CinémaHistoire14 février 20241Zone d’intérêt

Zone d’intérêt, film de Jonathan Glazer a obtenu le grand prix du Festival de Cannes en 2023. Il s’agit d’un témoignage glaçant sur la façon de vivre et de penser du directeur du camp d’extermination d’Auschwitz et de sa famille.

Rufolf Höss (Christian Friedel) est l’officier dirigeant le camp d’Auschwitz. Pendant qu’il dirige le camp avec une efficacité redoutable, son épouse Hedwig (Sandra Hüller) s’emploie avec la même efficacité à élever leurs cinq enfants et à aménager leur grande maison dont le mur d’enceinte est celui du camp : installer le chauffage central, entretenir le potager et le jardin floral, creuser une piscine.

La vie des Höss est rendue plus facile par l’utilisation des sous-produits du camp : l’aîné des enfants joue avec des dents en or, Hedwig essaie un manteau de fourrure, un jardinier répand des cendres comme engrais. Certes, la proximité du camp amène nuit et jour des désagréments : un roulement industriel permanent, des cris et des détonations, des fumées de crématoires parfois rabattues par le vent.

Mais globalement la vie est belle. La mère d’Hedwig est émerveillée de la réussite sociale de sa fille. Elle était femme de ménage d’une famille juive, et se demande si son ancienne patronne n’est pas à quelques mètres d’elle, de l’autre côté du mur. La vie est si belle que lorsque Rudolf est promu à Berlin, Hedwig exige de rester dans cette maison, son paradis sur terre.

« Zone d’intérêt » est le terme qui définissait, dans le jargon nazi, le territoire de 40km² autour d’Auschwitz. La famille Höss a vraiment vécu dans cet endroit de 1940 à 1944. Rudolf Höss a été pendu en 1947 à Auschwitz, sans avoir jamais exprimé le moindre remords.

La technique cinématographique utilisée par Jonathan Glazer est impressionnante de maîtrise. Du point de vue visuel, son équipe et lui ont utilisé des objectifs grand-angle. Dans la maison, 10 caméras avaient été installées, dans l’esprit « big brother » de la téléréalité : les acteurs se savaient filmés en permanence, mais ignoraient sous quel angle. La bande son joue un rôle essentiel. C’est par elle que, sans interruption, le spectateur perçoit la présence du camp : bruit des chemins de fer, ronflement des fours crématoires, coups de fouet, coups de feu, hurlements de douleur, aboiements, ordres hurlés.

The Conservation a interrogé l’historien du nazisme Johann Chapoutot. « Höss, cadre supérieur modèle, illustre à la perfection cette vertu de la modernité économique et industrielle qui porte un nom : la « Sachlichkeit ». Dans l’Allemagne du XXe siècle, pour être contemporain des évolutions techniques, économiques, du progrès en somme, il convient de sortir du sentiment, de l’émotion, du romantisme, considérés comme des faiblesses, les nazis insistent lourdement sur l’humanitarisme coupable de leurs contemporains, sur la nécessité d’être très « pro ». Donc, il faut être « sachlich ». On pourrait traduire ce mot par « très professionnel », mais aussi « détaché », « froid », « pragmatique », « efficace ». « Die Sache », c’est la chose : une étymologie révélatrice.

« Mais ça n’empêche pas les nazis de distinguer les registres : parallèlement à ses activités de lieutenant-colonel zélé, Höss embrasse sa jument, se montre affectueux avec sa femme et ses enfants. Pour lui, c’est parfaitement compatible, car c’est être « sachlich » que de savoir distinguer le « pro » du « perso » comme on le dit aujourd’hui. On peut être impitoyable au bureau et charmant à la maison. C’est même un impératif de développement personnel, pour être, en retour, plus productif au travail… »

One comment

  • Chantal

    14 février 2024 at 16h52

    Merci Xavier.

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