EtonnementsPortugalSociété30 avril 20240Chronique d’étonnement n°62

Je souhaite partager dans « transhumances » ce qui m’a étonné, dans ma vie personnelle comme dans l’actualité.

Dans cet article de transhumances, je trouve magnifique et convaincante la tribune de Jérôme Cazes appelant à ce que l’on ne mette pas les médecins et le personnel médical au centre de la loi en gestation sur la fin de vie. Je partage l’inquiétude d’un anthropologue et sociologue, qui craint que la connexion tue la conversation. Je m’émeus au souvenir de la Révolution des Œillets, il y a cinquante ans au Portugal.

Aide au suicide

À l’approche du vote de la loi sur la fin de vie, Jérôme Cazes a publié le 10 avril dans Le Monde une tribune personnelle et courageuse.

« Mon histoire personnelle m’a obligé à réfléchir à l’aide au suicide de personnes lucides. Mes deux parents se sont suicidés au petit matin dans une chambre de l’Hôtel Lutetia, à Paris, il y a dix ans, sans aide.   Certains s’en souviennent peut-être, car leur geste a soulevé une grande émotion (…)

« Malheureusement, ils vivaient en France, un pays où le code pénal interdit toute aide au suicide. Rares sont ceux qui mesurent à quel point se suicider seuls est difficile pour deux très vieilles personnes, même courageuses. Mes parents n’ont donc pu partir qu’après des années de souffrance et de peur inutiles (…) Mes parents sont partis effarés de l’indifférence de la collectivité à leur égard, après deux belles vies consacrées aux autres – et je partage leur effarement (…)

« La France va à nouveau légiférer, mais on entend à nouveau le même décalage entre des citoyens en attente et des politiques qui compliquent tout. On ne parle pas de personnes comme mon père et ma mère : on parle de médecins, de soignants, de commissions, de droit de réserve, de pronostic médical à court, moyen ou long terme, de seuil de souffrance… Mais pourquoi diable mettre les médecins et le personnel médical au centre du jeu ? Pourquoi demander à des personnes dont beaucoup considèrent chaque mort comme une défaite personnelle d’aider au suicide alors que leur présence est parfaitement inutile ? (…)

« (En Suisse) De simples associations non médicales ont construit, depuis trois générations maintenant, leurs règles de gouvernance. Le système fonctionne sans décrets, sans administration, sans argent public, pour le plus grand bénéfice des quelques milliers de personnes aidées chaque année, et le bénéfice aussi des millions d’autres qui savent qu’elles pourront en bénéficier si elles arrivent au bout. »

 

Connexion vs conversation

Dans The Conversation du 21 mars, le sociologue et anthropologue David Le Breton raconte l’anecdote suivante.

« Il y a quelques mois à Taipei, j’étais dans un restaurant populaire. À une table, non loin de la mienne, est venue s’installer une dizaine de personnes de la même famille, des plus jeunes aux plus âgés. Le temps de prendre place, et tous ont sorti leur smartphone, les plus petits avaient deux ou trois ans, jusqu’aux anciens, la soixantaine. Ayant à peine jeté un coup d’œil au menu avant de commander, tous se sont immergés dans la contemplation de leur portable, sans aucune attention les uns envers les autres. Ils n’ont pratiquement pas dit un mot et ils mangeaient leur smartphone à la main. Seule exception parfois, de petites tensions entre deux des enfants qui devaient avoir quatre ou cinq ans. Ils sont restés une bonne heure en échangeant guère plus que quelques phrases, sans vraiment se regarder. »

David Le Breton craint que la généralisation des smartphones et la fascination des écrans tuent la conversation. «  La conversation relève souvent de la gratuité, de la flânerie, de la rencontre, elle est une parole partagée. Mais que devient-elle à l’ère du smartphone omniprésent ? À la fois vigilants, disponibles et déconnectés de nos sensations physiques, nous avons peu à peu désappris l’ennui, la lenteur, les silences et l’attention à l’autre… »

 

Révolution des Œillets

Le peuple portugais a fêté le cinquantième anniversaire de la Révolution des Œillets, le 25 avril 1974. Dans Le Monde du 24 avril, Raphaëlle Rérolle fait « le récit d’une nuit miraculeuse ».

« En une nuit et une journée, la révolution, qui ne s’appelait pas encore « des œillets » (elle devra ce nom à des fleurs distribuées aux soldats par une marchande lisboète, puis placées dans le canon des fusils), s’apprêtait donc à changer la vie des Portugais. Grâce à elle, 8,7 millions de citoyens recouvraient une liberté que la plupart n’avaient jamais connue. Elle mettait aussi fin à d’interminables guerres coloniales (Mozambique, Angola et Guinée) qui épuisaient le pays depuis quinze ans. »

Raphaëlle Rérolle cite l’écrivaine Lídia Jorge : « il y a eu une sorte de miracle : le bonheur est arrivé. » Elle évoque la chanson de Zeca Alfonso, Grândola villa morena, devenue une sorte d’hymne de la révolution, qui « donne encore, cinq décennies plus tard, la chair de poule à bien des Portugais. Ses paroles, qui font allusion à une ville de l’Alentejo, au sud du Tage, sont tout un programme : « Grândola ville brune/Terre de fraternité/C’est le peuple qui commande/En ton sein ô cité. »

Peu d’événements politiques suscitent une telle effusion de joie. La Révolution des Œillets est l’un d’entre eux, aux côtés de la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989 et de la libération de prison de Nelson Mandela, le 11 février 1990.

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