JusticeSociété12 février 20240Avoir 18 ans en prison

L’Institut National de la jeunesse et de l’éducation prioritaire (INJEP) a publié en décembre 2023 une étude intitulée « Avoir 18 ans en prison, devenir adulte derrière les barreaux », dont les autrices sont Yaëlle Ansellem-Mainguy et Isabelle Lacroix.

À partir d’une enquête qualitative menée par entretiens et observations, réalisée entre 2021 et 2022 auprès de 108 jeunes femmes et jeunes hommes incarcérés âgés de 14 à 24 ans dans sept prisons situées en France hexagonale, cette recherche présente les enjeux du passage à la majorité civile en détention. Ces prisons sont des « établissements pour mineurs », exclusivement dédiés à l’enfermement de personnes de moins de 18 ans, ou bien des « quartiers mineurs » au sein de maisons d’arrêt.

Près de 3000 jeunes de moins de 18 ans sont incarcérés chaque année. 598 jeunes incarcérés mineurs sont devenus majeurs en prison en 2021. L’enquête souligne la « falaise » que représente pour eux ce passage. La plupart sont transférés dans une prison pour adultes. Jusqu’à leur majorité, ils étaient suivis par des éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et vivaient dans de petites structures. Ils sont soudain plongés au milieu de centaines de détenus, dans un univers marqué par les rapports de force entre détenus et avec les surveillants, où ils se sentent réduits à un numéro d’écrou. Il leur faut « comprendre le fonctionnement, mais aussi se faire une place parmi les personnes détenues, comprendre les alliances et les clans qui existent au sein de l’espace carcéral. »

Cour de promenade d’un Etablissement pour Mineurs (EPM)

Le passage à la détention adulte

Ce changement n’a pas que de mauvais côtés. En quartier mineurs, les jeunes regardent avec envie la situation des adultes qui n’ont pas d’horaire de coucher imposé, peuvent fumer et regarder la télévision toute la nuit. Il reste que l’obligation de partager la cellule avec un ou deux codétenus qu’on n’a pas choisis, le recours à  l’écrit pour demander quoi que ce soit et la longue attente d’une réponse (ou d’une non-réponse), l’oisiveté prégnante constituent des différences pesantes avec les conditions de détention des mineurs. Il faut ajouter à cela qu’un mineur transféré en détention ordinaire est vite repéré comme vulnérable et manipulable. Un jeune en EPM s’exprime ainsi : « Il y en a plusieurs qui m’ont dit que comme je serai le plus petit à la maison d’arrêt, ben c’est moi qui serai envoyé à grimper au grillage pour récupérer les projections. » Les projections sont les colis envoyés de l’extérieur par catapultes (ou drones), contenant généralement des substances illicites ou des téléphones portables.

L’étude de l’INJEP s’intéresse aux temporalités. Elle souligne combien elles sont différentes selon les classes sociales. Pour un jeune de milieu favorisé, les 18 ans représentent l’âge du baccalauréat, du permis de conduire, du droit de vote. Mais d’autres seuils, l’exercice d’un métier, la vie de couple, la paternité sont franchis plus tard.

L’enquête souligne « la surreprésentation en prison des populations les plus faiblement dotées en capitaux économiques, scolaires et symboliques ».  Les jeunes emprisonnés ont, en majorité, connu la précarité, l’absence du père, la pauvreté. Ils ont dû se débrouiller dans la vie bien avant leur majorité légale. Une jeune femme interrogée déclare ainsi : « Moi à 12-13 ans, j’étais au quartier en train de charbonner, en train de me faire un billet, en train de savoir où je vais dormir, en train de savoir ce que je vais manger […] Les autres filles, elles vont à l’école, elles s’entraînent entre copines, elles s’entraînent à apprendre à l’école. […] Moi j’ai coupé l’école très tôt. »

Dessin de Bruce,, jeune mineur incarcéré

Une temporalité compliquée

Pour les jeunes emprisonnés, la temporalité est compliquée. Par la force des choses, ils sont obligés de vivre comme des adultes bien avant leurs 18 ans. Incarcérés, ils sont ramenés au statut de petit enfant, avec son lot d’interdictions et sa perte d’autonomie. La situation est encore plus étrange s’agissant de garçons ou de filles devenus parents avant leur détention. « Ici t’as le club des darons [pères] de l’EPM devant toi », dit un jeune en désignant en riant l’un de ses camarades.

L’enquête accorde une place importante à la célébration des anniversaires. Elle remarque que le rite du gâteau partagé avec les copains et copines prend généralement fin avec l’école primaire. En prison, certains jeunes évitent de le célébrer, car il marque le passage d’un temps marqué par la honte et l’incertitude. « Je marque le coup toute seule dans ma cellule […]. C’est glauque c’est clair, mais je me souhaite mon anniversaire à moi-même, comme ça. Ce jour-là, je cantine un truc un peu mieux, tac, et je me colle devant la télé. […] En vrai c’est triste de passer son anniversaire et de marquer ça comme ça. ».

Lorsqu’on célèbre l’anniversaire, la manière de faire est différente entre garçons et filles. Elles vont fêter cela entre elles, en se préparant un gâteau, souvent avec l’aide de surveillantes. Les garçons, quant à eux, évitent d’exprimer leurs émotions. Curieusement, la manière de marquer le coup qu’ils préfèrent consiste à recevoir des projections. Un jeune déclare que « les projections « ça fait du bien », ça veut dire qu’il y a des gens qui pensent à ceux qui sont enfermés. »

L’anniversaire des 18 ans est particulièrement critique, en raison du basculement qu’il provoque de la prise en charge comme mineur à la situation carcérale des majeurs, jeunes et vieux.

Citons enfin la mention, dans cette étude, des visiteurs de prison. « Contrairement aux majeurs « installés » en prison, les mineurs et jeunes majeurs ne bénéficient pas de parloirs avec des « visiteurs de prisons », dont on sait pourtant qu’ils permettent de sortir de cellule, d’occuper le temps et de discuter avec quelqu’un d’extérieur à la détention. Au cours de l’enquête, un jeune MNA (mineur non accompagné) a fait une demande pour avoir un parloir avec un bénévole visiteur de prison dans l’EPM, sur les conseils de son éducateur PJJ. Ce type de demande est rare, ici c’était une première pour la direction de l’établissement. » L’ANVP (Association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice) et la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse) ont récemment signé une convention pour le développement de la présence des visiteurs en EPM et dans les quartiers mineurs.

 

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