du passé. »

Fabienne est placée sous une surveillance permanente, d’abord exclue de tout contact avec ses camarades. C’est de haute lutte qu’elle obtient de pouvoir les fréquenter, sans toutefois pouvoir vivre l’amour qu’elle ressent pour un étudiant rebelle.

Fabienne Verdier, le silence en mouvement

Les hommes du passé, porteurs de la culture chinoise millénaire, ont été marginalisés et persécutés. « Dans cette Chine nouvelle de brutes corrompues, de cadres du parti vénaux, d’analphabètes vaniteux, comment ces vieux lettrés, ces rescapés du raz de marée pouvaient-ils survivre ? Ils avaient été à deux doigts de sombrer dans la folie, usés par une agression quotidienne absurde. »

Fabienne Verdier est à la recherche d’un de ces survivants, qui puisse l’initier. Elle finit par le trouver en la personne de Huang Yuan, qui devient son maître. Elle peine à s’en faire accepter. « Tous les soirs, après la classe, je faisais un rouleau d’exercices de feuilles calligraphiées bien ficelées, et j’allais les déposer devant la porte de Maître Huang Yuan. Cette expérience solitaire a duré des mois, sans réponse. » Jusqu’à ce qu’un jour, un homme frappe à sa porte. L’oiseau de l’étudiante claironne : « entrez, idiot, entrez ! »  « J’ouvris la porte : c’était Maître Huang Yuan avec mes rouleaux de calligraphie sous le bras. »

L’initiation durera plusieurs années. Pendant des mois, elle consista à tracer des traits horizontaux au pinceau à l’encre noire. L’enjeu selon le maître :  comment donner vie à la matière, communiquer une tension physique et spirituelle au trait. « N’essaie pas de comprendre, lui dit-il, Si tu trouves le chemin difficile, c’est que tu es déjà sur la bonne voie. »

Œuvre de Fabienne Verdier exposée au Château Lynch Bages (Médoc)

Un beau chapitre du livre raconte un voyage à pied du maître et de son élève au mont Emei, à la découverte de monastères vieux de plusieurs siècles. C’est là que se cristallise ce qui sera la pensée de l’artiste. Un premier mot-clé est persévérance, que l’on peut associer à rythme. Peinture et musique ont partie liée : « mouvement incessant, telle la cadence régulière d’une fugue de Bach, les psalmodies des moines, interprétations qui mêlent mobile et immobile par un récitatif incessant et parviennent à dépasser nos contingences terrestres pour atteindre un au-delà. »

Un second mot clé est vide, associé au mot chaos. « Comme le Ciel, lui dit le Maître, crée à partir du chaos (…) Transmets l’esprit des choses et n’oublie pas que l’esprit réside aussi dans les montagnes et les plantes ; elles ont une âme, et c’est le Ciel qui la leur a donnée (…) Prends un pot par exemple : c’est le vide qu’il enferme qui crée le pot. Toute forme ne fait que limiter du vide pour l’arracher au chaos »

Associé au vide, se présente enfin le mot silence. « Le calligraphe est un nomade, un passager du silence, un funambule. Il aime l’errance intuitive sur les territoires infinis (…) Il est animé par le désir de donner un goût d’éternité à l’éphémère (…) On se rend compte que derrière le vide apparent du silence, la vie grouille de toutes parts et c’est alors, avec pudeur et émerveillement, qu’on saisit la pensée poétique. »

« Passagère du silence » est un livre envoûtant.

Fabienne Verdier

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