Dans nombre d’associations caritatives françaises s’exprime un sentiment de malaise lorsque les relations avec les services sociaux sont trop confiantes : n’y a-t-il pas un piège ? Ne risque-t-on pas de se substituer à l’Etat pour des missions qu’il devrait normalement remplir ?
Il y a chez certains militants associatifs une crispation. Pour eux, le bénévolat doit se cantonner strictement à des services additionnels à ceux que l’Etat est tenu de fournir à tous les citoyens. Dans un domaine que je commence à connaître, celui des visiteurs de prison, le rôle des bénévoles devrait, selon eux, se limiter strictement à donner gratuitement du temps aux personnes incarcérées. Ils devraient veiller à ne pas interférer avec les missions du service pénitentiaire d’insertion et de probation. S’ils sortaient de leur rôle strict de visiteur, s’ils participaient à d’autres actions pour prévenir la récidive, alors ils donneraient à l’Etat un prétexte en or pour ne pas accomplir les tâches qui sont les siennes, pour ne pas recruter le personnel qu’il faut et ne pas débloquer les crédits nécessaires.
Ayant vécu dans plusieurs pays européens, ce discours me semble spécifiquement français. Il ne viendrait jamais à l’idée à un Britannique, par exemple, que les « Charities » et l’Etat puissent être en concurrence et que le développement des unes impliquerait un quelconque dépérissement du second.
Il est aussi profondément désespérant. Ceux qui le tiennent savent bien que l’abstention des associations n’a pas pour effet de placer l’Etat devant ses responsabilités et l’obliger à investir. Ce serait plutôt l’inverse : c’est l’implication active des citoyens dans des actions communes avec les services sociaux qui place l’Etat sous surveillance de la société civile et le contraint à ne pas désinvestir.
Enfin, ce discours ignore l’évolution de la société depuis qu’il y a un demi siècle a été inventé l’Etat Providence. La réduction du temps de travail des actifs et l’allongement de la durée de vie en bonne santé des retraités libère des millions d’heures de disponibilité, d’activité et de créativité. Ce temps est financé par la collectivité, soit par l’accroissement de la productivité qui permet de travailler moins, soit par les retraites qui sont versées de plus en plus longtemps. En contrepartie, la collectivité est en droit d’attendre de ses membres qu’ils consacrent une partie de leur capital temps libre à des tâches d’intérêt commun.
Au lieu de considérer le bénévolat comme une menace à l’Etat Providence, il serait plus judicieux d’accepter que les frontières entre les sphères publique et privée sont mouvantes dans le temps, qu’il est possible en effet que l’Etat recoure davantage au capital temps libre des citoyens et que, au final, l’action des services sociaux s’enrichisse de l’implication multiforme des citoyens.
Il ne s’agit certes pas d’exonérer l’Etat de ses missions : assurer la sécurité des citoyens, veiller à l’aménagement du territoire, garantir l’égalité des chances pour tous, etc. Mais il est temps de considérer le bénévolat comme une chance et de l’intégrer davantage à l’action des services sociaux.
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