Vivre avec l’irréparé

Dans « vivre avec l’irréparé » (Albin Michel, 2024), Isabelle Le Bourgeois pose la question de comment vivre le moins mal possible lorsque survient l’irréparable, ce qui a eu lieu et restera à jamais. Elle fonde sa réflexion sur des textes bibliques, la Genèse et la mort-résurrection de Jésus.

 Isabelle Le Bourgeois possède ce qu’on appelle une forte personnalité. Cheffe d’entreprise, puis religieuse exerçant les activités d’aumônière de prisonniers à Fleury-Mérogis, d’inspectrice du Contrôle général des lieux de privation de liberté et de psychanalyste, elle a construit sa vie autour de l’écoute d’autrui.

 Deux idées clés parcourent son livre. « Il n’y a pas de remise à zéro des compteurs, ça n’existe pas… L’irréparable dit l’impossibilité du retour en arrière : ce qui est passé est passé. » Adam et Ève ont été expulsés du paradis, c’est un fait irréversible. Dieu lui-même a dû prendre acte que sa création était imparfaite. Le corps de Jésus ressuscité conserve les marques de son supplice.

Adam et Eve chassés du paradis terrestre, Masaccio

L’autre idée est qu’il faut faite avec ce qu’on a. L’autrice met en garde contre l’obsession de la pureté pour les individus comme pour les groupes, « au point que des millions d’actes effrayants son commis en son nom (…) Vouloir être pur, c’est vouloir être parfait. Et la perfection est une illusion qui peut nous écarter de qui nous sommes, ombres comme lumières. »

 La force de ce livre est d’être fondé sur les récits de vie de personnes qui ont connu dans leur vie l’irréparable, dont la trace est l’irréparé dont ils essaient, jour après jour, de réduire les effets mortifères. La première est Yvette, pensionnaire à vie dans un hôpital psychiatrique, si invisible qu’un infirmier l’appelle Germaine. Le regard d’Isabelle rallume un feu en elle, et c’est par un poème qu’elle s’exprime après des années de silence.

 C’est bien de mort que parle cette patiente venue la consulter à son cabinet : « une infection, une septicémie de l’esprit, ça existe, non ? On en meurt en général, mais on ne sait pas qu’on est mort de ça. Moi, je ne sais pas si je suis morte ou non (…) Je n’y arrive pas avec ma vie. Elle a un goût ce cendres. »

 Malo a été abusé dans sa jeunesse par un prêtre, le père Roger. Le viol n’est pas seulement celui du corps, mais aussi de l’âme. « « J’ai le pouvoir de te guérir, confesse-toi » avait un jour dit l’abbé Roger à Malo après l’avoir violé. »

 Se pose alors la question du pardon. Il n’est pas toujours possible. « Le pardon n’est ni oubli, ni naïveté, ni magnanimité, il ne se mérite pas, on ne peut pas en payer le prix. » On ne peut le penser sans qu’il y ait quelqu’un qui demande pardon et quelqu’un qui le reçoive. Parfois c’est impossible, il n’y a qu’une solution : laisser Dieu s’en occuper. « Chacun son « job », ai-je envie de dire ».

 Car le Dieu en qui croit Isabelle Le Bourgeois « n’est pas d’un Dieu abstrait, lointain (…) C’est « un Dieu fiable qui ne craint pas l’irréparé dans la Création et l’assume en Jésus Ressuscité. »

 « Vivre avec l’irréparé » est un beau livre qui parle de survie, de limites, d’obscurité, de colère, d’aventure humaine, et finalement d’espérance.

Isabelle Le Bourgeois

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