Il y a longtemps que je t’aime

La chaine de télévision Arte a diffusé le 23 janvier le film de Philippe Claudel « il y a longtemps que je t’aime » (2008).

 Lorsque Léa (Elsa Zylberstein), sa sœur cadette, lui offre l’hospitalité, Juliette (Kristin Scott Thomas) est une femme absente, à fleur de peau, empoisonnée par la cigarette qu’elle ne cesse de fumer comme par un passé qu’on devine insupportable. Juliette a passé 15 ans derrière les barreaux après avoir été condamnée pour avoir donné la mort à son petit garçon.

 Léa elle-même étouffe sous la culpabilité. Enfant, elle était inséparable de sa grande sœur. Après le procès, Juliette fut rayée de la carte par ses parents et Elsa s’est conformée à ce diktat : pas une fois elle n’est venue la rencontrer en détention. Les deux sœurs vont devoir se redécouvrir, dire l’indicible, se pardonner.

 Juliette va peu à peu s’absenter de son absence jusqu’à pouvoir dire, dans le dernier plan du film : « je suis là ». Les médiateurs de sa renaissance vont être les deux adorables petites vietnamiennes adoptées par Elsa et son mari Luc ; le policier chargé de la probation de Juliette qui est lui-même accablé de solitude ;  Michel, un collègue de Léa qui a enseigné en prison ; et, à son corps défendant, l’horrible assistante sociale qui lui trouve un emploi de secrétaire.

 Juliette et Léa se retrouvent souvent à la piscine. L’image est judicieuse. L’une et l’autre se sont noyées dans le chagrin et la culpabilité. Elles doivent réapprendre à respirer librement, confiantes dans le fait que malgré les apparences l’amour a été et reste le plus fort.

Elsa Zylberstein et Kristin Scott Thomas dans « il y a longtemps que je t’aime »

Patients

Dans « Patients », le chanteur Grand Corps Malade raconte les six mois passés dans un premier centre de rééducation après un accident qui aurait pu le rendre totalement paralysé.

 Lorsque Fabien Marsaud, qui va avoir 20 ans, se déplace des vertèbres après avoir plongé dans une piscine sans fond, sa vie bascule. Alors qu’il est encore dans une unité hospitalière de réanimation, on confie à ses parents qu’il ne pourra probablement plus jamais remarcher. Il ira dans un centre de rééducation pour tenter d’arracher autant de mobilité que possible.

 Fabien, devenu « Grand Corps Malade », raconte les six mois pendant lesquels, grâce à ce sixième sens qui se nomme « envie de vivre » et au savoir-faire d’un personnel compétent, il réussit à se remettre debout et à marcher, fût-ce appuyé sur une canne. Il s’agit d’une lutte quotidienne dans laquelle la volonté de s’en sortir joue le premier rôle. Mais les séances de rééducation occupent seulement une heure par jour, deux au mieux. Le reste du temps, il faut le tuer ou, comme dit un ami de Fabien, le « niquer ».

 Car le propre des pensionnaires du centre de rééducation, c’est d’être des patients, dans le sens trivial comme dans le sens médical du terme. Il faut attendre des heures pour qu’on vous change de position dans le lit, qu’on vous enfile une sonde urinaire, qu’on actionne pour vous la télécommande de la télévision. L’auteur raconte qu’un jour une aide-soignante présumant de ses forces le laisse tomber. Le temps qu’elle appelle des secours, il reste nu sur le carrelage, tremblant et nécessairement patient.

 Le livre est écrit dans un style direct, entre descriptions cliniques, humour et émotion. Un soir, quatre patients en fauteuils roulants se font la belle et vont à l’aventure dans le parc du centre. « Et pour la première fois on parle d’avenir. Mais cette fois, on ne parle pas d’avenir pour se vanner, ou pour se prouver avec cynisme qu’untel est dans la merde, que l’autre est foutu. Non, on parle d’avenir avec sincérité, en se livrant, comme si l’atmosphère de notre sous-bois et le fait de ne pouvoir se regarder dans les yeux permettait une franchise et une impudeur jamais révélées jusque là ». Au retour à l’étage, l’aide-soignant affolé insulte copieusement les fugitifs et annonce des sanctions, mais « ses hurlements glissent sur nous sans nous atteindre. On a certainement encore la tête dans notre forêt, l’esprit dans nos confidences et l’humeur dans la gravité du moment qu’on vient de partager ».

 Brigitte m’a offert « Patients » en souvenir de ce que j’ai vécu en 1982, il y a juste trente ans. A la suite d’un accident de moto, j’avais passé six mois cloué sur un lit d’hôpital et dans un centre de rééducation. Bien que mon cas fût infiniment moins grave que celui de Grand Corps Malade – il ne s’agissait que d’un fémur et un genou brisés – j’ai retrouvé dans son livre beaucoup de traits de ma propre expérience : la dépendance à l’égard de tiers pour tous les actes de la vie, y compris les plus intimes ; l’incertitude sur les capacités de récupération ; la lenteur des progrès et, dans mon cas, des phases de régression dans l’apprentissage de l’autonomie ; et surtout l’expérience humaine.

 « Si cette épreuve m’a fait grandir et progresser, dit Grand Corps Malade, c’est surtout grâce aux rencontres qu’elle m’aura offertes ». Il évoque Farid, Toussaint, Steeve. A l’hôpital Saint Antoine, dans une chambrée de 4 lits, j’eus ainsi l’occasion de partager brièvement la vie de nombreux voisins d’infortune, en particulier un livreur de pizzas à mobylette, un légionnaire et le patriarche d’une nombreuse famille juive qui venait pique-niquer au chevet de son lit… et du mien. J’appris à savourer cette parenthèse de plusieurs mois, qui infligeait sans doute plus de souffrance à mes proches qu’à moi-même.

Joyeux Noël !

Ces grains de café séchant au soleil au Domaine du Café Brûlé, à la Réunion, connaissent une nouvelle naissance.

 Ils appartenaient au caféier, se nourrissaient de sa sève, en prolongeaient les branches. Ils étaient durs et compacts dans le feuillage fluide. Ils se préparent à une nouvelle vie. Torréfiés et moulus, ils vont entrer dans l’intimité des humains. Café des encyclopédistes et des philosophes. Café noir qu’on prend près du percolateur. Café qu’une infirmière obtient d’un distributeur pour se maintenir éveillée une nuit de veille. Café partagé entre amis après un bon dîner. Café du petit déjeuner, avec des croissants et des chocolatines. Café de l’étudiant révisant un examen. Café noir de l’écrivain luttant avec la page blanche.

 « Transhumances » souhaite à ses lecteurs un Joyeux Noël 2012. Puissent-ils faire de chaque instant de leur vie une Nativité, mettant au monde goutte à goutte un univers chaleureux et corsé.

(Photo « transhumances »)

La Maison Rouge de William Morris

"Si je puis", devise de William Morris à Red House. Photo "transhumances".

Red House, à Bexleyhead, près de Greenwich au sud-est de Londres, est la maison de William Morris fit construire en 1859 – 1860 par son ami l’architecte Philip Webb.

 « Transhumances » a consacré une chronique au poète, décorateur et militant socialiste William Morris (1834 – 1896). Cet homme hors du commun a été aussi mentionné dans d’autres chroniques, comme la note de lecture de « la Carte et le Territoire » de Houellebecq et, plus récemment, l’exposition sur les Préraphaélites à la Tate Britain.

 Morris fit construire Red House après son mariage avec Jane Burden en 1859. Le bâtiment est typiquement préraphaélite par son style médiéval et l’importance donnée au jardin environnant. Bien que de vastes dimensions, il reste toutefois à taille humaine, et on comprend que William, Jane et leurs filles Jenny et May aient coulé là des jours heureux. Les Morris n’y restèrent que 5 ans. Des difficultés financières et le besoin d’être souvent à Londres pour des raisons de travail les amenèrent à se transférer au centre de la capitale.

 La maison était conçue comme un espace de création. Au premier étage, le studio était la salle la plus lumineuse. Mais toutes les pièces de la maison, les vitres, les plafonds, les meubles, étaient peints ou décorés.

 Le National Trust a acquis Red House il y a dix ans. Si la structure reste intacte, l’aménagement et la décoration ont été profondément altérés par 150 ans d’occupation par des familles étrangères à l’esthétique préraphaélite. Peu à peu les restaurateurs importent des pièces de mobilier et des œuvres d’art, mais il faudra encore de nombreuses années pour que le visiteur se sente dans l’ambiance des années 1860.

Red House. Photo "transhumances".